Jean-Michel Othoniel – My Way – Centre Pompidou
S’il y a bien une chose qui frappe dans cette exposition (installée dans la galerie du musée et la galerie d’art graphique, rassemblées pour l’occasion) c’est la brutale rupture, à la limite de la schizophrénie, qui anime l’œuvre du plasticien : avant 1997, un magma de créations diverses et variées faites de matériaux « de rebut » (souffre phosphore, cire…).
Après 1997, un univers délirant, issu de la rencontre entre Othoniel et les exceptionnels artisans verriers de Murano. On pourrait penser que l’artiste a effectué un virage à 180°, voire qu’il s’est renié. Il n’en est rien : si la première partie de son œuvre se caractérise par un tâtonnement hasardeux, parfois à la limite de la vacuité, la seconde partie étincelle de mille feux féeriques ; mais les deux sont littéralement hantées par un même thème : la blessure. Car même ces splendides boules de verre sont des rebuts : si la cire est modelable, le verre, malgré sa dureté finale, est imprimable, façonnable, et surtout sans cesse voué à une destruction potentielle.
L’exposition est constituée de dix pièces dont la première, assez énigmatique, s’ouvre sur sur les premières œuvres de Jean-Michel Othoniel, un travail photographique inspiré des Insuccès photographiques (ouvrage paru en 1893 sur les errances du médium). On y voit l’artiste en autoportrait, pris de loin, flou, affublé d’une robe de prêtre (elle-même accrochée dans l’exposition, à côté du cliché). Les œuvres suivantes, conçues tout au long des années 1980, confirment cette impression : l’artiste travaille sur la sensibilité, dans tous les sens du terme. La sensibilité dans la matière qui s’imprègne de l’acte irrémédiable, mais aussi l’idée-même de fragilité. Ainsi de la série des « Héliographies » qui souligne la futilité de différents matériaux : plumes, papillons…
L’artiste inverse les causes et des conséquences, accrochant au bout d’une mèche de mise à feu, une allumette. La destruction est déjà en préparation dans cette œuvre en germe, prête à enflammer. C’est le mouvement Othoniel, cul par dessus tête, qui peut parfois verser dans le calembour : comme dans l’oeuvre Carte de France sur toile de Jouy où une carte de France couleur sperme évoque les royales pollutions, ou bien dans Post tits, simple accumulation de Post-its représentant des mamelons sous verre. Inversion encore dans Tits paintaings : là où Yves Klein se servait de la femme comme pinceau, Othoniel pare ses toiles de seins en cire protubérants, obscènes.
L’artiste ne craint pas le rejet, et puise dans les matières vulgaires : le souffre, le phosphore, ces matière inflammables, inhospitalières, répulsives de par leur odeur, leur couleur, leur utilisation vernaculaire. Sans cesse Othoniel cultive l’inabouti, abandonne son œuvre comme au milieu d’un élan. Cela se voit particulièrement sur le Wishing wall, expression même de l’aléatoire : cette œuvre en phosphore est constellée de trous, puisque le plasticien demandait aux visiteurs d’y gratter une allumette avant de faire un vœu.
L’artiste ne fuit pas la dérision : ainsi de ses Femmes intestines, inspirées de la magnifique Baigneuse d’Ingres, finalement déformées par le phosphore et transformées en vulgaires boyaux. Avec sa parodie de L’Hermaphrodite, il joue avec nos pulsions de voyeur, et fait tourner le visiteur autour du sexe de la statue. Mais nous serons frustrés, à moins d’aimer les gastéropodes… L’artiste lui même est obsédé par les trous : anus, œil bouche, qu’il façonne dans ses compositions de cire (notamment la série « El Ojo », très explicite à ce sujet) ou brode dans la composition en tissu Glory holes, clin d’oeil érotico-spirituel. Cette préoccupation assez peu esthétique confine à la répétition et fascinera certainement moins que la deuxième partie de l’exposition.
Après 1997, donc, tout change. Suite à son travail en 1994 sur l’obsidienne (roche volcanique très sombre et pour certains, miroir de l’âme), Jean-Michel Othoniel crée Contrepet (toujours le calembour !) une sculpture évoquant le Stromboli, où on retrouve ses thèmes obsessionnels : le souffre, le phosphore, l’aléatoire, le trou, le feu. Puis l’homme se laisse séduire par cette matière plus dure mais tout de même modelable : le verre.
Pour cela, il se déprend du geste de l’artiste, et confie un grosse partie de ses projets aux professionnels de Murano. Là où tout était petit, même parfois étriqué, le gigantisme trouve enfin sa place. Les fantasmes entrent dans la danse : les nouvelles oeuvres parlent d’arbres à bouteilles colorées, des couleurs féeriques de l’enfance, de coffres à secrets issus d’une chambre à jouets. L’artiste commence à respirer, à souffler. On croirait entendre le tintement de son esprit dans l’air. Déjà dans les « héliographies », il jouait avec le phénomène de suspension, mais sérieusement : maintenant, le visiteur est émerveillé par ces énormes chapelets de boules colorées, autour desquels il peut tourner. L’art d’Othoniel devient statique, du fait de son propre poids, et c’est le spectateur qui danse devant ces oeuvres multicolores ou tentées par la monochromie (Black is beautiful, Rivière blanche).
La réalité est cependant tout autre : les installations sont faites de verres cicatrisés, ratés, que les artisans ont réalisés en étant poussés à l’erreur. La beauté et l’échec se côtoient harmonieusement : ainsi dans Le bateau des larmes où un dais féérique recouvre un authentique bateau de boat people racheté par l’artiste. Le réseau de boules de verre flotte sur cette misère, comme la légende du Hollandais volant. Othoniel continue ses étranges expériences dans Lagrimas, où il aligne des bocaux sybillins comme un chimiste audacieux.
Plus loin, on retrouve les trous de Glory holes dans la bannière Pluie d’or, mais cette fois esthétisés, presque dégagés de toute allusion sexuelle. L’artiste semble en chemin vers la mystique, enfilant les perles d’un rosaire, chaque boule reflétant le visiteur comme dans un jeu de miroirs infinis.
Dans ses dernières créations, dont Le Grand Double Nœud de Lacan et Le Grand Nœud autoporté spécialement conçues pour l’exposition, Othoniel explore les métaphores psychiques, et conçoit ses œuvres à l’aide de formules mathématiques : les boules ne sont plus une simple structure graphique, un collier, un lit, un kiosque : elle suivent une dynamique logique. L’artiste poursuit sa quête spirituelle, utilisant par exemple la forme sacrée de la mandorle. L’œuvre d’Othoniel a donc gagné en maturité et en profondeur au fil du temps : l’artiste ne s’est pas complexifié, mais il s’est décomplexé.
Mathilde de Beaune
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Actuellement au Centre Pompidou :
– François Morellet – Réinstallations, jusqu’au 4 juillet 2011
– Paris-Delhi-Bombay…, du 25 mai au 19 septembre 2011
Jean-Michel Othoniel – My Way
Du 2 mars au 23 mai 2011
Du lundi au dimanche, de 11h à 21h
Fermeture le mardi
Tarifs : 10 à 12 euros seon la période
Tarif réduit 8 à 9 euros
Centre Pompidou
75004 Paris
M° Hôtel de Ville ou Rambuteau
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