Michel Fau
Ce qui lui a donné l’envie d’être comédien.
« Aussi bien les pièces de boulevard que ma mère m’emmenait voir, que les spectacles d’opéra ou encore les grandes tragédiennes. Enfant, je faisais du théâtre de marionnettes avec mes frère et sœur. Et aujourd’hui, on travaille toujours ensemble !
Il a fait le Conservatoire.
C’était cette vision, naïve et embrouillée par ce mélange, que j’avais en y entrant. Or, à cette époque, dans les années 80, l’austérité était reine au théâtre alors que je rêvais de choses très théâtrales. Ce fut assez douloureux mais j’y ai compris ce que j’avais vraiment envie de faire… et de ne pas faire. D’ailleurs, enseignant aujourd’hui au Conservatoire, je demande toujours « quel théâtre avez-vous envie de faire ? ».. En effet, les médias véhiculent des malentendus sur le métier d’acteur, incitant les jeunes à faire ce qu’ils croient devoir faire au lieu de sortir ce qu’ils ont dans le ventre. »
Ce que ses professeurs, Michel Bouquet, Gérard Desarthe et Pierre Vial, lui y ont appris.
« Ils n’ont pas essayé de me mutiler, ni de me formater. Ils ont au contraire mis le doigt où ça faisait mal. Je voulais faire rire mes camarades et Bouquet fut le premier à me dire que j’étais un acteur tragique tourmenté. Bien sûr, ça passait par le grotesque, le grotesque cachant la tragédie. Pierre Vial m’a souvent fait travailler des contre-emplois dont Dom Garcie de Navarre, prémices du Misanthrope, et il se trouve que je m’apprête à monter Le Misanthrope… 20 ans après. »
Ce qui l’a fait passer à la mise en scène.
« J’ai toujours voulu en faire. Mais au Conservatoire, le mot d’ordre était de ne pas cumuler. On avait oublié Jouvet, Vilar, Mesguich, Arias, Planchon et beaucoup d’autres. Alors, soudain, sont arrivés des metteurs en scène qui n’avaient jamais mis les pieds sur scène… ce qui pouvait être intéressant…ou pas. J’ai souffert aussi bien de metteurs en scène qui n’avaient rien à dire que de partenaires qui ne me plaisaient pas. Si j’avais continué ainsi, je pense que j’aurais tout arrêté. Or, ayant beaucoup travaillé avec Olivier Py qui écrivait pour moi, j’avais été comblé en tant qu’acteur. Travailler avec l’auteur en direct, c’est idéal. On savait où on allait. Il disait pourquoi il avait écrit ça, il me suffisait ensuite de l’interpréter. Michel Villermoz fut le premier à me demander de mettre en scène une pièce de David Mamet, puis je me suis distribué dans Ibsen, dans Guitry ou encore Néron… ce dont personne n’aurait jamais eu l’idée. Ainsi, j’ai pu jouer les beaux textes que j’aimais, choisir mes partenaires et ne pas devenir un acteur malheureux et aigri. Pour autant, j’ai par exemple adoré travailler avec Jérôme Deschamps et j’ai un projet avec Benjamin Lazare à qui je fais totalement confiance. »
Il a un goût prononcé pour les mises en scène décalées, le baroque, l’expressionnisme.
« Cela me vient de l’opéra, comme des grandes tragédiennes et d’un certain cinéma parfois daté certes, mais aussi signé Scorsese, Tim Burton ou des frères Cohen… Je peux ainsi penser que je ne suis pas totalement has-been… même si les gens de théâtre me disent que je fais du théâtre qui n’existe plus ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Pour moi, il est important qu’il y ait plusieurs styles de théâtre. Le « vrai » théâtre, ça n’existe pas ! »
Dans la vie, il est différent de ce qu’il montre sur scène.
« Dans la vie je suis beaucoup plus timide et triste… même si je fais des progrès. Les gens, le monde me font peur même si je rencontre des personnes formidables. Quand j’étais petit, on me disait dans la Lune. Je pense y être resté. C’est pour ça que j’ai fait l’artiste parce que j’avais du mal avec la réalité, avec le quotidien, avec le système de la société. Je suis un peu handicapé de la vie. D’ailleurs, je ne me sens pas du tout citoyen comme certains artistes qui ont un avis sur la vie, la société, la politique comme s’ils avaient des solution miracles pour les banlieues, la misère, l’immigration ! Michel Simon ou Arletty n’ont jamais parlé de politique,eux. »
Il est nostalgique tout vivant dans le présent.
« Je suis très nostalgique comme garçon, c’est vrai. J’ai un vieux rêve, celui du Cartel formé par Pitoëff, Dullin, Baty et Jouvet, un rêve biaisé car vivre à cette période d’avant-guerre, ce devait être terrible… ce n’est qu’un rêve ! En même temps, j’ai joué beaucoup d’auteurs contemporains : Durif, Christian Siméon, Py… Mais si je monte Montherlant, que j’aime depuis toujours, c’est pour le rôle et la langue, sublimes, comme pour son mélange des genres, humour féroce et tragédie lyrique. Je lis beaucoup de pièces sans trouver d’équivalent à cette écriture. Ceci dit, même si je suis nostalgique, je suis complètement dans le présent. Je suis comblé par ce que je réalise et si je fais le bilan, je me dis que ma vie est plus belle que mes rêves ! »
Ce qu’il aime jouer.
« J’aime les choses radicales et l’excès, donc le grotesque et le tragique. Je joue souvent des personnages pernicieux, troubles ou négatifs, des monstres même. Mais je rêve de jouer un pur, genre difficile à trouver dans le répertoire. »
Ses projets.
« J’ai ai beaucoup. Je me dépêche avant d’être vieux ! Parmi les plus immédiats, je citerai des lectures, avec Bernadette Lafont, au Festival de Figeac, de la correspondance Colette / Marguerite Moreno, de très belles lettres. À la rentrée, débute la tournée de Demain il fera jour. Et en janvier 2014, je serai Alceste dans Le Misanthrope, avec Julie Depardieu dans le rôle de Sylvaine. J’ai eu envie de revenir à l’origine de la pièce. Elle est devenue, au XIXème siècle, un drame un peu romantique. Or c’est une comédie du XVIIème très cruelle et très drôle. Molière y faisait beaucoup de grimaces et je vais aller dans ce sens, très outrancier. »
Caroline Fabre
[Photo : Bruno Perroud]
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