Katre : « Le graffiti t’amène dans des lieux incroyables »
Katre : « Le graffiti t’amène dans des lieux incroyalbes » |
Il explore l’imaginaire des friches et des lieux en passe de destruction. Rencontre avec le street-artist Katre.
Vous êtes fils d’artistes… C’est avec eux que tout a commencé ? Oui, ma mère est photographe et mon père plasticien. Ils m’ont toujours poussé à aller voir des expos, m’ont amené dans des lieux comme la petite ceinture, aux Frigos dans les années quatre-vingt dix… Tout petit, j’ai vu des mecs peindre. Ca a ouvert mon regard sur l’art en général. J’habitais dans le quatorzième, j’ai vu plein de graffitis dans la rue. La ligne 13 était l’une des plus tagguées. Je me suis lancé sur la petite ceinture. Mes parents m’ont offert Subway art… J’ai aussi grandi avec le hip-hop, et fait pas mal de musique. Comment se sont passés vos premiers pas de graffeur ? Assez vite, j’ai créé un crew, STS. D’autres ont suivi au fur et à mesure des années. On a avancé sur des fresques à thèmes. On s’est pas mal fait remarquer en mélangeant graphisme et graffiti. J’ai été invité dans des festivals. Reso, un graffeur toulousain, m’a fait rencontrer pas mal de monde, voyager dans le monde entier. Parallèlement, j’ai fait une fac d’art plastiques. Je créais des toiles, des installations, mais je n’établissais pas encore de lien entre cette pratique artistique et le graffiti, que je faisais pour les voyages, les rencontres, etc… Mais les deux se sont rejoints, puisque votre mémoire d’art plastiques portait sur le graffiti dans la mythique piscine Molitor… Bien sûr. Le graffiti t’amène dans des lieux incroyables. Molitor, j’y suis entré en 98. Ce n’était pas trop graffé, à l’époque on se cachait plus dans le bassin intérieur de la piscine. J’ai pris plein de photos. J’ai fréquenté beaucoup de terrains vagues, des friches à Montreuil… Je commençais à l’époque à faire des graff un peu particulier, des tracés directs. Je me suis mis à faire des choses liées à l’architecture, une seule couleur etc. Mon œil a évolué. Ce n’est que plus tard que j’ai vraiment lié les deux sur de la toile. Je n’avais pas envie de faire sur toile ce que je faisais sur mur. Si c’était la même chose en miniature, je ne voyais pas l’intérêt… Parallèlement, j’ai arrêté mes études et monté une association. Je faisais aussi bien des décorations pour des magasins, que des initiations ! J’ai commencé à exposer des petits formats sur des toiles, mais aussi à peindre sur des supports liés aux friches, dont je ramenais des bouts de fer rouillé, par exemple… Vous avez publié Hors du temps, livre consacré au graffiti dans les friches… J’aime bien organiser des choses, bouger, réunir les gens. Le bouquin est venu parce que j’étais à fond dans cette pratique, et que je voulais voir des photos sur le sujet. J’ai voulu constituer un panel, avec de l’abstrait, du lettrage, des personnages. Je voulais aussi privilégier ceux qui utilisaient peu de couleurs, ne faisaient pas un sticker de ce qu’ils faisaient ailleurs dans la rue. Le livre est sorti par le biais d’une petite maison d’édition indépendante d’anciens graffeurs. Ils m’ont soutenu, ont fait en sorte que soit un bel objet. La pratique commençait à intéresser les photographes, qui ont bientôt appelé ça urbex. Vous aimez créer à partir de photos de ces lieux que vous retravaillez et repeignez, souvent avec des couleurs explosives… Au début, je faisais les photos en argentique. Pour moi, ces lieux sont un peu noirs et blancs ou sépia, et j’aime bien avoir une seule ambiance de couleur. Dans ces lieux, avec leurs supports pourris, la bombe qui passe le mieux, c’est souvent du noir ou une couleur qui pète, comme du rouge. Du coup sur mes oeuvres, j’ai toujours fait en sorte que la lettre contraste avec la photo, et en même temps lui donne une énergie. De la même façon que nous, quand on va dans un lieu, on y va avec tout ce qu’on a. Quand on fait un tracé dans une friche, on s’y donne à fond. Souvent, il s’agit de donner une dernière vie à un lieu avant qu’il ne soit démoli, un dernier coup de boost. Ce que j’aime bien, c’est que sur l’oeuvre finale, on ne sait plus ce qui est quoi, ce qui était sur le sol, ce que j’ai ajouté… Pourquoi être passé à l’installation ? C’est toute une évolution qui s’est faite. Longtemps, je n’en ai pas eu l’occasion, parce qu’il me manquait un grand espace ou de temps pour les concevoir. La première vraie tentative, hormis les expériences à la fac, ça a été les Bains, puis la Tour 13. Chaque fois, on m’a donné un espace, avec six mois ou un an devant moi pour faire ce que je voulais avec la plus grande liberté. L’occasion de mettre en pratique beaucoup d’idées que j’avais accumulées….L’une de vos dernières expositions a eu lieu à Shanghaï, à la galerie Magda Danysz. Une nouvelle occasion de travailler sur la mémoire des lieux ? En Chine, j’ai pris en photo de vieilles maisons de Shanghaï, qui sont en train d’être démolies. La mémoire de la ville disparaît à vue d’oeil. Ces images, je les ai collées sur le lieu de l’exposition. Et je suis allé chercher la matière directement sur place. Il y avait donc un vrai lien, que je trouvais très fort, entre les gravats et les images. A la Tour 13, l’image que j’avais collée n’était pas liée à l’histoire de l’endroit. A Shanghaï, j’exposais dans un immeuble qui avait déjà vue sur la ville du futur, la photo de la maison traditionnelle que j’avais choisie faisait face à une sky line ultra-moderne…. Propos recueillis par Sophie Pujas |
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