Iris Levasseur – Amnésie – Galerie Odile Ouizeman
Il y a quelques temps un campement de Roms a tenté de s’y installer. En vain. La force fut utilisée pour les chasser de ce désert industriel. Un campement nomade, pas même une vraie construction. A l’évidence ce lieu ne pouvait supporter plus. Comme vestige de cette histoire il ne reste que des blocs de pierre empilés les uns sur les autres. Déplacement de leur utilité première, empêcher l’accès à cet « endroit », ils sont vite devenus des promontoires utilisés pour attendre que le temps passe. Iris Levasseur s’étonne de la façon dont la petite histoire s’imbrique dans la grande. Elle qui collectionne et crée des images, s’est retrouvée rattrapée par celles-ci.
Dans ses dernières toiles, des corps surgissent de l’ombre, qu’elle dépose sur des socles de pierre. S’agit-il d’illustrer la superposition des strates temporelles ou de celles de la mémoire ? Comment distinguer d’où vient la lumière, est-ce le corps qui illumine l’espace ou l’inverse ? Elle travaille des lumières sombres pour faire appel au souvenir, créer un jeu de miroir dans la mémoire.
Iris Levasseur peint maintenant un monument pour un corps animal. Sur la veste de ce personnage se dessine une couture, plutôt la colonne vertébrale d’un être, animal en attente… de quoi ? Jeans, baskets, capuches, sont le costume d’une époque où la vitesse règne et démultiplie la réception d’images que la mémoire finit par broyer. Iris Levasseur dit que la peinture se glisse dans les mémoires et s’y ancre, que c’est un médium où l’on voit l’histoire, qu’elle est à contre-courant de ce qui est dans l’air du temps.
La peinture lui permet de construire sa propre mémoire. Elle a longuement observé sa mère médecin et son père architecte. Pour elle, seule la peinture peut se nourrir du temps.
Les constructions absurdes, les architectures abstraites ou intellectuelles qu’elle réalise sont le théâtre des jeux auxquels se livrent ses personnages. L’intuition d’Iris Levasseur réactive le mythe originel de la création de la mémoire narrée par Cicéron :
Lors d’un dîner, Simonide le poète doit faire l éloge de son hôte, hors il associe dans son hommage les dieux jumeaux Castor et Pollux. L’hôte est mécontent et ne veut pas le rétribuer totalement. On prévient le poète que Castor et Pollux l’attendent à la porte et lorsqu’il les rejoint le toit de la salle où se tenait le banquet s’effondre sur les invités ne laissant aucun survivants. Les dieux lui sauvent la vie.
Afin d’identifier les corps Simonide doit se souvenir de la place que chaque convive occupait. c’est pour cela que Simonide est l’inventeur de l’art de la mémoire et que Cicéron crée une méthode qui consiste à construire mentalement une architecture et d’y attribuer à chaque endroit une idée.
Pour Iris Levasseur, les vêtements sont autant dʼexcuses pour tenter de donner à voir un corps sculptural. Elle établit une sorte de relevé topographique qu’elle hypertrophie volontairement grâce à la peinture. Il faut travailler relativement lentement pour ne pas saturer la toile. Différentes couches fines de peintures sont apposées pour donner une certaine illusion, phénomène hypnotique, de profondeur, et procède par soustraction et par empreintes afin dʼaccentuer le potentiel de transparence. Ainsi les corps et les espaces deviennent traversables du regard. Peut-être que cette époque a du mal à regarder les choses, elle, veut les peindre. Dans les peintures d’Iris Levasseur, pour se souvenir il faut construire…
Iris Levasseur – Amnésie
Du 3 septembre au 29 octobre 2011
Vernissage le 9 septembre 2011
Galerie Odile Ouizeman
10/12, rue des Coutures Saint-Gervais
75003 Paris
[Visuel : Iris Levasseur, Piéta, détail, huile sur toile,195×215 cm, 2011]
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