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Interview de Guillaume Canet et Gilles Lellouche

29 octobre 2010
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« Il faut aimer les gens qui sont autour de nous quand il est encore temps »

Vous avez présenté le film dans de nombreuses avant-premières. Quelles impressions avez-vous à chaque fois ressenties ?

Guillaume Canet : C’est à chaque fois unique. On a fait plusieurs villes comme Caen, Orléans, Dreux… J’ai pu voir qu’il y avait une belle attente sur le film. Même si c’est toujours « bizarre » au début de présenter un film si personnel. Je ne sais pas s’il restera mon film le plus important mais il l’est jusqu’à présent. C’était la première fois que je traitais de sujets aussi personnels tout au long de l’écriture, le tournage et le montage qui a pris d’ailleurs à lui seul presque 9 mois. C’est une gestation : comme faire un bébé. (Rire)

En parlant de bébé, si vous deviez parler d’une échographie qui resterait, une image du tournage, laquelle serait-elle ?

G.C. : Je ne sais pas trop… Il y en a tellement : soit dans la bonne humeur, soit dans la très mauvaise humeur. Peut-être lorsque Jean Dujardin était présent au Cap Ferret : quand nous avons tourné la scène où nous étions tous ensemble pour faire les images vidéo. On était au-delà du cinéma.

Gilles Lellouche : Celle avec la partouzeuse du début ! (rire) Non, je plaisante. C’est la scène de fin. Nous étions en fin de tournage donc tous attristés et nous vivions une sorte de confession. Une séquence qui reste particulièrement gravée dans ma mémoire en tous cas.

Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce film si personnel ?

G.C. : Elle est venue de plusieurs choses. En premier lieu, un séjour à l’hôpital pendant un mois en plein été et où je n’avais vu que deux personnes pendant tous le mois d’août. Puis des évènements de la vie sont survenus où l’on se pose forcément des questions sur soi, sur ce que l’on a envie de faire, les choix que l’on fait. Et il y a eu un séjour dans une maison avec des amis pendant lequel j’ai réalisé que l’absence de communication pouvait véritablement exister au sein d’un groupe. On survole trop les choses les plus importantes en se voilant la face. A côté de cela, j’ai toujours voulu faire un film de potes dans la lignée des Copains d’abord de Lawrence Kasdan. Derrière est venu se raccrocher cette idée de mensonge à soi-même. Je me suis par exemple menti à moi-même en pensant que le travail réglait tous les problèmes, ce qui n’a pas été le cas. C’est ce que j’ai souhaité aborder : comment on arrive à s’arranger des histoires pour faire passer les choses plus facilement.

On sent que vous adorez François Cluzet. Comme le personnage de Benoît Magimel, avez-vous déjà voulu coucher avec lui ?

G.C. : (Rire) La vérité est que j’ai passé par accident une soirée un peu bourré avec François et nous avons sexué nos relations. J’ai donc fait un transfert total… Non, c’est complètement faux. Je trouvais important d’aborder le thème de l’homosexualité car de plus en plus de personnes se sentent obligées de vivre la vie qu’ils n’ont pas envie de vivre. Certains sont obligés de se mentir et de mentir à leurs proches pour éviter de faire face à la réalité. Je souhaitais retranscrire à l’écran toutes ces questions que l’on peut se poser à n’importe quel âge.

petits_mouchoirs_amisGilles, comment Guillaume vous a présenté le projet ? Avez-vous accepté le rôle tout de suite ?

G.L. : J’ai mis un an avant de dire oui… Non, en fait on passe des vacances depuis dix ans au Cap Ferret et à chaque fois, il venait vers moi en me disant qu’il fallait incorporer des moments de nos vies dans un film et en faire une fiction. C’était donc une idée qu’il avait depuis très longtemps. Quand il m’a présenté le scénario, j’ai tout de suite vu la véracité des sentiments et le film que nous allions faire.

Vous avez aussi la particularité d’avoir joué sous la direction l’un de l’autre. (ndlr : Guillaume Canet a joué dans le film Narc de Gilles Lellouche). Quel regard portez-vous sur vos travaux respectifs ?

G.C. : Gilles Lellouche en tant qu’acteur est… (Un temps)

G.L. : Les mots fusent !

