Bruno Peinado – Tatitati tatata tatiti ti, un code dans la ville – Rennes
Commande privée initiée par le Groupe Legendre dans le cadre de la réhabilitation du bâtiment culte des années 70 La Mabilais, symbole de l’architecture moderniste et référence du patrimoine rennais, elle s’inscrit définitivement comme un nouveau souffle dans la ville, tel un phare communicant avec ses habitants.
Réalisé par l’architecte visionnaire français Louis Arretche (1905-1991) entre 1970 et 1973, La Mabilais, bâtiment titanesque de 17000 m2 d’inspiration futuriste, à l’imagerie de science-fiction, s’impose dans le paysage rennais tel un vaisseau spatial posé dans la ville. Installé sur le site d’anciens abattoirs, destiné à l’origine aux télécommunications (il accueille jusqu’en février 2008 le siège de la direction régionale et territoriale de France Télécom et ses 500 salariés), il offre une architecture typique des années 70. La fonction du Centre des télécommunications exigeait la construction d’une antenne hertzienne de grande hauteur à laquelle l’architecte ajouta une plateforme de contrôle à 60 m de haut, qui prit alors la forme d’une soucoupe volante. Son plan, ses détails, ses façades sont autant de réflexions sur une pensée urbaine que sur la qualité de ses espaces de travail. La Mabilais est à la fois un bâtiment qui se laisse voir, par ses dimensions et sa forme si particulière en étoile, tout en créant une distance avec son environnement proche. Il a en effet été construit sur une plateforme, protégeant le parking mais aussi détachant le bâtiment du sol. Cette volonté s’explique par la présence de la Vilaine et de ses crues mais également dans un souci de protection des activités liées aux télécommunications. L’immeuble joue d’ailleurs de son reflet dans le fleuve afin d’accentuer sa monumentalité. Coiffé de son pylône, il marque l’entrée du centre ville et bénéficie d’une grande lisibilité depuis le pont Robert Schumann mais aussi depuis la place de Bretagne. Il représente donc à la fois un symbole de taille mais également un repère et un point d’ancrage évident d’un territoire urbain.
Le projet de réhabilitation du site a été pensé de manière à respecter l’architecture originelle de Louis Arretche et à lui redonner son éclat d’origine. L’agence d’architecture Unité s’est ainsi attachée à conserver les codes architecturaux initiaux malgré une restructuration complète du bâtiment : forme en tripode, fenêtres arrondies et maintien de la tour de la plateforme. L’ensemble de la structure en béton a été conservé. Le béton de la façade a été lavé à haute pression et hydrofugé afin de mettre en valeur sa couleur originelle. Celui des soubassements a été lasuré. Le pylône a été abaissé de 1,3 m, atteignant une hauteur de 83 m permettant d’éviter le balisage de jour et de nuit. Trois jardins imaginés par l’agence Phytolab, spécialisée en paysage et environnement, viennent par ailleurs habiller les pourtours du bâtiment.
L’intervention de Bruno Peinado, autant symbolique que physique, s’intègre dans cette dynamique de réhabilitation respectueuse du lieu et de sa figure emblématique. L’artiste a ainsi décidé « d’accompagner ce site plutôt que de le contredire, de s’inscrire dans sa plasticité extraordinaire plutôt que d’imposer une forme ». À travers son installation, il propose une version réinterprétée du phare. Par des jeux de lumières et de peintures, l’antenne, la soucoupe et le bâtiment de Louis Arretche sont animés d’une respiration et semblent vouloir communiquer avec la ville et ses habitants.
L’antenne et la soucoupe volante, les deux éléments porteurs de signes, sont en effet sublimées, en grande partie repeintes, le haut de l’antenne et la partie inférieure de la soucoupe en doré. Réanimées, elles se connectent entre elles et avec la ville. Le fait de peindre n’est pas anodin pour l’artiste. Il s’agit d’une part d’un accompagnement du programme de rénovation du bâtiment, et d’autre part de relier l’acte pictural d’un artiste à celui du peintre en bâtiment qui les projette finalement l’un et l’autre dans un dialogue avec ce qui les entoure. Le choix du blanc et du doré n’est pas non plus laissé au hasard.
