Maîtres du désordre – musée du quai Branly
Présentation de Stéphane Martin, président du musée du quai Branly
« Cette exposition, première du genre au musée du quai Branly, est en effet née de la rencontre avec un homme brillant et atypique, Jean de Loisy, érudit historien de l’art, commissaire renommé d’expositions qui ont fait date, comme Traces du sacré au Centre Georges Pompidou (2008), ou La Beauté à Avignon (2000). C’est à lui que l’on doit le récent Léviathan de l’artiste indien Anish Kapoor, à l’occasion de Monumenta au Grand Palais (2011). Jean de Loisy a depuis été nommé président du Palais de Tokyo, et je me réjouis qu’il soit devenu l’un des éminents voisins du musée du quai Branly sur la colline de Chaillot.
Pour ces Maîtres du désordre, projet qu’il définit lui-même comme “inhabituellement subjectif”, Jean de Loisy a fait le choix original de faire dialoguer chamanisme et art contemporain, abordant ainsi la question par un chemin inattendu. Il donne la parole à une vingtaine d’artistes contemporains de renommée internationale, qui ont réalisé des installations sur la question du désordre. Aux côtés de plus de trois cents objets ethnologiques représentant ou participant des pratiques chamaniques, les oeuvres contemporaines choisies témoignent d’une résonnance des questions ancestrales que posaient ou posent encore les chamanes. Ces artistes rendent lisibles, dans un langage contemporain, des thèmes constitutifs de la conscience humaine. Ils font ressurgir des signes et des comportements dont nous pensions être affranchis. »
Propos de Jean de Loisy, commissaire de l’exposition
« L’Occident désenchanté fut confronté presque simultanément à l’éloignement des dieux anciens, à l’affaiblissement de l’irrationnel et à la découverte des arts primordiaux. Amputé en deux cents ans d’une conception du monde qui le régissait depuis le temps des cavernes, l’art moderne naissant, encore accompagné en ses débuts par les sorcières de Goya, les formes primordiales de Redon et les masques d’Ensor, se détourne d’abord, puis retrouve, capte à nouveau les intuitions et le sens des mythes de sociétés parfois révolues. Si, de l’aube du XXe siècle à aujourd’hui, l’intérêt des artistes pour les arts dits “premiers” ne s’est jamais démenti, de l’expressionnisme allemand à Joseph Beuys, de Picasso à Barnett Newman, de Pollock à Cameron Jamie, on a eu tort de n’y voir qu’un enrichissement de l’histoire des formes.
La fréquentation avérée, continue, des poètes, des écrivains, des essayistes et des peintres avec les ethnologues du XXe siècle, le mélange des genres et des activités des uns et des autres, éclaire de manière éloquente le sens profond, la responsabilité dont se charge ainsi l’art depuis presque deux siècles. La quête que conduisent ces grands artistes est une recherche sur l’humain, une traversée des significations de l’expérience individuelle ou collective, bref, selon une procédure particulière, une anthropologie.
C’est à ce titre qu’une exposition dans un musée d’ « arts premiers » peut être nourrie par l’intervention des artistes d’aujourd’hui. C’est dire que leur présence dans ce projet, où ils accompagnent la présentation d’objets rituels de cultures pour la plupart apparentées à l’animisme, n’est pas convoquée parce qu’ils seraient des sortes de mages ou de chamanes contemporains. Absolument pas. Ils sont présents en tant qu’ils explorent, comme des chercheurs, comme des poètes, les thèmes constitutifs de la conscience humaine.
Or, parmi ces grands sujets, l’interminable drame cosmique de la création du monde, théâtre perpétuel de la sortie du chaos vers un cosmos ressenti comme provisoire, le maintien du rythme des jours et des nuits, du cycle des saisons comme la relation difficile entre la liberté individuelle, l’expression des pulsions et les contraintes de l’organisation sociale, sont associés à la continuelle oscillation, au difficile équilibre de l’ordre et du désordre. C’est ainsi qu’au cœur de la plupart des rituels, la régulation de ce couple turbulent, sujet des mythes anciens et de pratiques toujours actuelles, est confiée à des personnages qui doivent se charger statutairement ou implicitement de cet équilibre : nous les appelons les “maîtres du désordre”, ainsi que les qualifie Bertrand Hell dans le livre éponyme qui est à l’origine de cette exposition. Cet ouvrage, sous-titré Possession et chamanisme, décrit des pratiques toujours vivantes qui font surgir en des points multiples de la planète la silhouette fort connue, quelle que soit l’époque, d’un personnage très particulier “associé à l’ambivalence, à la transgression, au bricolage”. Élu par les esprits, sa marginalité, son extranéité, parfois son ambiguïté sexuelle manifeste, souvent l’ensauvagement, témoignent de l’authenticité de l’élection et de la légitimité de la parole inspirée. Il ne s’agit pas là d’une simple question de pouvoir ou de pittoresque, mais plus gravement de la condition de l’efficacité des soins qu’apporte l’initié à l’individu ou à la communauté confrontée à l’infortune.
Dérisoire et burlesque parfois, redouté car porteur de vérité, libre de sa parole, incarnation de la nécessité du politiquement incorrect, personnage à la formidable fortune littéraire et picturale, certains artistes aujourd’hui, Jacques Lizène ou Paul McCarthy par exemple, endossent un rôle semblable. Grotesques, triviaux, ils tendent au regardeur le miroir dans lequel se reflètent les travers de la société. L’indécence ne les gêne pas puisque c’est la nôtre, ils sont les personnages libres qui déjouent les tentatives coercitives du consensus. Ce sont les nécessaires figures transgressives qui réaniment le jeu sans fin du chaos et de la règle. Ils permettent à l’art contemporain de remplir l’une de ses fonctions majeures dans notre société moderne : mettre en turbulence les convictions, rejouer ce qui paraît acquis, élargir notre champ de conscience, faire exploser les règles convenues. »
Maîtres du désordre
Commissaires
Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, assisté de Sandra Adam-Couralet, critique d’art
Nanette Jacomijn Snoep, responsable des collections Histoire au musée du quai Branly
Conseiller scientifique : Bertrand Hell, anthropologue, professeur d’ethnologie à l’Université de Franche-Comté
Du 11 avril au 29 juillet 2012
Le mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h
Le jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h
Musée du quai Branly
Galerie Jardin
37, quai Branly
75007 Paris
www.quaibranly.fr
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