Cannes en direct – Mick Jagger
“Mick était rock, et moi j’étais roll“. Une simple phrase, balancée comme un scud en mode mineur, et l’on sait immédiatement où l’on est. Sur la planète Stones, version Keith Richards, mais en voix off. De celle qui, magnétique, cosmique, peut vous télétransporter, par grand écran interposé, du rythme synthétique de la Croisette 2010 aux riffs bluesy, inouïs, d'”Exile on main street”, leur album mythique enregistré à Villefranche-sur-Mer en 1971. Et en effet : s’il y avait un lieu – archi comble donc archi convoité – où il fallait être ce mercredi 19 mai, c’est bien au Théâtre Croisette, puisque la Quinzaine des réalisateurs accueillait, en avant-première mondiale, le documentaire de Stephen Kijak, “Stones in exile”. Précisément consacré, photos signées Robert Frank et Dominique Tarlé à l’appui, à cet enregistrement aléatoire et fabuleux, dans la sulfureuse Villa Nellcote, sise dans le Sud de la France…
Allez, soyons fair-play, si les quelque 850 festivaliers présents – capacité maximale de la salle de projection – ont enduré sans broncher plus d’une heure de file d’attente en plein vent, ça n’est pas exactement pour satisfaire leur appétence cinéphile. Quand bien même la voix classieuse de Keith allumerait n’importe quelle image… Non, ce qui a détourné du Palais, donc de la compétition officielle, cette nuée de journalistes, fans absolument transis dans tous les sens du terme, c’est… la présence en “live”, à Cannes, de l’incomparable Mick Jagger (en même temps, il est un peu le coproducteur du film, voyez…). Qui, pour le coup, a gentiment fait son cinéma. Ni trop, ni trop peu : “En 1971, nous étions beaux, jeunes et stupides, à présent nous ne sommes plus que stupides“, a-t-il plaisanté, d’emblée, dans un français divinement accentué (l’a-t-il appris pendant cette période d’exil hexagonal, harcelé, alors et notamment, par le fisc de sa mère patrie, la swinging Angleterre ?).
Mick, homme brindille
Coucou le revoilou : une fois la projection achevée – une petite heure, enlevée, même si l’image des Rolling Stones y est gentiment lissée – le rocker lippu, perché sur des baskets blanches et argent que n’aurait pas reniées un rappeur à ressort, a prestement accordé cinq ou six réponses souriantes à cinq ou six questions bredouillantes. Et puis s’en est allé. Mirage sexy (en dépit de ses 67 ans), presque aussi fugace qu’une image de cinéma… “L’idée de ce film, au départ, c’était de l’inscrire dans son époque, avec Nixon à la Maison Blanche, la guerre du Vietnam et Eddy Merckx qui gagnait le Tour de France, et nous qui ne connaissions rien de tout cela, enfermés à faire ce disque à Villefranche“, prenait-il quand même le temps d’expliquer. Pas sûr, néanmoins, que les historiens des glorieuses “early seventies” ne soient convaincus – l’époque est survolée – ni les exégètes des Stones rassasiés (quid du fameux film interdit de Robert Frank, “Cocksucker blues”, tourné dans la foulée ?).
C’est égal. Le bout rock du roller autrement plus extravagant qu’est Keith Richards est aussi gracieux que rapide… en interview. Pro, disons. Il ne fera donc qu’affleurer la part d’intime que révèlent ces bouts de film tournés en super 8 (beaucoup de monde, beaucoup de dope, beaucoup de répèt, jour et nuit, dans les sous-sols de cette villa de milliardaires…) : “Pour moi, c’est un peu comme quand on regarde les images d’un album familial, que l’on n’avait pas vues depuis longtemps. Il n’y a pas de nostalgie. On se dit juste, c’était super, mais c’est du passé”, conclura cet homme brindille, léger à tout point de vue, avant de signer joyeusement quelques autographes à la volée.
De fait, la galaxie rock, surtout quand elle parvient comme les Stones à tutoyer les étoiles depuis plus de 45 ans, s’embarrasse assez peu de sentiments. Les plus nostalgiques dans l’histoire (et de l’histoire) resteront toujours les fans, journalistes ou pas. Et ils n’ont pas tort : au sortir de cette rencontre en forme d’apparition, Le Grand Journal de Canal +, réalisé en direct chaque jour non loin sur la Croisette, annonçait à grand renfort de hauts parleurs saturés un morceau du groupe Indochine en “live”. Retour (brutal) à la réalité. Oups, courage fuyons…. Rien ne vaut “Exile on main street”, musicalement et… littéralement !
Ariane Allard
“Stones in exile” sera diffusé sur France 5 le 10 juin à 20h35.
Micro-trottoir Stones in Exile from Quinzaine / Directors’ Fortnight on Vimeo.
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