Lily Hibberd – A la recherche d’un méridien – Galerie de Roussan
« Toute notre civilisation est aphrodisiaque. Ici encore, la science a son mot à dire, et elle le dira un jour si nettement qu’il faudra bien l’écouter : il n’y aura plus de plaisir à tant aimer le plaisir. » Henri Bergson Soit un ensemble d’expérimentations plastiques : peintures, sculpture, photographies, vidéos. Lily Hibberd, artiste australienne qui présente ici sa première exposition personnelle à Paris, décline les diverses facettes d’une recherche conceptuelle et abstraite virtuose, qui n’a pas trop de ces différents médiums pour s’exprimer. Comment “réorienter le calendrier de ses passions” ?
Comment la conjonction amour, temps, espace géographique peut-elle devenir toute de confusion et de déserrance intérieure ? Comment ce qui est mesure et précision peut-il se déliter au rythme de fugaces passions et d’absence de désir ? Le méridien recherché est sans doute le centre que nous portons tous en nous-mêmes. Et sa recherche passe par une exploration du monde : des lieux, des expériences scientifiques ou de la magie opératoire de l’imaginaire qu’évoque un morceau de bois.
Trouvé dans son jardin, il devient une sculpture de bronze. Mètre-étalon d’un genre nouveau, mesure de la nécessité intérieure, qui est pur et libre désir ; c’est aussi un objet fantasque : mètre mais partagé en segments de six centimètres, géométrie précise et absurde à la fois. Pataphysique duchampienne, bien sûr, et également réminiscence des heures passées par l’artiste au Musée des Arts et Métiers dans l’hermétisme d’expériences, désuètes par les outils d’époque et d’autant plus fascinantes dans leur dextérité à déployer un décodage (un codage?) du monde physique. Et de l’unité de base au découpage planétaire, Étienne Lenoir qui fit le premier mètre-étalon en 1793, créa aussi les instruments qui permirent de mesurer le méridien de Greenwich.
De là aussi une série de six tableaux, abstractions issues de la mesure de la vitesse de la lumière par Léon Foucault en 1862. Restent les miroirs sphériques, et le rayon lumineux dans la peinture photoluminescente qui les relient parfois.
Même genre de télescopage conceptuel dans les photographies faites à Greenwich, lieu où se trouve le degré 0 de longitude certes, mais aussi, et contre toute attente, une multitude d’amoureux. Froid extérieur, chaleur des sentiments ; objective mesure, subjectivité des affects. Le paradoxe est aussi dans une mesure spatiale qui a une performativité temporelle.
“Comment renoncer au désir ?”, telle est l’interrogation centrale de la vidéo Ice Time Desire que Lily nous présente dans son exposition. Images certes, mais aussi exercice littéraire de haut vol où il s’agit de désir pris au piège de la désintégration des passions qui accompagne le capitalisme. On dissèque la libération du désir dans le surplus qui éloigne du pur besoin, mais aussi son aliénation dans la perte d’autonomie, l’addiction et la dépossession de soi. Frénésie de l’envie, désirer toujours plus, sans plus de jouissance jamais. Les désirs deviennent des besoins, et toute possibilité d’aspiration intérieure ou de satisfaction y sont anéantis. La machine de séduction capitaliste achève ainsi la vacuité de sa promesse.
“On a abandonné notre premier amour”, nous dit finalement Lily Hibberd, car l’abstraction qu’est devenu le monde nous éloigne de notre propre réalité. »
Manuela de Barros
Lily Hibberd
Reconnue parmi les leaders de sa génération, Lily Hibberd est une artiste conceptuelle pluridisciplinaire et écrivain. Sa pratique tourne autour de la question du temps, de la mémoire et du désir, le tout dans une approche contemporaine. Lily Hibberd a exposé dans les instituts d’art les plus prestigieux d’Australie à Melbourne, Sydney, Cambera et Perth ainsi qu’à Londres, Milan, New York et en Suisse. Elle a remporté l’UBS Art Award qui lui a offert une exposition à la WhiteChapel à Londres (prix décerné par le directeur de la Tate Modern, Nicolas Serota, en 2000).
Docteur en philosophie, et enseignante à la faculté d’Art et de Design de l’université de Monash, Lily est aussi l’éditeur – fondatrice de Un Magazine, journal indépendant australien sur l’art contemporain.
A la recherche d’un méridien
Du 9 septembre au 13 octobre 2011
Du mardi au samedi, de 14h à 19h
Vernissage le 9 septembre 2011
Galerie de Roussan
10 rue Jouye-Rouve
75020 Paris
[Visuel : courtesy galerie De Roussan]
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