Romain Froquet : « C’est avant tout l’émotion que je recherche, j’ai envie que ça vibre »
Romain Froquet – Lunaire – Galerie Artistik Rezo Œuvres de Du 6 avril au 24 mai 2017 Vernissage le mercredi 5 avril de 18h à 21h Entrée libre |
Par l’association du jeu vibrant des couleurs et de la vitalité des courbes, Romain Froquet réaffirme la peinture comme vecteur d’émotions et, ainsi, de lien entre les êtres. Après avoir travaillé sur des masques et statuettes d’inspiration tribale et réintroduit la nature dans l’espace urbain en collant des arbres stylisés, cet artiste de 34 ans développe, en atelier comme sur les murs, des formes organiques qui nous immergent dans une harmonie empreinte tout à la fois de vitalité, de mouvement et de douceur, où l’inconscient a toute liberté d’interprétation. Si Romain utilise différents mediums en fonction des supports, c’est probablement ses œuvres à l’encre de Chine sur papier qui subliment la parfaite maîtrise de son geste et la grande vitalité de son tracé. Courbes et contre-courbes structurent l’espace et laissent apparaître une matière cristalline. La lumière se reflète sur la couleur et donne naissance, à la manière de Pollock, à une impression de “profondeur plate” : toute sensation de profondeur est immédiatement contrebalancée par une réaffirmation de la planéité du support. Maintenus à la surface de la toile, nous voilà confrontés aux émotions suscitées par ses couleurs vibrantes. Dans un univers empreint d’une grande musicalité, Romain fait jaillir sa chorégraphie et nous amène à nous interroger sur l’humanité et ses racines, la célébration de la Terre mère, ou encore le temps qui passe. Comment es-tu devenu artiste ? Je suis devenu artiste par des rencontres. Lorsque j’avais 18 ans, j’ai rencontré le collectif 9e Concept. J’ai alors découvert un univers dans lequel je pouvais être moi-même, ainsi que l’appartenance à un groupe et l’émulation qui en résulte. C’est le groupe qui a révélé mon envie de peindre. J’ai eu, à certains moments, besoin de m’éloigner un petit moment, m’isoler, pour pouvoir développer ma propre écriture, mais j’y reviens toujours. C’est devenu comme une famille pour moi, après toutes ces années. Je n’avais pas de formation artistique, mais j’ai appris en côtoyant d’autres artistes, en les regardant travailler, en expérimentant. Aujourd’hui encore, j’avance en tâtonnant, en recherchant. Lorsque ça me plait, je poursuis dans cette voie, je creuse puis je tente autre chose. Dans la rue par exemple, j’adore expérimenter de nouveaux supports. Au-delà du vécu du mur, j’essaie de trouver des formes qui vont s’imposer à moi, constituer une contrainte, car elle va me pousser à avancer. La contrainte te donne un cadre, au sein duquel tu as alors toute la liberté de créer et que tu peux également faire évoluer. Pour les peintres, le cadre c’est en principe la toile, mais ce cadre ne me suffisait plus, je suis sorti dans la rue pour changer mon cadre. On ressent dans ton travail un mouvement, comme si le corps tout entier était engagé… Effectivement, le mouvement est très présent dans mon travail. J’utilise la boucle, la sphère, l’ellipse, tout cela ce n’est que le symbole du mouvement. A la manière de la calligraphie chinoise, c’est un langage pictural que je me suis créé, une forme de chorégraphie et, comme un danseur, j’ai besoin de réviser mes pas et d’en apprendre de nouveaux, de faire évoluer mon travail. Lorsque je peins, la gestuelle est en effet très présente, que cela soit de l’ensemble du corps ou simplement du bras selon le format sur lequel je travaille. Parmi tes sources d’inspiration, tu mentionnes également l’art tribal africain et sud-américain, pourrais-tu nous en dire plus sur la manière dont cela a nourri ton travail ? L’influence de l’art tribal africain et sud américain est majeure dans mon travail. Au-delà des rencontres d’artistes, c’est ce qui m’a permis d’entrer dans l’art, ce qui m’a interpelé et m’a ensuite permis de découvrir le reste. L’influence de l’art tribal se situe à plusieurs niveaux je crois. Dans l’intention tout d’abord, le côté spirituel et humain, on sent que ces œuvres sont habitées par une énergie et des croyances. Au-delà du simple décor, il y a également, dans l’art tribal, toute une symbolique dans la répétition des formes. Par exemple, le symbole de l’infini, que l’on retrouve également dans mon travail, représente le rapport à la terre. Mais l’influence de l’art tribal se retrouve également dans le motif. J’ai commencé en reproduisant des statuettes et des masques. J’ai ensuite créé les miens, pour peu à peu les déstructurer. Aujourd’hui, on peut retrouver un peu de ces masques dans mes toiles, des yeux, des parures amérindiennes avec des plumes, etc. D’autres exemples d’œuvres qui t’ont particulièrement marqué ? Elles sont nombreuses ! Récemment, je pense par exemple à la dernière exposition au Musée du Quai Branly, The Colour Line, qui m’a saisi. Et notamment un tableau de Basquiat, magnifique ! Basquiat fait partie des artistes qui m’ont beaucoup marqué, en particulier grâce à sa rétrospective au Musée Maillol en 2003. C’est comme si j’y étais encore. Ce qui m’a frappé, c’est l’émotion que tu pouvais ressentir devant ses tableaux, leur taille, le côté complètement lâché et spontané, ils étaient habités. Devant ses œuvres, tu sens que le but est de délivrer un message et faire sortir quelque chose que l’on a en nous. Il y a également des artistes comme Miro, avec le travail de la couleur, de la ligne, l’équilibre est incomparable, ou encore