Latitudes Est… – galerie Albert Benamou
L’Asie a pris une part croissante de l’économie mondiale et abrite la moitié de la population de la planète. Les conséquences d’un capitalisme sauvage et d’une compétition effrénée avec l’occident affectent de manière parfois dramatique une population bouleversée par des changements multiples.
Quelques images nous inciteront à explorer, par une vision transversale, les défis planétaires de ces superpuissances et de leurs contradictions. Au-delà de leurs ressorts vitaux, de la force des soubassements démographiques et culturels, se poseront les questions sur les besoins en énergie, le comportement à l’égard de l’environnement, le défi d’une croissance urbaine exceptionnelle. Ces problèmes seront évoqués par les artistes, vigilants observateurs, qui épient, dans cette course à la modernisation, la pression exercée par les impératifs démographiques et économiques, et leurs répercutions désastreuses au niveau humain (Zhang Huan, Wang Qingsong, Chen Wenling, Choi Xooang, Gao Brothers, Almagul Menlibayeva, Lochan Upadhyay, Ru Xiaofan, Yang Yongliang, Yun Aiyoung, etc.)
Certains artistes choisissent de dénoncer les catastrophes et les effets nocifs de la pollution. Ils questionnent notre époque en utilisant l’imagerie traditionnelle des paysages classiques montagneux et boisés auxquels ils rajoutent, grâce à des techniques numériques sophistiquées, les greffes menaçantes de la modernité.
Le Chinois Yang Yongliang exprime dans ses photos délicates, l’agressivité industrielle et les constructions intensives qui mènent à la perdition de l’homme et de la nature. Ses fusions poétiques et luxuriantes sont en fait ponctuées d’éléments de villes en décomposition mais l’harmonie qui s’en dégage crée l’illusion d’un univers bucolique paisible.
Au contraire, le visionnaire pessimiste Du Zhenjun, dans ses photomontages de la tour de Babel (National Day Super Tower) transpose le mythe biblique de la colère de Dieu à notre époque. Une vision tragique où la surpopulation, l’urbanisation à outrance et l’opacité de l’air ont remplacé les paysages pastoraux et limpides.
L’Indienne Shantamani travaille dans la ville de Bangalore en perpétuelle métamorphose passée au rang de mégapole au bord de l’implosion. Sa sculpture de Dollar réalisée en charbon de bois calciné devient une allégorie d’une Inde ancestrale en proie aux pressions économiques étrangères mais en perpétuel renouvellement.
La Kazakh Almagul Menlibayeva, dans les steppes désolées de l’Asie Centrale, révèle les désastres écologiques de l’assèchement de la mer d’Aral par les cultures intensives du coton de l’ancien Empire soviétique. Dans ses photos et vidéos « Transoxiana Dreams », elle tente, par un chamanisme bienfaisant, de conjurer les tribulations des populations nomades sacrifiées aux intérêts de puissances coloniales vampirisantes.
Certains artistes utilisent et exploitent ce même réservoir humain pour mener à bien leurs croisades contre les abus de leurs dirigeants, et mettent parfois, en danger leur propre intégrité, jusqu’à l’exil ou l’emprisonnement.
Zhang Huan, dans ses innovantes performances de la communauté East Village du Pékin des années 90, s’attaque de front à la politique du gouvernement. Il s’attire leur censure avec des oeuvres choquantes dans lesquelles il soumet son corps nu à la souffrance et à la torture et élabore dans ses manifestations, un langage d’interaction avec le monde. A travers son œuvre To Add one meter to an anonymous mountain, il rappelle implicitement la construction du barrage des Trois Gorges sur le fleuve Yangzi, entrainant l’engloutissement de villages entiers et la migration de leurs habitants, venus grossir la population urbaine des villes avoisinantes.
De la même manière Wang Qinsong dans son Flooding scénarise comme des productions Hollywoodiennes les mêmes répercurtions écologiques et démographiques.
L’Indien Lochan Upadhyay avec la série de ses « Plastic men » dénonce les campagnes polluées des environs de son village. Il anime dans des performances in situ un mutant futuriste, créature composite de sacs en plastique et de déchets de recyclage. Par une solidarité communautaire, il incite à une rebellion contre les méfaits de la globalisation.
