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Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (1/2)

2 juillet 2015
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Frida Kahlo, portrait d’une icône moderne (1/2)

Le destin de Frida Kahlo est tragique, sous le signe de la souffrance mais sauvé par l’art et par l’amour passionné avec Diego Rivera. Icône féministe et gay, artiste engagée, elle est devenue l’emblème de son époque.

Anticonformiste, engagée, féministe : la personnalité de Frida Kahlo concentre en un dosage subtil ces ingrédients qui ont contribué à bâtir son mythe, à la faire accéder au statut de véritable icône du monde de l’art. Elle était déjà une star nationale au Mexique, presque aussi importante que la Vierge de Guadalupe, mais c’est sa redécouverte par les féministes dans les années 1980 qui a déclenché, aux Etats-Unis et en Europe, une véritable idolâtrie, une « fridamania ». Depuis, elle est célébrée par les institutions du monde entier qui s’arrachent ses quelque 200 œuvres produites en 47 ans, avec quelques rétrospectives marquantes en 2010, comme celle du Martin-Gropius-Bau de Berlin (présentée ensuite au Kunstforum de Vienne) ou celle du Bozar à Bruxelles.

En 2013, le musée de l’Orangerie choisit de faire dialoguer les œuvres de Frida Kahlo avec celle de son époux, Diego Rivera, exercice auquel s’était déjà essayé le musée Maillol en 1998. Tous les deux avaient construit l’exposition avec comme noyau principal les œuvres conservées au musée Dolores Olmedo, musée créé par cette jeune femme qui a été l’amante de Diego Rivera et qui l’a accompagné à la fin de sa vie lorsqu’il a été atteint d’un cancer. Dolores Olmedo a ainsi constitué une importante collection de peintures du chef de file des muralistes mexicains (une centaine de pièces), et à la demande pressante de ce dernier, l’a complétée d’une trentaine de chefs-d’œuvre de Frida Kahlo.

Aujourd’hui, sa popularité est plus criante que jamais et a dépassé les frontières du monde de l’art : le couturier Jean Paul Gaultier lui dédie une collection en 1997, détournant le corset, symbole de souffrance chez Frida Kahlo, pour le charger d’un pouvoir de séduction. Susanne Bisovsky s’inspire directement des costumes que la Mexicaine arbore dans ses autoportraits pour des créations sophistiquées, et l’Espagnole Maya Hansens a récupéré ce qui est devenu le « code Kahlo » – sourcils prononcés, coiffure avec des fleurs, tissus aux couleurs criantes – dans sa collection de printemps 2013. Et puis il y a aussi ces artistes qui ont revendiqué l’image de Frida, au point de la grimer comme le Japonais Yasumasa Morimura, de peindre comme elle, de s’habiller comme elle… Le cinéma n’est pas en reste, produisant documentaires et films dès 1951 (des extraits sont diffusés dans la salle documentaire), portant à l’écran une vie qui aurait pu être écrite par les meilleurs scénaristes de Hollywood, incarnée par Salma Hayek en 2002 (Frida).

Jeune fille brillante destinée à la médecine, son destin bascule le 17 septembre 1925 : alors qu’elle rentre avec son ami Alejandro, son bus est percuté par un tramway. Le « choc ne fut pas violent mais sourd, lent, blessant tout le monde » et Frida de façon irrémédiable : triple fracture de la colonne vertébrale, fracture de la clavicule, triple fracture du bassin, perforation de l’abdomen et du vagin (elle dira avec ironie qu’elle a perdu sa virginité à ce moment-là !), onze fractures à la jambe droite… Un véritable carnage. Les médecins la condamnent, mais c’est sans compter sur la soif de vivre de la jeune Frida qui n’a pas encore accompli son destin. Elle s’en remet, au prix d’une vie de souffrance, condamnée à porter des corsets en plâtre, en métal ou en plastic et à souffrir le martyre, a subir de nombreuses opérations et l’amputation de la jambe droite jusqu’au genou en 1953, un an avant sa mort. Elle reste néanmoins débordante de vie, luttant contre ce corps brisé, oscillant entre désespoir et joie de vivre, supportant la souffrance grâce aux drogues et à l’alcool.

La passion complète le tableau, une passion dévorante et destructrice, avec un monstre sacré de l’art mexicain, Diego Rivera. Cet ogre à la carrure écrasante est outrageusement laid, terriblement fascinant et charmeur. Il aime Frida, c’est sûr, mais il aime aussi les femmes et s’amuser de son pouvoir de séduction. Frida est jalouse, elle a du mal à supporter ce libertinage et finit par céder à ses propres désirs ou à panser ses plaies. Les amants se succèdent : le sculpteur américano-japonais Isamu Noguchi, Léon Trotski – que le couple Kahlo-Rivera héberge à la Casa Azul –, le galeriste Julien Levy, le photographe américain d’origine hongroise Nickolas Muray… et la légende rapporte une expérience de lesbianisme avec Georgia O’Keeffe. Passion et déchirements colorent leur relation, mais elle écrira à Diego en 1935 : « […] toutes ces liaisons avec des jupons, ces ladies professeurs d’anglais, des Gitanes qui te servent de modèles, ces assistantes aux bonnes intentions […] ne sont que de petits flirts, et […] au fond, toi et moi, nous nous aimons profondément, et en dépit des aventures sans nombre, des coups à la porte, des imprécations, des insultes, des réclamations internationales – nous nous aimerons toujours. » Cette certitude défaille quelque peu lorsque Diego fait tomber Cristina, la sœur de Frida. Une limite a été franchie ! Elle le quitte… pour mieux le retrouver, c’est dans l’ordre des choses. Ils se marient le 21 août 1929 (elle immortalise ce moment dans un tableau de 1931, où elle se représente avec les pieds incroyablement petits !), divorcent le 6 novembre 1939… pour se remarier un an plus tard, le 8 décembre 1940, en Californie. L’union de « l’éléphant et de la colombe », selon la formule de la famille de Frida, qui n’appréciait guère les manières de Rivera.

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Stéphanie Pioda

[Visuel : Carl Van Vechten (1880–1964), Portrait of Diego Rivera and Malu Block and Frida Kahlo de Rivera, 19 mars 1932. This image is available from the United States Library of Congress’s Prints and Photographs division under the digital ID cph.3c03971. As the restrictions on this collection expired in 1986, the Library of Congress believes this image is in the public domain. However, the Carl Van Vechten estate has asked that use of Van Vechten’s photographs “preserve the integrity” of his work, i.e, that photographs not be colorized or cropped, and that proper credit is given to the photographer.]

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