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Lek – interview (2/3)

17 octobre 2013
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Lek

Lire la première partie de l’interview…

… Comme dans le projet « Tour 13 » ?

Oui. Il n’y a pas forcément toutes les peintures que j’aime à l’intérieur mais j’ai trouvé très intéressant que ce soit international. Avec le Mausolée, on avait voulu montrer des Français, parce qu’on en a marre que tout le monde s’excite dès qu’un ricain vient à Paris. Alors qu’il y a autant de talent à Paris ! En France, si tu veux être approuvé, tu dois faire tes preuves à l’étranger. J’ai décidé d’essayer de faire le contraire. Bien sûr, on a fait beaucoup de projets, mais la plupart, c’est nous qui les tenions en main. Au Palais de Tokyo, on nous a laissé une porte entr’ouverte, mais c’est nous qui avons fait le reste du boulot, avec nos propres moyens. C’est pour ça que quand on a l’impression qu’on est labellisé institution, ça me fait un peu rire… C’était un challenge, c’est un peu pour ça qu’on l’a fait. On s’est dit : tant pis, on n’a pas d’argent, mais on va voir comment on peut monter un projet de A à Z.

Comment avez-vous choisi les artistes à qui vous avez demandé de venir ?

Il n’y avait que des bras cassés du graffiti, c’est-à-dire des artistes qui n’ont pas un graffiti de type américain. En Europe, on a commencé à développer notre propre style, à avoir le sentiment de vouloir être comme on est. Bien sûr, moi aussi j’ai commencé à copier des Américains, à imiter certains trucs là-bas que je trouvais magnifique. Mais j’ai fini par développer mon propre style, tout en m’inspirant de gens que j’admirais sur Paris, comme si c’était une école. J’ai envie que les gens comprennent qu’être soi-même dans le graffiti, c’est essentiel. Aujourd’hui, tout le monde se dit que le graffiti d’inspiration new-yorkaise est kitch. Des gens comme moi ont pris une autre voie, entre l’abstrait et l’installation. Des gens qui n’en faisaient pas commencent à se dire que c’est ce qu’il faut faire pour réussir. Mais non, simplement il faut être têtu comme moi au point de dire : j’ai envie de faire ça depuis longtemps. Je n’ai pas une grande gueule, mais je suis suffisamment têtu pour continuer à vouloir faire comme j’en ai envie. Quelquefois on me dit que certains font référence à moi en créant des installations, mais ça m’est égal. Tant mieux si ça les aide pour aller ailleurs. Souvent, ceux de la old school freinent parce qu’ils disent que les maîtres, ce sont eux. Mais je dis qu’il n’y a plus de maîtres. Si tu veux t’approprier quelque chose, tu peux, mais tu dois te l’approprier au point que ça devienne toi. La grosse différence entre hier et aujourd’hui, c’est que tout va très vite. 

L’exposition « Etat des lieux », à laquelle vous participez, montre aussi street art et graffiti côte à côte…

Là encore, ça ne me dérange pas, si c’est pour éviter qu’on ne voit que du street art. Ce qui était intéressant dans l’exposition, c’est que chacun avait son univers, on avait donné tout un mur à certains, ou la possibilité de faire une installation. Je trouve que de ce point de vue, c’est la première expo qui va dans le bon sens, qui est suffisamment claire. Il faut qu’on arrête de se dire que ce sont les galeries qui doivent mener la barque. Je n’ai pas voulu y faire d’installation, parce que tout le monde m’attend là-dessus, et dans ces cas-là il vaut mieux faire autre chose. J’ai envie de faire découvrir mon univers. Ce que j’aime, c’est être scénographe, créer des mouvements, des fusions…

Cette dimension de mise en scène est de plus en plus importante dans votre travail…

J’ai une admiration profonde pour les gens qui font de la scène. Ils y mettent leur âme, en offrant de la lumière, du mouvement. On peut ressortir d’un concert avec l’impression d’avoir vécu un moment unique, et c’est ce type d’expérience que j’ai envie de faire vivre aux gens. Il faut estimer aussi les gens qui ne peuvent pas acheter, et leur offrir quelque chose. Dans le street art, les toiles sont parfois horriblement chères. Peut-être que j’ai envie de reproduire ce que j’ai vécu quand j’étais jeune, où j’ai vu des gens qui donnaient pour rien. Ils faisaient des murs pour eux ou pour les autres. Je sais que ces gens-là m’ont donné les moyens d’étoffer ce que j’étais à l’époque où je pensais que rien ne m’était possible. Parce que j’ai vécu ce sentiment d’exclusion. Quand en archi, on te dit que tu n’arriveras à rien, parce que tes parents sont ouvriers, parce que tu ne viens pas du bon milieu, c’est dur. J’ai vécu avec des rêves, et j’ai envie qu’on rêve avec les moments que je crée.

