Paris Photo 2010 – Coups de coeur de la rédaction
L’intérêt de la manifestation est de présenter le travail d’artistes contemporains comme des épreuves vintage, parfois anonymes, du XIXe et du XXe siècle. De cette catégorie, la galerie La Lumière des Roses, à Montreuil, s’est fait une spécialité, en proposant des épreuves anciennes souvent d’illustres inconnus, soigneusement chinées. Il s’agit du second Paris Photo de la galerie, et au vu du nombre de gommettes apposées samedi sur les cartels, cela ne saurait être le dernier. On retiendra notamment une série de diapositives couleur moyen format montées en boîtes lumineuses, et réalisée dans les années 1920 sur les illuminations des grands magasins parisiens.
Dans le vintage toujours, la galerie munichoise Daniel Blau Photography, spécialisée dans la photographie de la seconde moitié du XIXe siècle, présentait un portrait d’Algérienne de Félix Jacques Moulin (vers 1856) particulièrement réussi : le léger flou de bougé du visage étire subtilement les traits du modèle, comme dans une toile de Delacroix. Qu’il soit volontaire ou, plus vraisemblablement, dû à un heureux hasard (les temps de pose exigés à l’époque étaient très longs), ce détail inscrit l’œuvre dans la veine picturale de l’orientalisme, et de la langueur caractéristique de ses représentations.
Les tirages anciens peuvent aussi servir de support aux artistes contemporains : c’est le cas de Maurizio Anzeri (né en 1969), qui détourne d’anciennes épreuves, aux couleurs passées, en recouvrant les visages des modèles de broderies radiales de fils de couleur ou de métal. Tout en évoquant certains courants de l’art moderne, comme le constructivisme ou le futurisme, ce procédé dégage en tout cas une grande énergie plastique : Nadia (2010), dont les cheveux sont recouverts d’un fin voile, la tête penchée, semble pleurer des larmes en autant de rayons d’or. Il est représenté par la galerie londonienne The Photographers’ Gallery.
Photographie et installation
Dans un tout autre registre, la photographie est un moyen privilégié pour la charade plastique ou le jeu conceptuel, et pour fixer la performance et l’installation éphémère.
L’artiste Marlon de Azambuja (né en 1978) se distingue par ses installations sur le mobilier urbain. Dans la veine d’un Christo, mais à une échelle plus intimiste, il emballe de plastique de couleurs vives bancs publics, réverbères et barrières de chantier, comme pour réenchanter la ville. Dans la série Metaesquemas, présentée par la galerie madrilène Max Estrella, il intervient en particulier sur les bouches d’égouts et autres regards, en les reliant au gaffer noir, transformant par ce geste des éléments à première vue disparates et inesthétiques en un ensemble cohérent qui obéit à une certaine harmonie.
L’œuvre plus ancien de Sigurdur Gudmundsson (né en 1942), représenté par la galerie islandaise I8, paraît influencé par le Surréalisme et notamment par Magritte, et matérialise par l’absurde des idées abstraites. Sa photographie Dialogue. Earth, Water, réalisée en 1979, où une grosse virgule noire surgit sur le bord (« Earth ») d’une rivière (« Water »), est une affirmation poétique et indiscutable.
Pour clore ce propos, faisons appel comme les Anciens à un memento mori. Pour nous réduire à notre condition périssable, la photographie est le médium par excellence. Présentée dans une alcôve de VU’ la Galerie (Paris), sans doute pour ménager le choc du public, Woman, Morgue Work, de Jeffrey Silverthorne (1986), convoque les termes de Georges Bataille, dans un article pour une revue américaine présentant des photographies de meurtres : « il semble que le désir de voir finisse par l’emporter sur le dégoût ou l’effroi ».
La beauté n’a donc certes rien de lisse ou de propre : ce magnifique et dérangeant portrait, où la chair du thorax a été sommairement rabattue à sa place, dévoilant les stigmates sanglants de l’autopsie, ne peut laisser ignorer l’influence des représentations de Christ mort de la peinture classique, et notamment Andrea Mantegna. La pudeur dérisoire du drap blanc qui couvre le bas du corps, et la sombre lumière verdâtre contribuent à renforcer cette évocation.
David Coelho
Lire aussi sur Artistik Rezo, Drawing Now au Carrousel du Louvre.
Paris Photo
Le commissariat de Paris Photo est assuré par Guillaume Piens. Nataša Petrešin-Bachelez, critique d’art et commissaire d’expositions indépendante est la commissaire invitée sur la thématique Europe centrale pour sélection du Statement
Du 18 au 21 novembre 2010
Jeudi 19 novembre, vendredi 20 novembre, samedi 21 novembre de 11h30 à 20h
Dimanche 21 novembre de 11h30 à 19h
Prix d’entrée : 18 €, 9 € pour les étudiants
Catalogue : 20€
Carrousel du Louvre
99 rue de Rivoli
75001 Paris
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