Soulages au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou offre à Soulages une grande rétrospective jusqu’en mars 2010. Nous n’en attendions pas moins pour un peintre de cette envergure, mais l’idée de rétrospective fait toujours un peu craindre un aspect quelque peu scolaire, enlisé parfois dans les méandres d’une chronologie. Heureusement, l’exposition évite ce travers. D’abord, parce qu’elle donne une importance évidente aux tableaux récents (comprendre tout de même les trente dernières années), et souligne ainsi la contemporanéité de cette artiste qui, bien qu’étant l’une des figures majeures de l’abstraction d’après guerre, a toujours su garder une identité personnelle forte et libre de tout ancrage et qualification réductrice. Par ailleurs, notons que l’œuvre de Soulages est d’une grande constance.
Libre donc de toute tradition picturale, Soulages n’a eu de cesse de rejouer sa passion et son obsession pour son art : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche », explique-t-il en 53. Instinctivement attiré par le noir, cet intérêt va se confirmer et se développer au fil des décennies. Dans les années 40, il peint avec du brou de noix ou même du goudron sur verre des formes suggérant des signes sans sens, une langue purement picturale dédramatisée et d’une grande force. Dans tous les tableaux de Soulages, y compris les plus anciens, nous sommes pour ainsi dire, physiquement touchés par l’énergie qui éclate à travers l’amplitude du geste de l’artiste. Mais cette ampleur gestuelle reste toujours encadrée, maîtrisée, elle semble savoir où elle va tout en signalant son ouverture à l’expérimentation. De fait, nous vivons les tableaux comme les lieux d’interrogation de la peinture et surtout de ses modes de perception.
Concept de « l’outrenoir »
C’est sur ce dernier point que Soulages s’est concentré au tournant des années soixante-dix. Jusque-là, son travail avait spontanément valorisé les noirs laissant les couleurs se distiller en son sein afin de les rendre plus subtiles, moins agressives. C’est en regardant la plus noire de ses toiles que le peintre prit conscience que « dans cet extrême [il avait] vu en quelque sorte la négation du noir, les différences de textures réfléchissant plus ou moins faiblement la lumière, du sombre émanait une clarté, une lumière picturale dont le pouvoir émotionnel particulier animait [son] désir de peindre […] Son instrument n’était plus le noir mais cette lumière secrète venue du noir. » C’est, en effet, à partir de cet instant, qu’il développe quelque chose d’organique dans ses toiles ; jouant des reliefs de la pâte sur la toile, les noirs de Soulages voient leur densité, leur matière et leur profondeur varier au gré des reflets de la lumière. La texture et l’impact d’un tableau dépendent alors de notre position dans l’espace. Pour voir un Soulages, il faut donc rester en mouvement et le regarder se modifier, exprimer, malgré sa bidimentionnalité, ses multiples facettes. L’artiste a ainsi su intégrer à sa peinture les reflets qui, habituellement, gênent la visibilité des œuvres.
Voici donc une exposition qui nous plonge au cœur d’une œuvre d’une grande homogénéité, poursuivant une démarche et une obsession claires et qui réussit à ne pas tourner sur elle-même. Au contraire, Soulages montre l’ampleur et la complexité de sa recherche en développant son concept de « l’outrenoir », « ces peintures ont parfois été appelées noir-lumière, rappelle-t-il, ainsi, pour ne pas les limiter à un phénomène optique, j’ai inventé le mot « outrenoir », au-delà du noir une lumière transmutée par le noir et, comme outre-Rhin et outre-Manche désigne un autre pays, outrenoir un autre champ mental que celui du simple noir. »
La scénographie, surveillée de près par l’artiste, valorise l’ambition des grands formats et la matière des toiles dont la valeur d’objets concrets est soulignée par les quelques tableaux détachés des murs grâce à un système de potences. Une vidéo du peintre, sans doute superflue, voire anecdotique, pourra intéresser les curieux et les néophytes, bien que son aspect documentaire alourdisse quelque peu la grâce d’une rencontre silencieuse avec les œuvres elles-mêmes.
De fait, pour reprendre une dernière fois les termes de l’artiste : « Ce qui importe au premier chef, c’est la réalité de la toile peinte : la couleur, la forme, la matière, d’où naissent la lumière et l’espace, et le rêve qu’elle porte. »
Lorraine Alexandre
A lire sur Artistik Rezo :
– Pierre Soulages au Musée d’Art Moderne de Strasbourg
Soulages, retrospective au Centre Pompidou
Jusqu’au 8 mars 2010
Tous les jours sauf le mardi, de 11h à 21h
Fermeture des caisses à 20h
Nocturnes les jeudis jusqu’à 23h
Fermeture des caisses à 22h
Centre Pompidou
Galerie 1, niveau 6
Place Georges Pompidou
75004 Paris
M° Rambuteau
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