La dimension éphémère de l’installation, c’est une force ?

L’éphémère, j’ai appris à le maîtriser, à vivre avec. Aujourd’hui, il fait partie de ma pensée. Dans les années quatre-vingt, le graffiti restait plus longtemps. Certaines peintures, surtout si elles étaient inaccessibles, pouvaient durer des années. Ca m’arrive encore, mais rarement. J’ai une pièce qui est là depuis six ans, ça me fait plaisir. J’ai appris à accepter l’éphémère parce que ça me permet de ne plus être ce que j’étais à un moment donné. Si toutes les peintures restent pendant vingt ans, ça ne pousse pas forcément à développer un style nouveau. L’éphémère est nécessaire pour créer la rage qui pousse vers autre chose. Elle motive à être différent.

Vous avez peint récemment une toile avec JonOne

C’est quelqu’un que j’ai admiré il y a vingt-six ou vingt-sept ans, et aujourd’hui je peins avec lui… C’est comme peindre avec ses pairs. Il n’y a pas eu que lui, il y a eu les BBC, Lokiss… Ces gens-là ont ouvert quelque chose dans mes yeux. JonOne, je l’ai vu, quand j’étais gamin, arriver à Paris et faire de l’abstraction. Même s’il y a une différence entre son abstraction et la mienne, puisque la mienne est très rigide. 

Mais c’est une rigidité profondément en mouvement…

Bien sûr, rigide ne veut pas dire statique. J’essaye de faire en sorte que mes formes soient suffisamment pêchues ou directes pour donner une direction. Je veux tendre vers une couleur, une intention, une personne, à partir de petits éléments rigides. Au Palais de Tokyo, souvent, une personne donnait l’intention, et ça me permettait de créer des dynamiques entre une première et une deuxième personne. Dans les compositions, ce que je trouve intéressant, c’est qu’il puisse y avoir des choses très statiques et tout de suite un parasitage, avec des transitions par les formes, les couleurs, les lignes. 

C’est encore une architecture ? 

Oui, puisqu’il s’agit toujours de déconstruire l’espace. J’ai une manière très graphique de faire les choses. Il n’y a pas beaucoup de courbes dans mon travail. Il y en avait quand j’ai commencé, mais avec le temps, je suis devenu beaucoup plus rigide. Depuis deux ans, c’est un peu comme si j’étais dans une nouvelle période, comme certains peintres ont leur période bleue ou rose. Aujourd’hui, je trouve plus facile de me donner des périodes pour la peinture. Je n’ai pas envie de m’épuiser au point de montrer tout ce que je sais faire.

Récemment, vous avez été invité à Beaubourg à une rencontre avec Jacques Villeglé. Vous connaissiez son travail de prélèvement quand vous avez commencé ?

C’est une rencontre qui m’a beaucoup touché. Quand je suis arrivé en architecture, je n’avais pas de culture générale. Dans le métro, j’ai pris en photo des stations en rénovation, avec de vieilles publicités à l’ancienne qui avaient ressurgi. Je suis arrivé avec un projet autour de ça. Le prof a pensé que je m’inspirais du travail de Villeglé… Pour moi, c’est le premier inventeur du street art ! Mais il est encore plus fort, parce qu’il prend directement l’art de la rue, et le transforme. Pourtant la première fois qu’il est arrivé avec ses toiles, on lui a dit que ce n’était pas de l’art. On est en train de vivre la même chose ! Il a fait face comme nous faisons face aujourd’hui.

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Sophie Pujas

[Visuel : Lek & Sowat (Mausolee project). Photographies de Man – Art is Life. Flickr. Courtesy Sowat]

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