Cannes en direct – Le palmarès
Radical mais, d’une certaine façon, bien pensant. Tim Burton, cinéaste formidablement populaire, surtout depuis son Alice au pays des merveilles, restera donc dans l’histoire du Festival de Cannes comme le président ayant attribué la Palme d’or à l’un des cinéastes les plus… expérimentaux du monde, célébré, comme il se doit, par la cinéphilie la plus pointue qui soit. Apichatpong Weerasethakul, auteur du très lent, hiératique quoique sensuel Oncle Boonmee celui qui se souvient de ses vies antérieures, est, de fait, un artiste plasticien thaïlandais aussi reconnu (par le milieu) que confidentiel (il est arrivé sur La Croisette sans distributeur pour son nouveau film).
Pas sûr que cette Palme surprise – seuls les Inrocks et Les Cahiers du cinéma le donnaient gagnant, en toute logique, dans leurs pronostics – parvienne, néanmoins, à convaincre le grand public des bienfaits de sa sagesse orientale très… alternative, sinon désorientante. Tim l’échevelé et son jury composite ont opté, en tout cas, pour une œuvre en marge des préoccupations dominantes de cette 63e édition. Une édition essentiellement traversée par la crise (économique) et ses dommages collatéraux (la souffrance, l’explosion des liens familiaux, la pauvreté, le retour de la barbarie, voire le martyre…). Et, parallèlement, pour un objet filmique qui trouvera sa place… essentiellement dans d’autres festivals.
French touch
Radical mais, d’une autre façon, sympathique : c’est peu dire, par ailleurs, que le palmarès 2010 a servi les Français. Et bien. Prix joyeux, ému, légitime, de la mise en scène pour Mathieu Amalric et sa Tournée déambulatoire, foutraque, très juste au fond (en salle le 30 juin). Prix d’interprétation féminine pour Juliette Binoche, seul véritable atout, en effet, du très artificiel Copie conforme d’Abbas Kiarostami, grand cinéaste iranien en petite forme sur ce coup. “Ta caméra est celle qui m’a révélé à mon féminin“, lui a lancé la star Binoche, qui, par ailleurs, a reçu cette récompense avec le naturel – l’évidence – et le professionnalisme qui conviennent à son statut (l’hommage au cinéaste iranien emprisonné, Jafar Panahi, indispensable, en effet)…
Et Grand prix du jury, enfin, au gracieux Des hommes et des dieux, de Xavier Beauvois : l’un des trois films de la compétition qui a fait d’emblée l’unanimité sur La Croisette parmi les Festivaliers (en salle le 8 septembre). Une œuvre qui, pour le coup, cumule l’atout d’être un véritable travail d’auteur – dans la modestie – tout en distillant un message de fraternité susceptible, lui, de toucher le plus grand nombre. A noter, toujours dans cette catégorie « French touch » que la Palme d’or du court-métrage a également été attribuée à un réalisateur français, le comédien Serge Avedikian, pour Chienne d’histoire. Pas mal pour ce petit pays cinéphile… L’un des rares, en Europe, qui résiste, quoi qu’il en soit…
Sans Mike
Radical mais, de toutes les façons, lacunaire : même si cette cuvée 2010 n’a pas franchement emballé les professionnels qui s’y sont frottés (journalistes et/ou acheteurs et/ou distributeurs) tout au long de ces douze jours de compétition, les choix de “Burton and co” laissent sur le côté deux noms, au moins. On peut le regretter, quand bien même un palmarès est, et ça fait partie du jeu, le lieu de toutes les subjectivités (d’autant plus quand le jury est international). Certes, on est content, évidemment, pour les deux comédiens – Javier Bardem et Elio Germano – récompensés pour leur prestation (impeccable, c’est vrai). Cela dit, à travers ce trophée partagé, ce sont deux longs métrages moyennement convaincants – Biutiful et La nostra vita – qui sont célébrés. Et ça, c’est un peu plus dommage. Surtout, “oublier” le britannique Mike Leigh qui, avec son émouvant quoique cruel Another year, était un postulant convaincant, voire emballant : voilà qui ne va pas réconcilier le Festival de Cannes avec les a priori trop souvent formulés par le grand public à son encontre. Et ça, c’est encore plus dommage !
Une Palme, au pire un prix d’interprétation féminine (moins… évident que pour “la” Binoche, donc finalement plus audacieux) à sa comédienne Lesley Manville, auraient satisfait tous les festivaliers (nombreux) qui ont été saisis, durablement, par cette chronique de la petite bourgeoisie faussement compassionnelle. Et puis ? Et puis, enfin, quid de l’Ukrainien Sergei Loznitsa ? Avec “Mon bonheur”, allégorie dense, exigeante, mais soufflante de maîtrise (c’est un premier film) sur le retour de la barbarie, dans la Russie d’aujourd’hui, ce quasi-inconnu a fait, indubitablement, une vraie proposition de cinéma. Originale, voire inédite. Lui attribuer un prix – Palme ou caméra d’or au moins – eut été à la fois plus radical et nettement moins “bien pensant” – disons “main stream” – que cette première marche du podium offerte, comme en gage d’une cinéphilie appuyée, un peu maladroite en fait, à l’aimable quoique très… lointain Apichatpong Weerasethakul.
Ariane Allard
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