Jeff Koons
Les appartements des Reines et Rois de France, ainsi que la Galerie des Glaces ont trouvé un écho artistique contemporain dans l’œuvre de cet Américain de 50 ans qui, dans les années 90, en guise de Marie-Antoinette, prit pour épouse et muse une actrice porno, La Ciccolina.
L’un des artistes les plus chers du monde a semé dans l’écrin royal versaillais quelques-unes de ses œuvres les plus connues : l’immense cœur suspendu, le lapin gonflable, le homard géant ou le caniche en fleurs, des objets de consommation courante. Tout y est… sauf la Ciccolina.
Rencontre à Versailles avec le roi du Pop-Rococo.
D’après vous, pourquoi vous a-t-on choisi pour exposer au Château de Versailles ?
J’avais confié à mon ami, le galeriste Jérôme de Noirmont, que ce serait merveilleux de faire une exposition au Château de Versailles. Il savait que j’admirais Louis XIV, que j’aimais les palais, les châteaux et toute cette époque.
J’ai toujours adoré Louis et j’ai réfléchi à quelle sorte d’objet d’art pourrait le faire fantasmer : « Puppy » et «Split-rocker » me semblaient dans l’esprit de Louis XIV.
Vous êtes-vous senti chez vous à Versailles ?
Je m’y sens très à l’aise. J’ai visité le Château il y a seulement deux ans et c’est là que j’ai réellement réalisé quel lieu étonnant c’était. Il y a un tel sens esthétique ici, chaque détail a été pensé, travaillé, et ce qui en découle est vraiment magique.
Comment avez-vous choisi les 17 œuvres présentées au Château ?
Je suis un artiste très intuitif. En marchant à travers ce palais, j’étais très ouvert à l’idée de créer de nouvelles pièces mais à la place, ce sont des œuvres que j’avais déjà produites qui se présentaient à moi : dans le Salon de Mars, je voyais le « Homard ». Dans le Salon de l’Abondance, les « Lapins »…
Comment avez-vous joué avec l’histoire de ce monument royal ?
L’art est un véhicule extraordinaire pour voyager dans le temps. Il nous connecte à notre passé et notre présent, nous donne conscience de l’avenir, nous y projette même. Jouer avec les époques m’a beaucoup plu. J’ai confiance en l’histoire de l’humanité. Suivre ses ambitions personnelles mène à l’essentiel, tout droit dans le monde des archétypes. J’ai donc traîté Versailles comme une plate-forme d’archétypes et d’informations profondément ancrés dans l’histoire de l’humanité.
Qu’est-ce qui vous plaît tant chez Louis XIV ?
Louis XIV était quelqu’un de très humain, un politicien brillant et un esthète. Quelqu’un qui établissait un dialogue entre le contrôle et l’absence de contrôle. Il avait conscience des polarités, et c’est un élément vital dans l’art. Ça fait partie des choses qui me fascinent chez lui.
Dans l’une des salles de cette exposition, près du portrait de Louis XVI, vous vous représentez en Apollon. Comment l’expliquez-vous ?
Dans le Salon d’Apollon, il y un fantastique tableau très iconique de Louis XIV, accroché très haut, tout comme le portrait de Louis XVI. On peut y voir toute leur splendeur. C’était des visions qui nous donnaient l’impression qu’on ne pourrait jamais s’asseoir à la même table qu’eux si on n’était pas représenté avec la même magnificence. A Versailles, il y a aussi plusieurs sculptures du Bernin dont une qui représente Louis XIV sur un socle étonnant. J’ai donc fait une réplique de ce socle pour y poser mon propre portrait à la manière de ces œuvres monumentales. Mais il faut juste y voir le symbôle d’un individu de notre époque.
Pensez-vous que trois siècles plus tôt en France, vous auriez pu être un artiste de cour ?
Etre un artiste de cour, du temps où les règles étaient établies avec autant de précision ; ou bien être un artiste comme Courbet ou Manet quelques siècles plus tard… ce n’est pas la question. Il s’agit plutôt de savoir comment survivre en tant qu’artiste quelle que soit l’époque, comment jouer avec les règles proposées.
A la Cour, à l’époque des Lumières, il se dégageait une véritable capacité poétique à explorer le potentiel humain. Le niveau d’intelligence au XVII et XVIIIè siècles était extraordinaire et les gens se servaient au maximum de leur potentiel à la cour. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas.
Quel est votre lien au style Baroque ? Vous sentez-vous un artiste néo-Baroque ?
Le Baroque est merveilleux pour son sens de l’équilibre. On y retrouve plein de polarités en architecture, la symétrie et l’assymétrie par exemple. Si on entre dans une Eglise Baroque, on trouve à la fois l’existence de Dieu à travers les motifs floraux, les plantes, les animaux, les images de la fertilité… mais aussi à travers des aspects éthérés, ephémères et spirituels. L’équilibre de l’art Baroque se situe entre ces plafonds captivants qui nous emmènent vers l’au-delà et la base du pouvoir qui semble venir du sol.
Il y a beaucoup d’humour dans cette exposition… Est-ce important dans votre travail ?
Ce que j’aime spécialement dans le fait d’être père, c’est de pouvoir créer pour mes enfants des situations à travers lesquelles ils peuvent s’amuser de la vie et saisir le potentiel qu’ils ont en eux. Je crois en l’optimisme. Je crois qu’il faut vraiment profiter de chaque moment et essayer de se forger un avenir passionnant. L’humour par certains de ses aspects peut participer à cette quête. En revanche, je n’aime pas l’humour tarte-à-la crème et je ne crois pas qu’on puisse tout prendre comme une blague. Je crois en la nature car je pense qu’elle emprunte le chemin le plus fluide vers le plaisir.
