Meryl Streep – Interview
« Un grand jeu d’actrice piégé dans un film médiocre » : le Times, vénérable institution britannique, n’est pas tendre pour La Dame de fer. La formule, lapidaire, est juste pourtant. Rarement un « biopic » consacré à un destin et à une personnalité aussi hors normes – Margaret Thatcher, première et unique femme Premier ministre du Royaume-Uni, de 1979 à 1990 – est passé autant à côté de son sujet !
Las ! Phyllida Lloyd, réalisatrice du déjà très kitsch Mamma Mia!, s’obstine près de deux heures durant à lisser et dédiaboliser le redoutable animal politique qu’était pourtant Mrs Thatcher, dépeinte ici soit comme une vieille dame touchante et démente (aujourd’hui), soit comme une femme de convictions carrément féministe (hier)… Quelle drôle d’idée et quelle déception ! D’autant qu’aucune… idée de mise en scène ne parvient à éclairer ce parti-pris intimiste. Incroyablement sélectif.
De fait, une seule lumière permet de ne pas sombrer dans l’aveuglement et l’ennui : celle qui anime le jeu, tout en finesse, d’une Meryl Streep métamorphosée. Non pas qu’elle se contente de ressembler, voire d’imiter « la » Thatcher : trop simple. Nantie en effet d’un superbe accent anglais et d’une mise en pli non moins british, c’est parce que la blonde comédienne parvient à saisir – sans effets appuyés – une profondeur, donc une sorte de vérité, de son personnage pourtant engoncée dans sa carapace, que La Dame de fer s’extrait, un peu, de sa médiocrité.
Curieusement – mais est-ce vraiment une surprise ? – une lumière similaire prévalait lors de la conférence de presse parisienne du film, le 6 janvier dernier, dès lors que l’actrice aux deux Oscars prenait la parole, entre deux questions à sa réalisatrice, un tantinet figée (décidément). Fine, sans affectation, impeccable d’élégance discrète, cette détentrice du record absolu de nominations aux Oscars (cette année encore…) saurait rendre intéressant, de toute façon, n’importe quel pensum. Morceaux choisis, en attendant qu’un Clint Eastwood (au hasard) ne s’avise de penser à nouveau à elle…
Comment êtes-vous arrivée à cette « Dame de fer » ?
Au départ, au sortir de Mamma Mia !, je m’étais penchée sur la vie du Dr Elisabeth Kübler Ross, un médecin suisse, pionnière des soins palliatifs, qui avait identifié les cinq étapes du processus du « mourir »… J’en avais parlé avec Phyllida… Et puis, des mois plus tard, quand elle a évoqué avec moi son projet de film sur Margaret Thatcher, m’expliquant que ce ne serait pas un « biopic » à proprement parlé, cela m’a intéressée. Car, alors, je pensais toujours à la question du vieillissement. Vous savez, j’ai perdu mes deux parents… Réfléchir, comme voulait le faire Phyllida avec Mrs Thatcher, sur le moment de la vie où l’on est sur le point de la quitter, cela peut être passionnant. Notamment lorsque l’on a eu une vie assez longue !
Margaret Thatcher, que l’on en pense du bien ou du mal, est de toute façon une icône. Est-ce une difficulté supplémentaire lorsque l’on s’apprête à l’interpréter ?
Mme Thatcher était, et est toujours, une icône pour la droite et un démon pour la gauche ! La difficulté est donc de trouver l’être humain qui est forcément en elle ! Et pour moi, c’était d’autant plus intéressant de le trouver, cet être humain, qu’il était à un moment spécifique de sa vie, entouré par ses souvenirs, mais aussi par des femmes alors que toute sa vie, elle avait été la seule femme au milieu d’hommes. Un contraste passionnant à explorer en tant que comédienne.
Est-ce à dire que Mme Thatcher fut plus féministe, au fond, qu’elle-même ne le reconnaissait ?
Hum, féministe… Peut-être pas (sourire) ! Elle ne se regardait pas comme une féministe et, d’ailleurs, les féministes ne la regardaient pas avec bienveillance ! Mais il faut reconnaitre, cela étant, que son ascension a ouvert bien des portes. Notamment parce qu’elle appartenait au parti conservateur, et parce que nombre d’hommes ont voté pour elle. Que le parti Tory puisse se reconnaitre en elle et la nommer, c’était inconcevable à l’époque… Même si je n’étais pas de son bord, je me rappelle combien j’avais été excitée, à l’époque, à l’idée qu’une femme, en Grande Bretagne, puisse être élue. C’était quand même très exaltant qu’un pays comme l’Angleterre, où la question des classes sociales est si prégnante, où les rôles, sexuellement parlant, sont si séparés, qu’un pays comme celui-là, donc, ait pu choisir une femme comme Premier ministre. Je rappelle juste en passant que, plus de 30 ans après, aux Etats-Unis, on n’en est toujours pas là (sourire)…
Denis Thatcher, le mari de Margaret, a toujours été présenté comme un homme un peu fade ou comme un gentil plaisantin. Le film, en revanche, fait de lui la clé de son destin et de sa vie. Vous-même, qu’en pensez-vous ?
La façon dont il était perçu, à l’époque, c’est un signe intéressant. Car à travers cette dépréciation, ce qu’il faut entendre, c’est ce que l’on pense, en réalité, des femmes qui ont une dimension politique. On se sent toujours mal à l’aise avec la question des femmes au pouvoir. D’ailleurs, autant l’épouse d’un président ou d’un Premier ministre a un rôle, une fonction officielle, autant lorsqu’il s’agit d’un mari, eh bien, on ne sait pas quoi en faire ! Il y a toujours une gêne… Cela me rappelle lorsque j’étais étudiante, il y a… une centaine d’années environ (sourire). J’étudiais dans une université de filles, d’un très bon niveau, et Yale, son pendant masculin, souhaitait que nous nous rapprochions. Pour autant, il n’était pas question que cette prestigieuse université masculine nous rejoigne, car elle aurait eu le sentiment de s’abaisser et, surtout, de perdre de son prestige ! C’était donc à nous de faire l’effort de fusionner avec eux… Bon, heureusement aujourd’hui, la mixité est de mise, au moins dans le milieu universitaire. Car en politique, en revanche, ça n’est toujours pas le cas : aux Etats-Unis, il n’y a que 17 femmes au Sénat contre 100 hommes…
Ariane Allard
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La Dame de fer
De Phyllida Lloyd
Avec Meryl Streep (Margaret Thatcher), Jim Broadbent (Denis Thatcher), Susan Brown (June), Phoebe Waller-Bridge (Susie), Alice da Cunha (l’employée), Iain Glen (Alfred Roberts), Alexandra Roach (Margaret Thatcher jeune) et Victoria Bewick (Muriel Roberts)
Durée : 104 min.
Sortie en salle le 15 février 2012
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