G.C. : Non mais ton personnage parle de lui-même dans le film. Je suis totalement fan de lui et je ne pourrais pas le filmer dans le cas contraire. D’autant plus qu’il est très économe puisqu’il est avant tout très bon dans les premières prises. En plus d’être excessivement généreux, sa plus grande qualité est de faire confiance aux autres. Il ne remet jamais en question ce qu’on lui propose ou ce qu’on lui demande et c’est très agréable pour un metteur en scène. Nous sommes de vrais complices et avant tout, nous aimons le même cinéma. Quand nous parlons de certains plans ou séquences, nous faisons le raccourci très rapidement et nous sommes tout de suite en symbiose. Pour aller dans l’autre sens, j’ai aussi tout de suite vu le film qu’il souhaitait faire avec Narco en lisant les premières lignes. Son seul défaut est que je le trouve trop lent et j’attends qu’une seule chose : qu’il tourne son nouveau film.

G.L. : Il faut que je rende à César ce qui appartient à Guillaume maintenant. Je trouve qu’il est certainement la première et peut-être l’unique personne qui m’ait fait confiance dans ce métier à tous niveaux. La preuve avec Narco. Lui non plus n’a pas hésité une seule seconde à camper ce rôle et il s’est réellement investi dans son personnage avec une volonté de casser son image avec un risque courageux. Il a grossi, il s’est laissé pousser une énorme barbe, il a rencontré des narcoleptique à haute dose. Pour être tout à fait honnête, on voit rarement ça dans le cinéma français. Et il n’est pas question que je fasse un autre film sans lui. C’est quelqu’un qui travaille dix fois plus que tout le monde.

Quelles sont vos influences ?

G.C. : Les influences sont toujours inconscientes mais elles sont là. J’ai toujours été influencé par le cinéma américain des années 70 de Sam Peckinpah, aux premiers films de Scorsese en passant par Jerry Schatzberg qui est l’une de mes plus grandes influences ainsi que John Cassavetes.

Vous mélangez les genres cinématographiques et cela transparaît dans vos plans : un plan-séquence au début, une caméra à l’épaule et des plans plus académiques champs contre-champs. Comment avez-vous procédé à ces choix cinématographiques ?

G.C. : Au niveau de la mise en scène, c’est simplement filmé comme je vois les choses. J’écris en musique et les musiques que j’écoute se retrouvent souvent dans le film car elles m’aident à en saisir le rythme. Et quand j’écris la scène en musique, j’écris en parallèle le découpage. Comme je visualise la scène, je sais exactement comment je vais la tourner. Certains réalisateurs préfèrent attendre de découvrir le décor pour placer leurs caméras. Moi, j’image le décor ou je cherche un décor que je connais pour pouvoir filmer la scène comme je l’imaginais.

Avez-vous eu des sollicitations pour aller tourner à l’étranger depuis que vous êtes passés derrière la caméra ?

G.C. : Il y a eu plusieurs propositions depuis Ne le dis à personne qui a bien marché aux Etats-Unis. Il y en a même eu une où je me suis mordu les doigts car c’était il y a trois ans et j’ai dû refuser une commande de Martin Scorsese pour un film qu’il produisait… Je me suis retrouvé dans son bureau, moment irréel tout comme l’a été le jour où j’ai du lui refuser sa proposition car je souhaitais faire Les Petits Mouchoirs. Il y a toujours beaucoup de propositions. Pas plus tard qu’il y a deux jours, on m’a envoyé un très bon scénario pour réaliser un film avec Jodie Foster en me demandant de venir immédiatement le tourner avec seulement trois semaines de prépa. Je suis incapable de travailler comme ça. C’est à l’opposé de ce que je fais. J’ai besoin de temps et d’autonomie. Je ne sais pas travailler avec quinze producteurs qui me disent comment réaliser mon film. Et je ne le pourrai jamais. Donc faire un film aux Etats-Unis oui, mais pas de cette façon. Je suis en revanche en train de coécrire un film avec James Gray que je vais tourner aux Etats-Unis bien qu’il s’agisse d’une production européenne. Je détiens donc le final cut qui est un grand confort et une grande liberté.

Entre Crack, A bout portant, Les Petits Mouchoirs, le nouveau Klapisch… Comment faites-vous Gilles pour autant tourner ?

G.L. : Le nouveau Kad Merad (rire).

G.C. : En fait, il a beaucoup couché pour tous ces rôles.

G.L. : Très sincèrement, j’ai 38 ans et on commence enfin à me proposer des premiers rôles. Quand on a la chance de pouvoir travailler avec Guillaume Canet, Fred Cavayé ou Cédric Klapisch, je ne vois pas comment on pourrait refuser ! Après, il peut y avoir des films comme Crack dont j’aurais pu me passer. Mais pour le coup, je pense que je vais m’arrêter de tourner car je souhaite écrire mon nouveau film afin de le tourner l’année prochaine.