Vous êtes connu pour l’aspect provovateur de votre travail. Avez-vous changé à ce niveau-là ?
Je n’ai jamais consciemment essayé d’être provocateur. J’ai juste suivi mes ambitions personnelles. Etre honnête avec soi-même, c’est souvent ce qui choque le plus. Quand j’étais plus jeune, je ressentais surtout le besoin de créer une narration dans un espace bien défini. Un des luxes que j’ai pu développer en tant qu’artiste, c’est de dépasser ces limites, donner une vue panoramique des choses.
J’essaie de me connecter à l’histoire de l’humanité à travers mon travail. Je ne pense pas que choquer soit important. La première chose qu’un artiste doit faire, c’est croire en lui-même, tout devient alors très métaphysique. C’est à travers cela que les connexions commencent à s’établir et c’est ce qui m’intéresse.
Est-ce que vous jouez avec l’idée du décoratif, de l’ornemental dans votre travail ?
J’aime la beauté, la nature, l’idée des choses simples. Le décoratif est une surface très séduisante mais ça reste une surface. Par contre, je n ‘ai pas peur du décoratif. Mon père était décorateur d’intérieur et j’ai appris l’esthétique à travers le décoratif. Mais en tant qu’artiste, ce qui me touche le plus, c’est la profondeur, ce qui peut se lire à plusieurs niveaux, nous éclairer, établir des connections. Le superficiel n’amène pas la transcendance.
Production, consommation, marketing, speculation… Vous avez un passé de trader. Pensez-vous que l’art est aussi un business ?
Souvent, les gens qui regardent mon travail lui attachent des valeurs différentes de celles que j’y ai mis. J’ai eu des discussions concernant le désir, la valeur d’un objet d’art mais j’essaie par mon travail de faire comprendre au spectateur que l’art est en lui et que l’important réside dans son aptitude à rejoindre l’art qui est en lui. La valeur n’est pas dans l’objet. L’objet est seulement là pour transmettre cette information.
On croise beaucoup de célébrités dans votre travail. Pensez-vous qu’il est important d’impliquer des gens célèbres dans son travail pour être reconnu aujourd’hui ?
Je ne pense pas. La première personne que j’ai utilisé dans mon travail et qui avait une certaine notoriété c’était Bob Hope quand j’ai fait ma série de statues (1986). Il y avait Bob Hope et Louis XIV. Ils representaient 2 pôles du dialogue sur la manière dont l’art a été utilisé depuis l’époque de la Révolution. Bob Hope, c’était l’art aux mains des masses, il reflétait un égo de masse. Et Louis était le symbôle d’un art entre les mains d’un monarque. Mais je ne pense pas que la célébrité soit importante en soi aujourd’hui avec tous les média qu’on a. Il y a une grande différence entre le fait d’être significatif et le fait d’être important. Les média mettent en avant l’importance alors que le significatif devrait l’emporter.
Vous présentez un portrait de Michael Jackson, vous avez été marié à La Cicciolina…
Il y a des choses qui préexistent et auxquelles je fais référence. Quand j’ai fait la sculpture de Michael Jackson par exemple, c’était pour le montrer comme une figure contemporaine qu’on adule un peu comme le Christ. Mais en fait les célébrités elles-mêmes ne sont pas toutes faîtes, elles sont généralement créées à travers beaucoup d’angoisse. Ce sont le plus souvent des êtres qui ont besoin de se sentir soutenues et tenues dans une position supérieure.
Quand vous avez réalisé le portrait de Louis XIV en 1986, était-ce une prémonition de cette exposition à Versailles ?
Depuis que je suis jeune artiste, j’ai toujours voulu avoir un dialogue avec des artistes comme Dali, Duchamp, Lichtenstein, Manet, Courbet… je voulais me sentir connecté à eux et c’est vraiment merveilleux d’avoir une exposition dans un lieu tel que le Château de Versailles. C’est un point fort de ma carrière professionnelle. On peut faire des parallèles entre le superficiel des 17è et 18e siecles et mon travail qui traîte du superficiel contemporain, du pouvoir… Ce sont des dialogues philosophiques universel. Et tout cela se concentre dans cette exposition.
Vous sentez-vous un artiste révolutionnaire ?
Je suis pour que les gens jouissent au mieux du moment qu’ils vivent. C’est si facile d’exister et de ne pas être réellement engagé dans l’époque où on vit. L’art est une chose qui donne aux gens le pouvoir de vivre leur potentiel, mais pour que ce soit possible, il faut accepter sa propre histoire. Alors, automatiquement leurs paramètres sont décuplés. C’est alors comme une petite révolution en chacun d’eux.
Quels sont vos projets ?
C’est intéressant de passer de Versailles si baroque à la Neue Nationalgalerie à Berlin, un cube Moderniste de Mies Van Der Rohe. Et puis je travaille sur une grande sculpture publique intitulée Train pour le Los Angeles County Museum of Art (LACMA). C’est grue à laquelle est suspendue une locomotive à vapeur de 1941. Comme un clocher, elle réunira les gens car 3 fois par jour elle se mettra en marche lentement jusqu’à gagner la pleine vitesse et siffler. Cette pièce a la portée orgasmique met le spectateur face à sa propre mortalité.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Anaïd Demir
Versailles 2008
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