Les meurtrissures de la nature ne sont pas les uniques tourments décris par les plasticiens des pays orientaux. Au-delà de leurs prophéties visuelles, ils doivent souvent affronter les foudres de la censure, esquiver les punitions (on l’a constaté récemment avec Ai Wei Wei) et combattre les interdits dans un bras de fer permanent avec les autorités.
Les Gao Brothers, chefs de file pluridisciplinaires surdoués de l’art chinois sont deux frères observateurs pointus mais sous contrôle, des transformations qui bouleversent leur pays. Puisant à travers le miroir d’une société révélant son immaturité, ils décrivent dans des allégories humanistes la vie quotidienne à Pékin. Ils approchent avec tendresse et émotion la difficulté des hommes à survivre en communauté, les traumatismes des populations déplacées par les grands chantiers urbains, leur aliénation et leur violence, et les tabous d’une civilisation en perte de repères.
Certains artistes, à l’inverse de la vision des outrages infligés à leurs frères humains, ont choisi un repli poétique, une évasion vers un monde idéal. Dans ces empires millénaires où la spiritualité détient une place encore essentielle, ils peuvent en puiser l’essence comme une ultime consolation. Dans la tradition des jardins de poètes, ils réinventent un monde secret où le réel est effacé au profit d’une illusion de sérénité et de méditation.
Ru Xiaofan dans ses sculptures de Fleurs en laque nous transporte dans un univers au-delà du tangible. Ses végétaux d’illusion, ses jardins organiques semblent ressusciter des manufactures impériales et questionnent le rapport à la nature et à la culture. Une mutation anthropomorphique à caractère érotique signale le règne de l’artifice, du leurre et de l’inaccessible.
L’artiste coréenne Yun Aiyoung qui vit à Paris a développé une oeuvre centrée sur la vidéo et la photographie à travers des installations parfois monumentales. Son univers introspectif et onirique tisse un espace ‘lastique où poussent des arbres mystérieux (Time garden) où des créatures évoluent librement en apesanteur entre rêve et fantasme. Elle semble annoncer que l’intégration et l’harmonie ne peuvent exister qu’en se réfugiant dans un paradis protégé, un cocon fictionnel et foetal.
Huang Yan rappelle le cycle des saisons dans les délicats paysages de la Chine ancestrale peints sur des visages humains. Ainsi, dans ses toiles, il réunifie et réconcilie l’homme et une nature souvent bafouée.
Les artistes de l’Est dans ce tourbillon insensé deviennent les doubles affolés de leurs contemporains. Ils éprouvent en symbiose les mêmes pathologies et tentent d’en être les guerrisseurs.
Le Chinois Ma Liuming s’offre pour thérapie un autre lui-même dont il s’accouche, clone azuré mais difforme, dans un harmonieux retour à l’enfance (Baby n°1).
Le sculpteur chinois Chen Wengling analyse à travers des oeuvres d’une trivialité organique, entre humour et provocation, les travers de notre époque. Son travail illustre le déséquilibre de l’individu dans l’outrance de la consommation, du libéralisme sauvage, son obscène avidité, sa perte des valeurs. Son Homunculus rouge est un mutant moderne exaspéré par le cri, à la musculature hypertrophiée, qui hurle son hystérie à la face du monde pour le mettre en garde contre un suicide annoncé.
Les sculptures presque hyperréalistes du coréen Choi Xooang sont de véritables allégories de la souffrance et de l’incommunicabilité d’une société malade de ses excès. Ses damnés de la terre, autistes (The Islet of Asperger VI) et déformés, nus et chauves, sont abandonnés dans une solitude extrême. Ils se tordent dans leur dernier retranchement, les émotions. L’artiste essaie, à partir dans l’âme de ces pauvres créatures d’extraire un organigramme de toutes les peines et les joies éprouvées. Au-delà de ces fantômes de chair tourmentés Choi Xooang annonçait peut-être en prophète lugubre l’accident fatal de Fukushima.
Dans ces géographies des incertitudes et des flous démocratiques, les artistes semblent être les ultimes défenseurs des droits de leurs peuples et de leurs terres. L’avenir saura dire si leur intervention a été salvatrice.
Véronique Maxé
Latitudes Est…
Du 6 juin au 26 juillet 2012
Vernissage le 6 juin 2012 à 18h30
Galerie Albert Benamou & Véronique Maxé
24, rue de Penthièvre
75008 Paris
A découvrir :
– Les vernissages organisés en juin 2012 à Paris
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