MARKO 93 : « la finalité est de pouvoir échanger »
Casquette bariolée vissée sur la tête, Marko 93 annonce la couleur… il a l’âme graffiti ! Depuis le jour où il posa son premier blaze sur un mur de Saint Denis. Son parcours artistique est richissime mais il ne l’avouera pas, Marko a l’humilité que l’on retrouve, bien souvent, chez les plus grands. Pour ne citer que quelques étapes, il fût l’un des premiers à intégrer de la calligraphie dans son graffiti, il a réinventé le light painting dans les années 2000, participé au désormais mythique Tour Paris 13, peint un peu partout dans le monde, notamment l’an passé sur un boeing à Tunis et sur la façade du ministère de la Culture à Paris. Il fait également partie des 11 graffeurs récemment sélectionnés dans le cadre du projet “Les oeuvres d’art investissent la rue” (11 fresques dans 11 arrondissements de Paris en 2016). Marko 93 nous a reçu dans l’atelier qu’il partage avec dAcRuZ, au 6B à Saint Denis, occasion d’évoquer leur exposition commune, qui aura lieu du 24 mars au 04 avril au Loft du 34 (34 rue du Dragon, Paris 6ème). Rencontre ! Quel regard portes-tu sur tes premiers graffs à Saint Denis ? J’ai commencé mon premier mur en 1989 mais de cette époque il ne reste que des photos ou des dessins. Mes premiers graffs étaient des copies ou inspirés de ce qui se faisait aux Etats-Unis. Avec des outils du moment bien sûr, des bombes de carrossiers, avec peu de choix de caps (ndlr : embout du spray). On prenait d’ailleurs des caps de laque pour cheveux ou de Décap’Four. Aujourd’hui on a tout, même des bombes de différentes pressions, ce qui permet de multiples textures. Les gars de ma génération visaient l’excellence dans leurs graffitis, nous nous entraînions à faire des lettres propres, sans gouttes. Le travail en atelier m’a depuis poussé à utiliser d’autres outils. Aujourd’hui je peux peindre avec un balai, une serpillère, faire dégouliner la peinture. Saint Denis, une ville que tu n’as pas quittée et qui occupe une place importante dans le graffiti et le street art ! J’ai grandi à Saint Denis, j’y vis mais je voyage dès que je peux. Il y a ici un passé important dans le hip-hop et le graffiti, toute une historique de « vandales », qui ont matraqué cette banlieue nord de Paris dans les années 80 et 90. J’ai beaucoup tagué dans les cités pendant cette période. Aujourd’hui il y a ici des fresques du parcours Aucwin mais pas beaucoup sur de grosses façades. Tu viens de réaliser l’affiche des voeux 2016 de la ville de Saint Denis, après notamment Erro, Miss-Tic ou Ernest Pignon Ernest ! La toute première affiche a été réalisée en 1994 par Michel Quarez, un peintre né à Saint Denis. Je suis le deuxième dionysien après lui, c’est un honneur. Pour parler de cette ville j’ai souhaité réutiliser des symboles locaux comme le ballon de foot et la basilique, le piment pour le côté cosmopolite du marché aux épices, une orange en référence au poème « La terre est bleue comme une orange » du poète dionysien Paul Eluard, une abeille en référence au miel béton, récolté sur le toit de la mairie, et le tout dans un style que j’ai nommé « VitroGraff », en référence à notre basilique de style gothique. J’ai également rajouté un trait de lumière en référence à mon travail de light painting. Justement, tu as découvert le light painting (technique de prise de vue photographique en pose longue) dans les années 2000, pour ensuite le réinventer ! A l’origine, je suis tombé sur une photo représentant une trainée de voitures en pose longue. Je me suis ensuite essayé au light painting en traçant de simples traits ou en écrivant mon nom, puis je l’ai appliqué à la calligraphie. J’ai depuis fabriqué et développé des outils et fait bon nombre de tableaux. Les photos sont toutes faites en une seule prise et sans retraitement. Mon apport au light painting se concentre sur la calligraphie et le graffiti. « J’ai pu récemment réaliser un