Le Magasin des suicides – film de Patrice Leconte
Dans une cité triste et grise, en proie au désespoir le plus absolu, la famille Tuvache tient un lucratif commerce : Le Magasin des Suicides, où tout le nécessaire est vendu pour bien réussir sa propre mise à mort, et ainsi passer en toute quiétude de vie à trépas. Jusqu’au jour où, au beau milieu de cette sinistrose ambiante, naît le petit Allan. Véritable anomalie, le cadet des Tuvache est un enfant souriant, un concentré d’optimiste qui inspire la joie de vivre aux clients de la boutique, et pourrait donc par son aura euphorisante, sérieusement ruiner le commerce familial.
Patrice Leconte adapte ici, pour son incursion dans le genre du dessin animé, le petit roman à succès de son ami Jean Teulé, Le Magasin des Suicide, best-seller au succès duquel pourtant personne ne croyait au départ. C’était un pari néanmoins risqué, car comment faire rire avec un sujet aussi houleux, aussi macabre et aussi inconfortable que le suicide ?
La réponse de Patrice Leconte est le décalage constant. Décalage qu’apporte tout d’abord le simple parti pris d’en faire un dessin animé ; mais aussi et surtout son aspect musical exacerbé. Certes, l’aspect chanté pourrait sembler s’avérer, depuis que les studios Disney ont pris l’habitude de faire déclamer leurs sentiments aux personnages sur toutes les notes et dans tous les tons, une caractéristique désormais presque inhérente et nécessaire au genre du dessin animé, voire plus généralement, du film d’animation. Cependant, y recourir comme à un systématisme est souvent bancal et dangereux, voire nuisible au film : en cherchant tout prix à placarder des chansons sur les animations, bien souvent on les vide de sens, on atténue la portée de l’image.
La musique devient un ornement superflu, soulignant alors les lacunes et la vacuité du film, l’impuissance de l’image. Or ici, Leconte donne une vraie portée à cette partie chantée ; il en fait un véritable outil de la narration, complémentaire à l’image et non pas superposée à elle. Voir ces personnages chanter la misère de leurs destins funestes devient alors un enchantement.
Enchantement renforcé par l’utilisation plus que judicieuse de la technique 3D, qui n’est pas employée de façon à tenter d’établir un quelconque critère de réalité, objectif dans l’effet duquel le procédé tombe souvent à plat ; mais au contraire pour renforcer l’aspect carton-pâte du dessin animé. Il lui donne ainsi un aspect poétique et ludique, qui achève de dédramatiser l’ensemble : Oui, le suicide est un sujet sérieux, mais le film a l’intelligence de ne pas se prendre au sérieux. Il ne porte pas de jugement de valeur ; n’essaie pas de délivrer de message sur la qualité de la vie, gangrénée ou non par la désespérance ; il n’est pas politiquement correct. Mais pour toutes ces raisons, il est profondément réjouissant. Et le meilleur moyen de désarmer le désespoir, après tout, n’est-il pas le rire ? « Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » déclarait ainsi Figaro au Comte Almaviva, dans Le Barbier de Seville.
Leconte a ce talent-là. Faire rire avec le plus grave des sujets : cette perte inexplicable de l’envie de vivre, ce mal-être inconsolable, sans chercher à atténuer la gravité de ce malaise social ; sans revendiquer aucune prétention sociologique non plus. Pour mieux exalter le goût, la saveur de la vie, que le petit Allan va s’échiner à faire retrouver à tous. Ce mélange détonnant d’humour noir, de poésie macabre, de chansons tristes et drôles, dans une esthétique graphique superbe et léchée n’est bien sûr pas sans évoquer l’univers de Tim Burton au meilleur de sa forme. Et ce n’est pas le moindre des compliments que l’on puisse faire à Patrice Leconte, à qui le dessin animé semble apporter un délectable renouveau. Ce Magasin des Suicides est donc une petite friandise, à déguster sans modération, idéale pour repousser les idées noires en ce pluvieux automne.
Raphaëlle Chargois
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De la page à l’image – festival du Film du Croisic 2012 (du 9 au 16 octobre)
- Longs métrages en compétition
Le Magasin des suicides
De Patrice Leconte
Voix originales de Bernard Alane (Mishima), Isabelle Spade (Lucrèce), Kacey Mottet Klein (Alan), Isabelle Giami (Marilyn), Laurent Gendron (Vincent), Pierre-François Martin-Laval, Eric Métayer (le Psy & sdf) et Jacques Mathou (M. Calmel & M. Dead for Two)
Durée : 79 min.
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