Antonioni, aux origines du pop
Oeuvres de Michelangelo Antonioni
Du 9 avril au 19 juillet 2015
Tarifs : de 5€50 à 11€
Cinémathèque française 51, rue de Bercy 75012 Paris M° Bercy
www.cinematheque.fr
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Du 9 avril au 19 juillet 2015
L’exposition sur le cinéaste Antonioni déploie des extraits de films, des photographies, des œuvres plastiques, des écrits et documents rares, des notes et images glanées et rassemblées selon les principes d’une collection dont la fascination érotique et les éblouissements des visages d’actrices se conjuguèrent avec la rigueur d’une méthode.
Un cinéaste contemporain Antonioni est le cinéaste ayant appartenu à la génération de l’après-guerre qui répond aux questions essentielles que vit et se pose l’humanité de ces débuts de XXIe siècle. Et si nous sommes vivement concernés désormais par l’œuvre antonionienne, sur un mode esthétique et existentiel plutôt qu’idéologique, cela révèle précisément son actualité à l’heure de l’invalidation définitive des systèmes globaux d’explication du monde et de l’incompréhension désemparée des peuples devant l’évolution chaotique des sociétés. La direction des acteurs et les dialogues expriment la lassitude et l’ennui d’une classe sociale dont Antonioni décrit le désinvestissement sur l’orientation concrète de la réalité. Ces récits ancrés dans l’Italie des années 60, conduisent vers les ruptures idéologiques et morales mondialisées des années 70, qu’Antonioni sait traduire, de manière exceptionnelle, dans des mises en scène qui firent de lui le cinéaste de la jeunesse, de la contemporanéité et de la mode : Antonioni était aux origines du « Pop » ! En 2015, Zabriskie Point et Blow-up demeurent des films d’aujourd’hui, résolument d’aujourd’hui.
L’influence L’œuvre du cinéaste ferrarais a eu un écho fertile dans les cinématographies asiatiques. Wong Kar-wai (Nos années sauvages), Nobuhiro Suwa (Un couple parfait), Hou Hsiao-hsien (Millennium Mambo), Tsai Ming- Liang (Vive l’amour), Edward Yang (Le Terroriste), paraissent nous rappeler aujourd’hui à nos « devoirs de mémoire moderne »! Il faut ajouter à cet accueil oriental, dont l’expérience de La Chine (Chung Kuo) pourrait en avoir constitué un éveil préfigurateur, la fécondité antonionienne chez des cinéastes américains : Vincent Gallo (l’admirable errance désertique de The Brown Bunny ) et Gus Van Sant, dont le filmage de la nuque de ses personnages dans Elephant et Gerry semble trouver son origine dans les déambulations féminines de la trilogie d’Antonioni (L’Avventura, La Notte, L’Éclipse) où Monica Vitti incarna plus qu’un personnage mais fut le medium du cinéaste. Avant ces deux derniers cinéastes, Ridley Scott évoque déjà, avec Blade Runner, une précédente influence : anticipation et interrogation des confins de l’image. Des cinéastes de l’Est européen furent également sensibles à l’inspiration antonionienne : Andreï Tarkovsky (Stalker), Jerzy Skolimowski (Deep End). Enfin Wim Wenders (Paris Texas) et Brian de Palma (Blow-out) rendirent hommage, chacun à leur manière, au cinéaste à travers l’expérience du désert ou de la pulsion voyeuriste.
Le peintre Antonioni est peintre indéniablement, et le fut durant de longues années de sa vie en réalisant ses Montagnes Enchantées, préoccupé essentiellement par les ruses et les épiphanies du style Informel. En outre, il n’hésite pas à le souligner par la forte présence de la peinture dans l’appartement du début de L’Éclipse et aux murs des ateliers dans Le Désert rouge et Blow-up. Les agrandissements photographiques de Blow-up prolongent enfin cet attrait pour le « dripping » pictural et les traînées nerveuses de la brosse. De Chronique d’un amour à L’Éclipse, Antonioni ne filme pas en noir et blanc avec inconscience. L’opacité charbonneuse de Chronique, dont Lucia Bosè est une vamp héritière de Louise Brooks, la grisaille étudiée de Paris et Londres baignant Les Vaincus, les ombres soyeuses des intérieurs et des étoffes de Femmes entre elles, la pâleur solaire et maritime de L’Avventura, l’obligatoire obscurité permanente de La Nuit, le piqué photographique et la modulation des gris de L’Éclipse, font d’Antonioni un cinéaste dont on suppose longtemps que le style ne peut se distraire du noir et blanc, contemporain des Lucio Fontana, Jean Dubuffet, Alberto Burri, Antony Tapies, Piero Manzoni… Le blanc comme un silence et le noir comme un cri, le blanc comme l’exigence éthique et le noir comme l’oubli des sentiments, identifient pour cette génération la peinture à une écriture. D’où, probablement, le double et paradoxal reproche fait au cinéma d’Antonioni d’être abstraitement pictural et littérairement affecté.
La couleur Comment ne pas s’arrêter sur la troublante évidence d’une survivance du noir et blanc au cours de cette fuite d’Italie ? Thomas, le photographe de Blow-up, est triplement un homme du « noir et blanc » : ses photos, dont il interroge la composante moléculaire jusqu’à l’aveuglement et leur fission neigeuse dans un gris uniforme, la mode vestimentaire de Londres qu’il saisit, rythmée par les intermittences du noir et blanc, ses vêtements enfin, pantalon blanc et veste verte-noire ! Quant à Mark et Daria, le couple aspiré par les dunes, ils se mêlent en un lyrisme générationnel et musical à la poussière blafarde du Zabriskie Point, poussière qui unifie la diversité colorée de la passion hippie. Bruce Davidson, le photographe de plateau et futur maître chez Magnum, absorba en noir et blanc les reliefs qui cernent la Vallée de la Mort. Enfin, le reporter du bien nommé Passenger accomplit son transfert identitaire à travers l’expérience de la brûlure décolorante du soleil, préfiguratrice du final intersidéral d’Identification d’une femme.
L’homme Quatre acteurs incarnent cet idéal masculin dont il est tentant de suggérer que les personnages sont mus par l’impulsion érotique : Massimo Girotti (Chronique d’un amour), Gabriele Ferzetti (L’Avventura), Marcello Mastroianni (La Nuit), Francesco Rabal (L’Éclipse). Ces quatre acteurs présentent un air de ressemblance frappant et appartiennent à un même type physique d’hommes dont le visage restitue avec insistance les traits d’une certaine idéalité italienne, survivante d’un modèle plus ancien encore, prenant sa source dans l’âge classique de l’Antiquité grecque : un nez droit, un front dégagé mais sans dimension excessive, un élégant maxillaire inférieur, dotant le visage d’un effet viril mais aussi, paradoxalement, d’une imperceptible mollesse. Girotti, Ferzetti, Mastroianni et Rabal se ressemblent depuis cette même régularité, cette même harmonieuse fadeur qui caractérisent le cliché du visage italien, de l’Italian lover… L’œuvre antonionienne est cette incomparable analyse critique – figurative, philosophique et morale – des origines culturelles humanistes de la masculinité italienne et par conséquent de celles de l’auteur lui-même. Cette œuvre cinématographique est un exemple rarement égalé d’une création artistique de nature auto-existentielle. Et ce caractère d’autofiction selon l’expression française, prouve s’il le fallait encore, son acuité contemporaine.
[Source texte : dossier de presse – Crédits visuels : Michelangelo Antonioni ; Monica Vitti dans Désert Rouge ; Blow Up ; Le Cri] |