« Chère Chair » – Farida Le Suavé et Jeremy Stigter – Galerie Maria Lund
La chair fait lien. Lien entre les différentes parties d’un corps. Lien entre les êtres. Nous sommes, car en chair : chair tendre, chair molle, tendue, débordante, fraîche, défraîchie, vibrante, palpitante. La chair est au-delà du battement du cœur.
Sources de passion, d’obsession, de fascination, de terreur – la quantité, les formes et les propriétés de la chair nous préoccupent. Première topographie, elle est éveil, titillant notre curiosité, nos sens, nos envies de pérégrinations, servant nos besoins de communication, de communion et de transcendance. Parfois la chair n’est que douleur… Il arrive aussi qu’elle nous répugne. Chère chair scrute cette matière qui fait de nous ce que nous sommes. Les volumes de Farida Le Suavé sont ambigus et dynamiques : chairs désireuses, langoureuses, ou renfermées sur elles-mêmes, fuyantes… Quant aux photographies de Jeremy Stigter, elles prennent leurs distances avec la chair malgré un objectif placé au plus près du corps, si elles ne la montrent avec une certaine dérision. Formes lumineuses, obscurités profondes, ombres délicieuses voire suggestives… L’œil est perturbé, il y cherche ses repères.
Les sculptures de Farida Le Suavé respirent. Leur couleur peau au toucher satiné déclenche inévitablement des associations au corps, à l’organique et parfois au pot – le corps comme contenant avec ses orifices. Des strates de chair – de terre – se superposent depuis leur base comme l’embryon se démultiplie à partir de son quasi-rien. Les formes ainsi créées sont généreuses, tendues, ridées – portées par un souffle ou au contraires essoufflées, sur le point de ne plus tenir… Ces oeuvres mettent en avant la chair comme territoire de l’être, comme identité malgré nous. Elles sont humaines en ce qu’elles incarnent la contradiction, de la caresse à la destruction, de la chair – terrain de jeu et de réconfort – à la chair abandonnée, désespérée de n’être plus que chair. En quête d’autres chairs (Enlacé, 2019) ou véhicule déclencheur de liens impénétrables entre micro- et macrocosme (Coup de foudre, 2019) la chair des œuvres de Farida Le Suavé exprime aussi avec force le registre si complexe du désir, comme dans Deux pots (2005) – paraphrase de Daphné et Apollon du Bernin. Fragments, bribes, recoins…
Jeremy Stigter a plié, déplié et survolé le corps féminin. En observateur quelque peu taquin, il déjoue l’attente, la tentation de se livrer à ce qui serait si évident devant un corps qui respire la sensualité. Il est allé en explorateur, pour offrir des visions à la lisière de l’abstraction où la lumière est sujet, autant que l’anatomie. Il y a la forme, la chair vive qui éclaire, reflète et se fait un instant sa place dans l’anonymat de l’obscurité. Cet ensemble de tirages argentiques au titre prosaïque Quelques nus, oblige à regarder pour mieux voir ou mieux se perdre. La série Cafouillages, quant à elle, est frontale, directe. Le photographe s’est glissé avec un éclairage banal devant le corps d’un homme nu identique au sien : poses, jeux, théâtralité et détente. Un homme regarde un homme, joue avec, à moins que ce ne soit l’inverse… L’objectif saisit des surfaces de tout près ; il se focalise sur un fragment – une hanche, encore une hanche – ou invite un visage en superposition. Trash, raffinement, découverte, confirmation. Peut-on se regarder tout en chair ?
Vernissage le jeudi 23 mai de 18h à 21h en présence des artistes
[ Source : communiqué de presse ]
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