fantasme, faire du light painting en temps réel avec 85 musiciens classiques ». Le light painting t’a fait énormément voyager ! En 2003, j’ai participé à l’expo collective « Et voilà le travail », durant laquelle j’ai fait la première performance live au monde, de light painting vidéo temps réel. J’étais relié à un ordinateur qui reprojetait en direct mes mouvements, le tableau se construisait donc dans l’instant. J’ai par la suite développé un peu plus le concept et fait des performances dans le monde entier, en Chine, en Inde, au Brésil, en Arabie Saoudite, à Abu Dhabi dans le palais de la princesse. J’ai même pu récemment réaliser un fantasme, faire du light painting en temps réel avec 85 musiciens classiques, de l’orchestre DivertiMento dirigé par Zahia Ziouani, sur la scène de l’Opéra Bastille. « Je m’éclate à injecter de la calligraphie dans le figuratif ». La calligraphie influence aujourd’hui beaucoup d’artistes de street art. Tu l’as découverte dans les années 90, ce qui a bouleversé tes créations ! Intégrer des formes de calligraphie dans mon graffiti à l’époque m’a fait sortir du lot, c’était singulier. Retrouver de la calligraphie dans le graffiti, de manière abstraite, en tant que texture, était une nouveauté. J’ai été très influencé par la calligraphie arabe et ai par la suite découvert le travail d’Hassan Massoudy, qui habite à Paris, un des plus grands dans ce domaine. Nous avons peint ensemble pour un dvd. Mes voyages en Asie ou en Mongolie ont ensuite enrichi mon travail de nouvelles influences. La calligraphie n’est pas pour toi simplement décorative, elle est le corps de tes compositions ! En effet, dans mes animaux, la calligraphie est comme une dentelle, elle symbolise les os, l’architecture filaire de l’animal, ce qui le constitue. Je m’éclate à injecter de la calligraphie dans le figuratif. Il y a beaucoup de « chirurgiens » dans le genre, ma peinture au contraire est souvent nerveuse, elle coule. J’aime l’erreur et la spontanéité. Qu’as-tu appris de fondamental de tes nombreux voyages ? A chaque fois que je pars, j’ai ce fantasme de revenir changé dans mon style, mes créations. Quand tu voyages, tu as un nouveau regard sur les choses qui t’entourent. Ici, tu ne lèves plus les yeux mais dans une favela tu vas avoir un regard neuf, c’est fondamental. Le street art, c’est également toucher les gens, leur permettre de se parler. Sans ça, il y a des connexions qui ne se feraient jamais. Lorsque je peins un mur, je me coupe du monde en écoutant ma musique, mais lorsque je prends du recul, je peux parler avec les personnes présentes. La finalité est de pouvoir échanger. « J’ai récemment peint sur un boeing à Tunis ». Quelles peintures marquantes as-tu réalisées à l’étranger ? J’ai récemment peint sur un boeing à Tunis. Nous étions 5 tunisiens et 5 français. A Miami dans le quartier de Wynwood, où je peignais tranquillement, une femme tatouée qui écoutait du rap dans sa Lincoln, s’est arrêtée à ma hauteur. Elle m’a laissé les clés de sa voiture pour que je la repeigne. Elle est repassée plus tard et a pleuré d’émotion. Nous nous sommes connectés grâce à la peinture. Partout où je vais j’essaie de créer des rencontres. Tu as peint l’an passé sur la façade du Ministère de la Culture à Paris ! En avril 2015 oui. Je revenais de Miami, où j’avais peint un félin et un crocodile avec des yeux réfléchissant la lumière, d’où le nom du projet : Reflective Eyes. C’est ce qui m’a influencé pour mes trois félins sur la façade du ministère. Les grosses coulures de ces peintures sont par ailleurs un accident, ça coulait plus que prévu, mais j’ai trouvé ça cool. J’ai depuis développé ce style sur toile, notamment pour ma prochaine expo au Loft du 34. Tu apparais également dans un clip de Grand Corps Malade, encore une belle expérience ! Dans « L’heure des poètes » plus précisément. Grand Corps Malade a habité Saint Denis, nous sommes rencontrés là-bas, à