Leur emploi participe de ce désir de la modernité depuis le Bauhaus d’aller à l’essentiel, de signifier une attention par une intervention simple et radicale. Leur luminosité, et notamment les reflets de lumière engendrés par le doré, peut par ailleurs autant jouer avec un ciel ensoleillé, ou s’y fondre, que réchauffer ou égayer un ciel terne.
Dès la tombée de la nuit, plusieurs projecteurs s’activent et viennent éclairer, de manière variable, la partie haute de l’antenne ainsi que le ventre de la soucoupe. Cette respiration lumineuse, rappelant celle d’un ordinateur Mac, est basée sur le rythme de la respiration humaine. Tel un phare urbain surgissant dans la pénombre, l’antenne se dresse alors comme un nouveau repère, accentuant encore davantage la verticalité du bâtiment chère à son concepteur. La Mabilais semble se réveiller comme un nouveau souffle dans la ville, au moment où ses occupants (le site ayant été fermé pendant de nombreuses années), travailleurs du jour, quittent quant à eux le navire.
Une communication mystérieuse s’établit alors avec la population. Le toit de l’antenne envoie en effet des éclats blancs de lumière. Utilisant le SCOTT, le code morse lumineux en service dans la marine depuis le 19ème siècle, la tour, qui fait par ailleurs référence à l’imaginaire de Stanley Kubrick dans son film « 2001 L’Odyssée de l’espace », transmet de manière aléatoire des messages codés aux habitants, telles des bouteilles jetées à la mer. L’artiste a toujours été passionné par les codes secrets : Champollion éclairant le mystère des hiéroglyphes dans le noir de la pierre de Rosette, ou le professeur Lidenbrock chez Jules Verne faisant découvrir l’entrée du centre de la terre grâce à un message lu à l’envers. Le titre même de l’oeuvre : Tatitati tatata tatiti ti, un code dans la ville, fait référence au code morse, les séquences de « ti » et de « ta » signifiant en effet, en morse, le mot code. La tour envoie donc dans le ciel rennais, dès la nuit, des messages subliminaux et bienveillants dont l’artiste garde le secret. Le bâtiment se retrouve entièrement plongé dans l’imaginaire de science-fiction.
Ce phare urbain, oeuvre pérenne, nous donne ainsi des pistes de narrations autant liées au génie de ce lieu dédié aux télécommunications qu’à l’aventure de l’informatique, des sciences et des fictions. Le code morse lumineux nous invite à repenser que l’art, même s’il peut paraître hermétique, est un message que l’on peut déchiffrer. Tous les codes ont toujours été cassés, mais certains gardent encore leur part de mystère. À travers son installation, Bruno Peinado se réapproprie les signes culturels issus de notre monde contemporain. En élaborant des processus, il interroge le rapport que nous entretenons avec ces signes et réinvente un environnement symbolique à partager.
Bruno Peinado est né en 1970 à Montpellier. Il vit et travaille à Douarnenez (Bretagne) et ailleurs. Depuis 1999, il a eu de nombreuses expositions personnelles, à l’étranger : PS1, New York, Casino Luxembourg, et en France comme à Paris au Palais de Tokyo, et a par ailleurs participé à plusieurs biennales d’art contemporain telles celles de Sao Paulo, Istanbul ou Lyon. Il est représenté en France à Paris par la Galerie Loevenbruck, à l’étranger par la Galleria Continua en Italie et en Chine, par la Mario Mauroner Gallery en Autriche et par la ADN Galeria en Espagne.
Le New Mabilais est un immeuble de bureaux de 17000 m2 entièrement réhabilité à neuf niveau BBC, proposant des plateaux divisibles de 350 à 5000 m2 sur 6 niveaux, et 271 places de parking. Cette commande privée a été initiée par le Groupe Legendre (entreprise de BTP et de promotion immobilière), propriétaire de La Mabilais et porteur du projet. Mélanie Rio, directrice de la galerie melanieRio à Nantes, est intervenue en tant que consultante artistique. Elle s’investit en effet depuis plusieurs années à favoriser l’intervention d’artistes de renommée internationale au sein de réalisations architecturales de haut niveau afin de créer du lien entre une Cité et un artiste.
À partir du 3 octobre à la tombée de la nuit
Le New Mabilais – Rennes
Rue de La Mabilais
35000 Rennes
[Visuel : courtesy Bruno Peinado]
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