Bault : “Les murs, c’est le kif le plus ultime.”
Solo Show de BAULT à la Galerie Artistik Rezo Du 2 septembre au 10 octobre 2015 Vernissage le 2 septembre de 18h à 21h Entrée libre Galerie Artistik Rezo www.galerieartistikrezo.com |
Dans l’univers fantasque de l’artiste Bault, les monstres séduisent, les bêtes se métamorphosent et les couleurs éclatent. Plongée dans un imaginaire foisonnant.
Comment as-tu débuté ? Je viens d’un petit village près de Rodez, dans le Sud-Ouest. Je me suis rapidement intéressé aux arts urbains, notamment au rap. Ado, j’ai découvert les groupes français : NTM, Assassin… Le 93 me fascinait ! Même si l’esprit, vers chez moi, c’était plutôt celui du Larzac – le punk, le rock… Mes premiers tags, je les ai faits à 13 ou 14 ans. J’en ai vu pour la première fois à Toulouse, où opéraient Fafi, Miss Van, Tilt, la True School… J’ai été scotché par cette gratuité, cette illégalité, cette liberté… Ensuite, j’ai rencontré des graffeurs à Sète, et j’ai tagué avec eux. À quoi ressemblaient tes premiers graffitis ? J’ai fait du lettrage, du flop… Mais même quand j’ai commencé, je n’avais pas une vraie envie de tag. À l’époque, j’étais un peu le canard boiteux de l’équipe. Je n’étais pas doué en lettrage, je m’éclatais plus à faire des formes sans contraintes stylistiques. Qu’est-ce qui t’inspirait, alors ? J’étais très attiré par tout ce qui se faisait au Brésil, par les Os Gemeos. Je faisais des petits fanzines. J’avais des kilos de BD chez moi, et ça a été une vraie source d’inspiration et de réflexion. Par exemple, les Requins Marteaux ou Nicolas de Crécy, dont j’aimais le côté littéraire et baroque, sans règles. Il se permettait de changer de rythme, de dessiner de façon très brute et ensuite extrêmement détaillée. Ce mélange-là m’est resté… Ta passion pour les créatures hybrides vient de là ? En tout cas, je n’ai pas de règle dans le dessin. Il y a toujours une base expérimentale, un travail sur la couleur, dont j’ai longtemps eu peur, parce que je pensais que je n’étais pas bon. Du coup, je me limitais souvent au croquis. j’ai toujours mon carnet… Je dessine du soir au matin. Le réalisme, tu le détournes… Bien sûr, j’utilise mes lacunes en dessin ! Je crée des personnages qui n’ont aucune base académique. Quand je fais des animaux, je travaille d’après plusieurs photos que je mélange. Je vois où sont mes lacunes, je joue avec… Le nu ou la nature morte, c’est la chose la plus difficile au monde. Mes animaux, souvent, ne sont pas finis, ils ont des roues ou se retrouvent unijambistes… Il y a toujours quelque chose qui cloche dans le côté joli, séduisant du dessin. On n’est pas seulement dans une représentation esthétisante de l’animal. L’animal est souvent un prétexte pour dire des choses sur l´homme ou le monde qui nous entoure, de façon plus douce. Je n’aime pas ce qui se dévoile au premier abord. J’aime qu’il y ait une deuxième lecture, après la vision esthétique et l’émotion. Mais tu n’as pas le sentiment d’exprimer certaines inquiétudes sur notre monde, par exemple avec tes invasions ? Bien sûr. J’ai dessiné beaucoup d´insectes, avec cette idée que c’est sans doute un des gros problèmes des siècles à venir – les pandémies, les virus – mais aussi la solution – la nourriture… Beaucoup de scènes animales viennent de scènes d’actualité et de choses qui m’inquiètent. Mais je refuse de faire des choses plus frontales. J’aime bien l’absurde. Et je refuse de penser que ça ne veut rien dire. Mais l’épisode terrible de Charlie m’a fait évoluer. J’étais en pleine prépa d’une exposition, je faisais des grenouilles, des crocodiles… Et soudain, la stupeur… Je me demandais à quoi servaient mes petits machins… Pour mon prochain grand mur, il est possible qu’on s´éloigne du bestiaire fantastique séduisant. Tu t’inspires d’un imaginaire scientifique, des planches de biologie anciennes par exemple ? À fond. C’est drôle, je viens de me commander des bouquins de gravures anciennes. J’adore tout ce qui est cabinet de curiosités, petits objets bizarres, herbiers, listes, petits vestiges archéologiques… Mon travail est toujours très instinctif, je produis beaucoup et c’est ensuite que je fais le tri entre ce que ça dit et ce que ça ne dit pas… Et je reste dans un mode de représentation très brute. Tu te sens proche de l’art brut, de l’art naïf ? J’ai toujours été fan d’art brut, de Gaston Chaissac… Je suis fasciné par l’art des fous, les dessins d’enfants. J’ai fait beaucoup de collaboration avec des enfants. À partir d’un certain âge, ils copient des trucs, mais vers 4 ou 5 