Jean-Michel Basquiat, the radiant child
Malgré la critique qui l’a trop facilement réduit à un film à la sauce MTV, Jean-Michel Basquiat, the radiant child est un documentaire passionnant sur le parcours de ce jeune peintre américain d’origine haïtienne. Plus qu’un simple biopic, il s’intéresse aussi à la vie artistique et underground new-yorkaise des années 80 dont Andy Warhol et Gleen O’Brian étaient les maîtres à penser.
De Britney Spears à Jean-Michel Basquiat
Improbable serait le mot le plus approprié. Comment passer d’un film comme Crossroads avec Britney Spears à un documentaire consacré au peintre américain Jean-Michel Basquiat ? Seule sa réalisatrice détient la réponse. Dans un entretien que Tamra Davis accorde à Artistik Rezo, la cinéaste explique les origines de son documentaire, évoque la vie de ce peintre alternatif et revient sur son parcours atypique.
Comment avez-vous rencontré Jean-Michel Basquiat ?
Il venait d’arriver à Los Angeles et c’est dans une galerie que je l’ai rencontré. Il ne connaissait pas grand monde et nous sommes rapidement devenus amis… jusqu’à sa mort.
Lorsque vous est venue l’envie de réaliser un documentaire sur Basquiat, aviez-vous déjà une idée précise de la structure du film ?
Pas du tout. A l’origine, je souhaitais que cela soit des témoignages, puis à la fin montrer l’interview que nous avions faite avec Jean-Michel et que je détenais depuis longtemps enfermée dans un tiroir. Il y avait beaucoup de ragots et de choses dites sur lui sans que l’on ne connaisse vraiment le personnage. Mais en partant de ce principe, j’ai trouvé que la voix de Jean-Michel manquait au film. C’est la raison pour laquelle j’ai coupé l’interview en plusieurs passages insérés à divers endroit du documentaire. Je désirais aussi que le film débute au moment où il commence à être réputé à New York, lorsqu’il faisait des graffitis sous le nom de SAMO©. Le film devait aussi avoir sa propre personnalité afin d’éviter le simple biopic. D’où l’insertion rapide de certains de ses tableaux semblables à des coupures artistiques.
Est-ce la raison pour laquelle vous n’avez pas utilisé de voix-off ?
Exactement, pour éviter ce côté narratif trop commun. La difficulté était aussi de ne pas rendre le film trop personnel. Pour cela, mon monteur Alexis Spraic m’a beaucoup aidé en me conseillant de retranscrire les sentiments les plus profonds du personnage plutôt que les miens. La voix-off était à ce titre trop personnelle. Même si je ne le souhaitais pas au début, j’ai préféré simplement faire partie des intervenants.
Comment vous est venue l’idée de réaliser une interview de Jean-Michel Basquiat ?
Je faisais une école de cinéma et c’est lui qui l’a suggérée. C’était une bonne excuse pour rester avec lui d’ailleurs. Au début, cela devait être un simple film, puis il est devenu de plus en plus connu et il pensait que c’était le moment de réaliser une interview un peu plus formelle.
Cela faisait véritablement vingt ans que vous n’aviez pas visionné cette entrevue ?
J’ai vu quelques extraits par-ci par-là. Je l’avais montrée à Julian Schnabel lorsqu’il a fait son film avec Jeffrey Wright. A l’origine, j’avais réalisé un court-métrage intitulé A short conversation with Basquiat où l’on ne voyait que lui et quelques-unes de ses peintures. C’était ma première intention avant que je ne réalise que peu de personnes connaissaient la vraie histoire de Jean-Michel et toutes ses influences.
Tous ceux que vous avez interviewés ont-ils vu le film ?
Presque tous. C’était très important qu’ils le voient avant que l’on finisse le montage final. La première à l’avoir vu fut Suzanne, l’ex-petite amie de Jean-Michel. Je souhaitais qu’elle m’aide à retranscrire la vraie personnalité de Basquiat. Jeffrey Deitch (marchant d’art) et Annina Nosei (galeriste) l’ont aussi très vite vu car ils sont réputés pour être les plus fins connaisseurs de ses œuvres. J’ai cherché avant tout à décrire et expliquer son travail. J’ai aussi montré le film à sa famille pour avoir son accord. Seul son père ne l’a pas encore visionné…
Basquiat a réalisé plus de 1000 œuvres. Comment les avez-vous sélectionnées et ont-elles été une source d’influence pour vous ?