la MJC, il y a plus de 15 ans. Dans ce clip, il a décidé de faire apparaître des artistes plasticiens dont je fais partie. On me voit, en atelier et dans la rue, peindre des portraits de NTM et de Jacques Brel. « Je suis admiratif de ceux qui peuvent créer une punch line en quelques mots à peine ». La poésie, une influence pour ta peinture ? J’ai une frustration : la plume. J’aurais aimé savoir écrire et faire du son. Je suis admiratif de ceux qui peuvent créer une punch line en quelques mots à peine. L’image est épurée dans une suite de mots. Je crois beaucoup à la croisée des arts, le light painting sur scène m’a d’ailleurs permis d’interagir avec des danseurs et des musiciens. Tout est lié : il y a également du rythme dans ma peinture et dans le light painting. Comment as-tu géré le passage des graffitis sauvages au travail sur toile ? Mes premières toiles remontent aux années 90, je peignais sur du lino pour la MJC de Saint Denis. J’ai commencé à peindre des toiles pour avoir une trace de mes peintures de rue. Ca a été compliqué, j’ai mis longtemps à retrouver sur toile, le plaisir que j’avais dans la rue. Le mouvement déjà n’est pas le même : plus le format est grand, plus tu peins avec ton corps et une toile c’est petit, vite rempli. Ensuite les outils, la surface sont différents. Pour mon travail sur toile, j’utilise des poscas, des tampons, des serpillères et de la bombe, mais pas autant que sur un mur. Pour finir, sur toile je ne voulais pas faire du graffiti de rue, alors autant essayer de nouvelles techniques. Tu exposes fin mars au Loft du 34 (Paris 6ème) aux côtés de dAcRuZ. Que prévoyez-vous pour cette expo ? Le thème animalier, pour tous les deux, des pièces à 4 mains et des personnelles. Lors d’un voyage en Inde, j’ai croisé une vache qui mangeait du papier journal. Je l’avais peinte le lendemain sur un mur de Calcutta, sur lequel j’avais collé des papiers journaux. Je peindrai cette vache sacrée pour l’expo du Loft du 34. J’aime par ailleurs beaucoup l’esprit du Loft et des gens qui s’en occupent, il y a une belle énergie autour de cet événement. dAcRuZ, un compagnon de longue date ? Ca fait plus de cinq ans qu’on se connait (NDLR : dAcRuZ rentre dans l’atelier)… mais il ne m’a jamais offert de fleurs ! (S’adressant à lui) Tu m’as pris mes plus belles années ! Ce qui nous rejoint, c’est le plaisir de peindre dans la rue et l’ambition de ne pas peindre que dans la rue ou en France. Essayer des choses partout ! Le monde du street art a réagi massivement après les attentats de janvier. Quelle a été ta contribution ? J’étais en Inde pendant les attentats, à Poona près de Bombay. J’ai décidé d’y peindre une colombe et une tour Eiffel. J’ai par la suite peint une nouvelle colombe à Bombay ainsi qu’une troisième, de 100m², en photo light painting. Cinquante personnes sont venues spontanément dans la forme créée, dans laquelle nous avons écrit Paris / Saint Denis / Bombay. Propos recueillis par Ludovic Bourreau A découvrir sur Artistik Rezo : |
Articles liés
“Exit”, un spectacle nécessaire au Théâtre 14
Entre la vie et la mort, voici un spectacle qui cultive l’art de la sortie. La Suisse est le premier pays au monde où des associations telles qu’Exit, créée en 1982, proposent en toute légalité une assistance au suicide...
La 5e édition du “Ici Demain Festival”, du 20 au 22 novembre, au FGO-Barbara
Ici Demain Festival met en avant une nouvelle vague d’artistes aux horizons et aux esthétiques variées qui font la richesse de la jeune création contemporaine. Le tout dans la continuité et en complément de la mission de soutien à...
“Cantilène” : un single inédit de Marion Rampal avec la flûtiste Naïssam Jalal
Après une Victoire du Jazz pour son album “Tissé” et la sortie du singulier “Oizel”, la songwriter du jazz francophone n’en finit plus de prendre le large et les tangentes poétiques. Dans “Cantilène”, elle invite la flûtiste Naïssam Jalal...