ans ils sont beaucoup plus libres et c’est vraiment intéressant de comprendre comment ça marche. À un moment donné, sur les murs, tu as beau connaître ton trait, il y a une espèce de transe, quelque chose qui se fait à l’instinct. La plupart de mes murs, je les fais sans croquis, c’est de l’improvisation totale. Qu’est-ce que tu aimes dans un lieu, quand tu le choisis ? J’ai une maladie, depuis tout petit, avec pas mal de potes, c’est celle des murs… Je ne peux pas passer dans une rue sans les regarder. L’atmosphère, la texture des murs, les couleurs : il y a quelque chose de rupestre, de préhistorique. Souvent les conditions ne sont pas bonnes, on est à l’arrache, on peint sur des échelles pétées, avec des pots de peinture de merde… Je peins de moins en moins dans les villes. Je préfère maintenant m’épanouir dans des friches et faire de l’urbex, chercher des lieux. Je prends le mur comme un carnet de croquis, un terrain d’expérimentation. Les artistes qui m’ennuient, c’est ceux qui ont trouvé une recette et la refont pendant vingt ans. Je refuse. Je veux avoir ma propre patte, quelque chose de reconnaissable, mais je ne veux pas rester dans les mêmes schémas de forme. Je ne suis pas un peintre animalier, je ne suis pas un street artist… Qu’est-ce que tu veux dire par là ? Si les gens veulent m’appeler street artist, très bien, parce que je peins sur les murs et que ça me procure un plaisir infini – c’est le kif le plus ultime. Mais aujourd’hui, on est dans quelque chose d’un peu frénétique où le street art est devenu hyper fashion. On le retrouve jusque sur les torchons Monoprix… Tout ne se vaut pas, et on est dans une période qui manque un peu de discernement. Ce que je fais sur mur, c’est le bout de la chaîne de toutes mes recherches sur d’autres supports, sur papier, toile, par sérigraphie, sur vidéos… Mais le mur est un support parmi d’autres, une discipline particulière à laquelle je ne veux pas être cantonné. C’est pour ça que street artist, je trouve ça très réducteur. J’aimerais être considéré comme un artiste, un faiseur d’images… Vers quoi as-tu envie d’aller ? Ces temps-ci, je suis sur des choses beaucoup plus brutes. En ce moment, j’ai un lieu à Bagneux, où j’ai trois niveaux pour moi ! J’y fais des pixação, comme au Brésil, un mélange de tags et de logotypes, où chacun crée ses propres signes. Je suis parti de l’écriture rune, l’une des plus anciennes, à laquelle je mêle d’autres symboles, des patchworks de choses beaucoup plus organiques… Le moment où je m’éclate le plus, où j’ai le plus de liberté, c’est le tracé direct, sans retouche possible, avec ses flous, ses tracés, ses déliés. Comment as-tu apprivoisé la bombe pour lui donner la délicatesse de trait qui est la tienne aujourd’hui ? Quand j’ai commencé le graffiti, l’outil était difficile à appréhender. Ça coulait, ça faisait de gros traits… Ma problématique au début était de savoir faire de tout petits traits. Je voulais que ce que je faisais sur les murs ressemble à ce que j’avais sur le papier, avoir le même trait nerveux qu’avec un coup de crayon. J’utilisais un stencil cap. Ça coulait beaucoup, intéressant mais pas l´idéal. Maintenant, j’ai pas mal changé ma technique, et je suis plutôt dans la gestion de la pression avec différents caps… Un autre de tes terrains d’expérimentation, c’est la vidéo… Oui. Je suis passé par les Beaux-Arts d’Avignon. Et dans cette école folle, un peu en marge, il y avait un pôle numérique. J’ai découvert la vidéo et ça m’a rendu fou ! Je me trouvais face à un média avec de l´image, du son – je fais de la batterie depuis petit – et qui utilise la temporalité : tout ce qui me plaisait. J’ai fait plusieurs courts métrages avec Mihai Grecu, pour lesquels nous avons été primés. Ce sont des vidéos très contemplatives. Avec des images où on télescope différentes choses : un tsunami de confiture de fraise, un œuf qui devient un soleil, un poisson en lévitation… Nous avons tourné en Islande et, sur tous les plans de nature sauvage, on a ajouté des interventions très contemporaines, comme des néons fluos, pour un court métrage intitulé Exland. Avec ce type de petit film, il n’y a pas de règle. On filme, on monte, on produit, on fait ce qu’on veut… C’est ce que j’applique aussi dans ma vie et dans mes dessins ! Des projets dans les mois à venir ? Montpellier Street Art et Chromatic Festival en avril… Et je suis l’un des invités du Maco à Sète, au moment du K-Live. Propos recueillis par Sophie Pujas À découvrir sur Artistik Rezo : |
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