Cy Twombly que j’ai découvert à Houston. Si je pense couleur, je pense également à Yves Klein. Mais au-delà des œuvres, j’ai été très influencé par les artistes que j’ai pu fréquenter. Il n’y a rien de plus formateur que de voir une œuvre en train de se créer. En particulier, des artistes comme Rahul Mitra, Angelbert Metoyer ou Clemens Behr, avec qui j’ai eu la chance de collaborer, m’ont beaucoup appris. Pourrais-tu nous parler de l’installation que tu avais faite pour Mondes Souterrains à l’occasion de la Nuit Blanche 2016 ? Cette installation, Highway, est inspirée de mon premier voyage à Houston. Cela fait plusieurs années que je travaille sur la ligne, que je recherche des formes, mais également que j’analyse leur symbolique, en tant que connexion entre un point a et un point b, un lien qui nous unit. Lors de mon arrivée à Houston, j’ai découvert les échangeurs d’autoroute immenses. En voyant ces connexions, ces lignes, ces courbes enchevêtrées, j’ai soudain eu l’impression d’être dans l’une de mes toiles. L’envie d’explorer cette thématique a été une évidence. J’ai mûri ce projet pendant plusieurs années, je suis retourné à Houston, j’ai pris des photos, j’ai travaillé sur des photos satellites, j’ai lu sur les constructions des routes, etc. Ce que j’ai présenté à Mondes Souterrains c’est une expérimentation à partir de ces photos satellite. J’ai dupliqué cette photo en miroir, ce qui a donné un motif géométrique et symétrique. J’ai travaillé comme un bas relief, avec une superposition de métal, bois et polystyrène, en strates afin de décomposer chaque élément de l’échangeur. Cette installation s’inscrit dans un ensemble et je nomme les œuvres par leurs coordonnées GPS. Outre la symbolique de la connexion, il s’agit également d’une réflexion sur l’espace et le temps, sur la mémoire. Je fige un lieu qui existe, à un instant donné. Tu évoques la mémoire, est-ce un message que tu souhaites faire passer ? Je n’ai pas de message à faire passer en tant que tel, je livre plutôt ma propre vision de l’existence. Bien sûr, a posteriori, je peux identifier une suite logique, des motivations communes dans mon travail : le retour aux racines et à la terre, l’humanité, le mouvement, la connexion entre les gens. Je pense qu’il est important de se connecter, que nous sommes tous reliés les uns aux autres et aux éléments également, mais nous n’y prêtons pas forcément attention. Une route connecte les gens entre eux, mais les émotions aussi. Quand je recherche mes couleurs, c’est avant tout l’émotion que je recherche, j’ai envie que cela vibre. Quand je regarde un tableau, j’ai juste envie d’être touché, de ressentir une émotion, qu’elle soit positive ou négative. Mais, plus qu’un message, j’essaie de faire part d’un témoignage, de mon expérience. Comment débute ton acte de création ? Il n’y a pas de règle. Parfois c’est une recherche de couleur, parfois c’est une esquisse des lignes de force, cela dépend. Je ne sais pas à l’avance comment cela va évoluer, je recherche, je tâtonne. C’est ce qui est intéressant dans la peinture, l’expérimentation. Je construis mon histoire au fur et à mesure, je me laisser porter. Mais, à certains moments c’est plutôt l’inverse, j’ai l’idée avant de réaliser l’oeuvre. Par exemple, dans Highway, l’idée a préexisté à la réalisation. On oscille entre profondeur et planéité de la toile, entre lignes noires et jeu de couleurs … J’aime le côté graphique de la ligne noire qui tranche, qui pose une limite avec laquelle je peux jouer, que je peux dépasser. Elle crée une architecture autour de laquelle je construis. Ce que je recherche c’est que le spectateur puisse suivre une ligne, un chemin, mais qu’il se perde en chemin, puis qu’il soit ramené à la 2D avec des aplats de couleur. J’aime l’aplat, en ce qu’il constitue un condensé de couleur. Tu travailles toujours en musique ? Oui, cela aide à me créer ma bulle, me sentir bien. J’écoute beaucoup la radio – FIP, mais je peux aussi parfois écouter des morceaux en boucle, car c’est le bon morceau pour peindre une toile en particulier. Par exemple, “Don’t Explain” de Nina Simone ou l’album “Kind of blue” de Miles Davis m’ont beaucoup inspiré. De manière générale, j’aime les ambiances planantes. Par exemple, du delta blues, un blues primaire où il n’y a rien d’électrique, tu ressens à la fois la souffrance et la vie. Ou encore du jazz. Cela dépend des périodes de vie. J’aime aussi écouter en fond sonore des vieux films que je connais bien. Dans les installations, la musique est très intéressante, elle aide à entrer dans l’installation, elle contribue à mettre le spectateur dans les conditions où il peut recevoir l’information véhiculée par l’œuvre. Quels sont tes projets ? Après le solo show à la Galerie Artistik Rezo, il y aura l’Urban Art fair. En parallèle, je travaille pour le magasin Bosco à Moscou où j’ai eu carte blanche pour la réalisation d’un grand projet comprenant une vitrine, des installations à l’intérieur et des murs. L’inauguration aura lieu le 14 avril prochain. J’ai également un projet à Bogota en juin 2017, dans le cadre de l’Année France-Colombie, Los Muros de la Paz (Les murs de la paix). Enfin, un ouvrage intitulé “Entre les lignes” rédigé par Nicolas Gzeley dans la collection OPUS DELITS (Critères Éditions) sortira en mai 2017. Propos recueillis par Marie-Fleur Rautou [Crédits Photo : © Raph Brisard / Photo 1 : © Raph Bisard/ Photo 2 : © Romain Froquet / Photo 3 : © Romain Froquet / Photo 4 : © Raph Brisard] |
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