To Rome With Love – comédie de Woody Allen
Depuis 2005 et son fameux Match Point, Woody Allen, cinéaste qui a tant loué New York et le jazz dans sa prolifique filmographie, se promène de capitale en capitale européenne, tentant d’en capter la vibration particulière, le rythme propre, la note qui lui donne son âme. Pour ce faire, il n’hésite pas à brasser les clichés, se perd dans les souvenirs et les époques. Ainsi, Minuit à Paris était un délassement visuel dans le Paris rêvé de la Génération Perdue, totalement dépourvu de fond scénaristique. Mais il pouvait se savourer ainsi, à condition de n’être pas trop exigeant : après tout il y était question de fantasme artistique, et par définition on n’analyse, ne dissèque ou raisonne un fantasme.
Après Paris, toutefois, c’est à Rome que Woody Allen a décidé d’emmener son cinéma. Une Rome où tout le monde se perd, et qui palpite justement parce qu’elle est habitée par ces errances. Surtout sentimentales bien sûr, car à plus de soixante-dix ans, le réalisateur n’a rien perdu de son goût pour le marivaudage, les passions illusoires et les intellectuelles névrosées qui les suscitent.
A Rome, il nous fait donc suivre en parallèle quatre histoires. D’abord, une touriste américaine et un avocat idéaliste tombent amoureux. Mais tout se gâte quand ils décident de faire se rencontrer leurs parents respectifs : le père de la jeune femme — incarné par un Woody Allen en pleine auto-parodie — est un metteur en scène d’opéra raté qui décèle dans le père de son futur beau-fils le prochain Caruso. Le problème majeur est que le nouveau talent, entrepreneur de pompes funèbres de son état, ne parvient à révéler l’étendue de sa maestria vocale que lorsqu’il se savonne sous la douche ! (Des quatre histoires qui nous sont contées, celle-ci est sans doute la plus absurde, la plus créative, et donc, la plus géniale, il faut le souligner).
A la suite de quiproquos vaudevillesques, un couple en plein voyage de noce se trouve séparé dans la confusion de la ville. Alors celle-ci absorbe et bringuebale les jeunes amants au gré de rencontres adultères aussi impromptues qu’excitantes.
Et puis il y a Leopoldo, « le premier corniaud venu » qui devient du jour au lendemain une célébrité, sans avoir rien accompli de spécial et sans avoir rien demandé. Il découvre alors combien il est difficile et déstabilisant de vivre sous les feux de la rampe, gloire éphémère d’une société du spectacle qui se repaît du vide de la vie d’un de ses congénères pour mieux oublier sa propre vacuité.
Enfin, un aspirant architecte s’amourache de la meilleure amie, actrice névrosée, de sa compagne docile. Et ce malgré les mises en garde d’un étrange personnage ; son mentor, un architecte renommé qui vit et commente toute l’aventure à ses côtés, invisible et hors du temps, sorte de Jiminy Cricket nostalgique et blasé.
Emaillée de moments très drôles — notamment les représentations d’opéra où l’assistance est médusée par la prestation d’un chanteur lyrique en cabine de douche — cette comédie est à la fois savoureuse et amère. Evoquant beaucoup le thème de la mort — notamment par le biais du personnage de Woody Allen, à qui sa psychanalyste d’épouse ne cesse de répéter qu’il cherche à tout prix à monter un dernier spectacle parce qu’il assimile la retraite à la mort et ne supporte donc pas l’idée de se retirer — le réalisateur poursuit un fantôme. Celui de son propre cinéma, dont les thèmes de prédilection et les vieilles obsessions s’étiolent à travers cette fuite romaine. Plus sûrement allégorique que réel, le personnage d’Alec Baldwin, confronté à la mise en abîme de sa propre jeunesse, est un fantôme perdu dans un théâtre d’ombres. Une représentation dans une représentation. Le prologue et l’épilogue mêmes du film, assumés par deux narrateurs différents, observateurs anonymes de ces petites histoires intramuros, en clament le caractère factice. Et c’est là que le rire provoqué par les saynètes les plus amusantes de cette comédie mineure dans la filmographie d’un cinéaste majeur, rentre dans la gorge du spectateur averti : car cette carte postale romaine n’a pas la grâce du troublant Manhattan ; ne recèle pas la cinéphilie de La Rose Pourpre du Caire ; n’atteint pas la fantaisie délirante de Zelig ; ni la causticité d’Harry dans Tous Ses Etats ; ne contient pas même la fibre romanesque de Tout le Monde dit I Love You. C’est une pantomime, certes plaisante en surface, où ce même Woody Allen, dont le personnage interpelle le croque-mort / chanteur lyrique en lui reprochant de ne pas fréquenter suffisamment les vivants, momifie son œuvre et s’appesantit dans sa contemplation nostalgique.
C’est peut-être d’ailleurs en ce sens qu’il faut comprendre la passion de certains des personnages pour les ruines et les orages, autrement dit les traces de grandioses civilisations désormais déchues et les moments où même le ciel éclate. Les atermoiements romains de Woody Allen ont finalement le goût amer des regrets ; les opéras qui s’y jouent et y retentissent sonnent comme des rires trop vite ravalés.
Raphaëlle Chargois
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Toiles du Sud – Festival du Rocher de Cotignac 2012 (du 17 juillet au 17 août)
To Rome With Love
De Woody Allen
Avec Alec Baldwin, Penelope Cruz, Roberto Benigni, Jesse Eisenberg, Ellen Page…
Durée : 111 min.
A découvrir sur Artistik Rezo :
– les films à voir en 2012
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