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Le Pont des Espions : ce héros au sourire si doux

6 décembre 2015
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espions

Le Pont des Espions

De Steven Spielberg

Avec Tom Hanks, Mark Rylance, Scott Shepherd, Amy Ryan, Austin Stowell.

Sortie le 2 décembre 2015

Durée : 132 min

190793Sortie le 2 décembre 2015

Thriller d’espionnage politique, Le Pont des Espions évoque grâce à une réalisation contrastée une affaire délicate de la Guerre Froide, où resplendit encore une fois le bon vieux mythe spielbergien du héros ordinaire. Un film intéressant, bien qu’un peu empesé par la traditionnelle dose de patriotisme américain chère au divertissement hollywoodien.

1957, James Donovan est un brillant avocat d’affaires dans un prestigieux cabinet new-yorkais. Ses employeurs se sont vus confier un cas délicat : la défense d’un espion soviétique présumé, alors que la Guerre Froide gèle les rapports entre les États-Unis et l’URSS. Donovan se fait refiler le bébé à contrecœur et hésite longuement à le balancer avec l’eau du bain. Mais lorsqu’il réalise que l’affaire est jugée d’avance et que tout le monde est bien décidé à condamner le traître, si possible à mort, le sens de la justice de l’avocat s’éveille. Donovan se prend de passion pour l’affaire à mesure qu’il se prend de sympathie pour le vieil espion.

Des secrets livrés ou non à la Russie par celui-ci, on ne saura rien. Le personnage, bien qu’enjeu capital de l’intrigue, est somme toute secondaire et restera énigmatique, d’autant qu’il refusera toujours d’avouer quoi que ce soit. L’intérêt de cette310176 première partie du film, centrée sur la campagne menée par Donovan pour assurer la défense de son client et lui éviter la peine capitale, réside dans la relation de l’avocat à son entourage, à l’espion, à l’Amérique, durant cette période où, se tenant aux côtés d’Abel, il est unanimement perçu comme complice de sa violation de l’idéologie américaine.

Défendant l’espion au nom d’un idéal de justice, qui veut que chacun ait les mêmes droits et soit à égalité devant la déesse aveugle, Jim Donovan est alors attaqué sur le terrain personnel : dans sa maison, vandalisée à coups de parpaings dans les vitres ; dans le métro, où la foule le fusille du regard ; à sa table, où femme et enfants lui reprochent de défendre un activiste anti-américain 189856au mépris de sa propre sécurité et de celle de sa famille : à son bureau, où il reçoit des lettres d’insultes et se voit tout à coup snobé par sa hiérarchie, qui le trouve trop zélé. Paradoxalement, compte-tenu de la nature du sujet et du goût du cinéma américain pour les films de procès, on ne le verra que très peu au tribunal. Ce choix de ne pas rendre le personnage héroïque par sa grandiloquence et la seule force d’une plaidoirie prompte à remporter toutes les victoires n’est bien sûr pas innocent ; Spielberg prend ainsi le parti d’ancrer l’héroïsme de son personnage dans le quotidien. C’est parce qu’il ne cédera jamais face aux tentatives d’intimidation personnelle, que ce soit les attaques de vandales, les insultes d’un policier ou les reproches du juge, que Donovan apparaît toujours comme un personnage digne et droit, emblématique de la morale et de la justice américaine, seule justice vertueuse quand son homologue russe est inique. (Les scènes de torture du pilote Gary Powers vs les bons traitements d’Ab100958el en prison et le respect mutuel qui s’installe entre client et avocat).

Après tout, le cinéma de Steven Spielberg n’a jamais fait autre chose que de proclamer l’héroïsme du quidam lambda ; de l’archéologue de Jurassic Park à l’ex-mari repentant de La Guerre des Mondes en passant bien sûr inévitablement par Schindler, qui sauva 1200 Juifs des camps de la mort.

Avec Schindler, le personnage de Jim Donovan partage d’ailleurs l’autre caractéristique d’avoir vraiment existé et laissé son empreinte dans l’Histoire en ayant été l’un des principaux protagonistes d’un important échange d’espions, au cœur de la deuxième partie du film.

Là encore, c’est en tant qu’homme ordinaire et « simple citoyen » – il ne cessera de le répéter – qu195794e Donovan est sollicité par les services secrets pour conclure ce dangereux marché. Il lui faut alors échanger Abel aux Soviets contre un pilote d’avion-espion américain, Gary Powers, et Frédéric Pryor, un étudiant en économie ayant eu la mauvaise idée de se trouver trop près du Mur de Berlin un matin de l’année 1961.

La caméra nerveuse de la première partie du film, enchaînant les plans, raccordant une séquence dans le mouvement de la précédente, dont l’esthétique renvoie aux thrillers politiques des années 70 (comme Les Trois Jours du Condor ou Conversation Secrète, par exemple) cède la place à une réalisation 194543plus calme, posée dans l’ambiance feutrée mais lourde de sous-entendus des salons d’ambassade. Les tensions sont alors dans les dialogues, parfois mordants (sans doute grâce à l’influence de Joel et Ethan Cohen, co-scénaristes du film aux côtés de Matt Charman) ; dans les regards entre les espions qui se jaugent ; dans les gestes soupçonneux, où le simple fait de tendre un verre de whisky à l’autre peut être perçu comme une menace.

Le contraste entre ces deux temps de mise en scène est habile et la vision des relations diplomatiques américano-soviétiques qui en découle plutôt intéressante, alors que nous vivons une période de fortes tensions entre l’Amérique hégémonique d’Obama et la Russie conquérante de Poutine. On pourra alors regretter le manque de subtilité avec laquelle Steven Spielberg profite de l’occasion p048082our réaffirmer la suprématie des valeurs américaines, érigées en seul système de justice valable, où, malgré une opinion défavorable, le Traître / l’Étranger sont tout-de-même traités comme des citoyens de plein droit quand ailleurs ils sont maltraités ; le seul à faire le même cas du soldat tombé et de l’individu anonyme, tant qu’il s’agit de défendre la liberté. Mais après tout, que serait le divertissement politico-cinématographique américain sans son enrobage de sentimentalisme patriotique ?

Raphaëlle Chargois

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[Crédits Photo : © 2015 Twenties Century Fox]

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