La scène finale est assez stéréotypée et pourtant elle fonctionne et prend le spectateur aux tripes. Comment l’avez-vous travaillé ?

G.C. : C’est excessivement difficile à expliquer car j’étais moi-même en larmes quand je l’ai écrite ! Je raconte quelque chose qui me parle avant tout et j’ai essayé de tourner cette séquence de la même façon : sans prétention. Cela peut paraître lourd mais cela raconte quelque chose. Je l’ai filmé avec la plus grande sincérité possible en espérant que cela paraisse authentique.

Jol_Dupuch_-_petits_mouchoirsUn des personnages les plus touchant est celui de Jean-Louis interprété par Joël Dupuch. Qui est-il ?

G.C. : Joël est un ami depuis plus de dix ans. C’est un vrai ostréiculteur sur le bassin d’Arcachon qui n’a aucune formation d’acteur. Pour l’anecdote, avant la réalisation de Ne le dis à personne, nous avions fait une blague au téléphone à Benoît Poelevoorde où Joël s’était fait passé pour un policier qui le convoquait d’urgence à 8h du matin dans un commissariat du 8ème arrondissement de Paris. Suite à cette plaisanterie, je l’ai invité à jouer dans le film un petit rôle où on peut le voir en forme de clin d’œil. Quand j’ai commencé à écrire Les Petits Mouchoirs, j’ai en revanche tout le long pensé à lui et ce rôle était uniquement fait pour lui.

Dirige-t-on ses propres amis différemment des autres acteurs ?

G.C. : Il y a des avantages et des inconvénients. A la fois, c’est extraordinaire de travailler avec ses amis grâce à notre complicité. Dites-vous que j’étais en CE2 avec Jean Dujardin, j’ai fait mon premier film à l’âge de 17 ans avec Benoît Magimel, je connais Gilles et Marion depuis plus de 14 ans. Donc forcément, tout est plus rapide car chacun est encore plus impliqué. L’ambiance devait être réaliste. Pour cela, j’ai filmé les séquences en continuité avec deux ou trois caméras afin de leur laisser une liberté totale. A partir de ça, je devais de mon côté m’occuper des problèmes techniques et me rappeler du rôle de chacun des huit comédiens. Or une fois la scène terminée, tous continuaient à vivre la scène mais hors champ! C’était donc parfois difficile de s’imposer mais cette complexité était nécessaire. Il nous est aussi arrivé de nous engueuler. Et de part la complicité que j’ai avec Gilles, c’était lui qui s’en prenait le plus. Je lui disais de se taire alors qu’il n’était même pas en train de parler !

Voyez-vous ce film comme une thérapie ?

G.C. : Oui. Quand j’ai commencé le film, j’ai eu une paralysie faciale pendant un mois et demi, c’est pour vous dire. Cela m’a permis de relativiser et de comprendre à quel point la vie était importante et précieuse. J’ai surtout compris qu’il faut aimer les gens qui sont autour de nous quand il est encore temps.

Vous êtes-vous par moment autocensuré ?

G.C. : Justement, il m’est arrivé pendant le montage d’être gêné par certaines choses ou même durant le tournage. Dans les scènes que j’ai réellement vécues par exemple, il y a des moments qui étaient vraiment difficiles. J’ai éprouvé du mal à mettre en scène ces séquences ou expliquer aux comédiens leurs comportements et pensées. Mais ce fut bizarrement plus simple au montage. C’est le but du cinéma : faire les choses avec beaucoup de sincérité. J’ai envie de partager ça avec le public mais on ne peut donc pas se censurer. Quand on fait quelque chose, on le fait jusqu’au bout. Ce film, j’en suis extrêmement fier et je ne pourrai être plus honnête.

La fin rend-elle plus forte l’amitié ? Le passé sera-t-il oublié ?

G.C. : Non. Cela n’efface jamais rien mais cela permet de comprendre certaines choses et de prendre du recul. Chacun a levé son petit mouchoir. Maintenant qu’ils ont avoué leurs vrais sentiments, ils vont enfin pouvoir voir la vie autrement et arrêter se voiler la face.

Propos recueillis par Edouard Brane à Paris le 22 septembre 2010
Retrouvez l’interview en intégralité sur www.cinedouard.com

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Les Petits mouchoirs

Un film de Guillaume Canet

Avec François Cluzet, Marion Cotillard, Benoît Magimel, Gilles Lellouche, Jean Dujardin, Laurent Lafitte, Valérie Bonneton et Pascale Arbillot

Sortie le 20 octobre 2010

 

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