Elles ont toujours été une énorme source d’influence. J’ai vraiment essayé d’être guidée par ses peintures. Ce fut comme une enquête policière : j’ai essayé de percer les mystères de ses toiles et de trouver des indices dans les interviews réalisées. L’ayant moi-même connu et connaissant parfaitement sa voix, j’étais aussi guidée par celle-ci. J’écoutais la musique qu’il aimait comme le Bolero de Ravel ! Il était obsédé par Charlie Parker par exemple et j’ai souhaité que la bande originale soit proche de cette musique. Pendant le tournage, j’ai justement trouvé un morceau intitulé Parker’s mood, une musique très mélancolique mais qui donne envie d’aller de l’avant. Je l’ai découverte dans le métro et j’ai commencé à pleurer en étant persuadée que c’était un message qu’il m’adressait. Plusieurs signes comme celui-ci m’ont permis de réaliser ce film.
Comment avez-vous choisi la musique, assez variée ?
Elle reflète la personnalité de Jean-Michel qui écoutait toute sorte de musique : du jazz, du hip-hop, du classique… Pour le jazz par exemple Concords Records m’a aidé à trouver certains morceaux. Pour la musique composée, il était difficile de l’insérer parmi tous ces tubes donc nous nous sommes beaucoup inspirés de toutes ces musiques et particulièrement du No Wave.
Vous parvenez à décrire avec justesse le New York des années 80 qui est l’autre sujet de votre documentaire. Comment avez-vous procédé pour cela ?
Je voulais ouvrir le film avec cela. En essayant d’immerger l’audience dans cet état d’esprit, avec ce mélange de dangerosité et de destruction. Ce fut une époque où des artistes comme des photographes, réalisateurs, chanteurs pouvaient vivre à l’air libre. Avant le New Wave, il y avait le No Wave et Jean-Michel baignait déjà dedans ! Il était presque le seul noir face à un monde de blancs l’entourant ! Il avait vraiment décidé de quitter son Brooklyn natal pour découvrir de nouveaux horizons.
Pourquoi a-t-il justement fui son environnement familial selon vous ?
Basquiat n’était pas un peintre primitif. Il ne venait pas de la pauvreté et n’a pas eu une mauvaise éducation, tout le contraire. C’est ce que j’ai trouvé de plus fascinant chez lui. Il a tout simplement fait un rejet et il a voulu par lui-même se retrouver dans le besoin.
Pensez-vous qu’il était préparé à connaître une telle célébrité ?
Je pense que personne n’est vraiment prêt à devenir célèbre. Il désirait le devenir et que ses œuvres soient considérées. Mais je ne sais pas s’il était suffisamment conscient que son âme allait être touchée. Il n’appréciait pas les critiques et c’est ce qui le blessait le plus.
Le problème racial est un sujet majeur du film.
Le problème racial était un souci majeur dans les années 80 et il en a aussi beaucoup souffert. Je devais aborder le sujet. Il nous arrivait d’avoir des problèmes à l’époque comme d’être épiés de toute part par tout le monde qui pensait que nous étions des voleurs ou autres. Il était très affecté par ce dénigrement.
Vous venez de présenter votre film au Festival Américain de Deauville. Comment était cette expérience ?
Fabuleuse. Deauville est vraiment un lieu magique. Voir les images de mon documentaire et surtout les peintures de Jean-Michel sur l’immense écran de la salle de projection fut vraiment émouvant. Mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est la réaction du public. Aux Etats-Unis, les spectateurs perçoivent différemment l’humour qui réside dans le film. Mais dans l’ensemble, les gens restent les même au niveau de leur sensibilité. Ce fut la première projection européenne qui plus est.
Pouvez-vous revenir sur votre expérience avec Britney Spears et la réalisation de Crossroads ?
Ce fut un tournage et une expérience unique en son genre. J’ai adoré travailler avec le scénariste Shonda Rhimes qui est devenu le créateur de la série Grey’s Anatomy. Au début, je ne voulais pas faire le film et après l’avoir rencontré, j’ai changé d’avis. Depuis mes débuts dans le cinéma, j’ai eu la chance de travailler avec de grands noms comme Drew Barrimore, Adam Sandler, Britney Spears alors qu’ils étaient au début de leur carrière. Ils sont tous devenus aujourd’hui des icônes, symboles de la nouvelle génération. Cela me fait penser au destin de Jean-Michel qui ne fut pas si éloigné…
[embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=nDFj1qloWz4[/embedyt]
Propos recueillis par Edouard Brane à Paris le 6 septembre 2010
Retrouvez l’entretien en intégralité sur www.cinedouard.com
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...