Laurent Godard et Flateurville : le concept
Ce plasticien pluridisciplinaire est un artiste iconoclaste. Il est l’inventeur de Flateurville, un village imaginaire, un projet narratif, un concept artistique aussi. Par delà l’imaginaire de Laurent Godard, Flateurville prend vie dans des lieux bien réels, de Paris à New-York. Tout l’œuvre de Laurent Godard est orchestré par ce village entre rêve et réalité. Ecriture, peinture, photo, vidéo, mise en scène, interprétation, sont tant de performances et de talents que le fantaisiste déploie pour mener son ouvrage au plus loin. La création de Laurent Godard s’inscrit dans un projet fou certes, mais global et évolutif. Parce qu’intrigantes et poétiques, les créations liées à Flateurville captivent.
Immersion. Cour des Petites Ecuries, un décor peu accueillant, sinon lugubre. On croit d’abord à un squat. L’endroit est dissimulé par un échafaudage et quelques gravats. Alors il faut persister, et prendre la visite dans le bon sens pour découvrir ce cabinet des curiosités insolite : la Salle de Jeux de Flateurville. C’est l’ancienne imprimerie du journal le Parisien de 600m2 qui abrite cette partie du village à Paris. Quelques fauteuils club éventrés, un couloir noir sinueux, l’inscription à l’administration (c’est un village ne l’oublions pas), et l’arrivée dans une première salle. Le sol est jonché de vieux tapis, ici et là quelques sapins, et une scène, prête à accueillir les shows les plus hallucinants. De pièces en pièces, nous voilà dans la chambre des ancêtres. Le décor est moins underground, plus feutré. Chaque détail est pensé, du lit à la salle de bain, des couvertures en crochets jusqu’à la table en formica. Sur les murs, des photos d’anciens, de toutes les tailles, sépia, noir et blanc, mouchetées par le temps… Des tas de regards de ces ancêtres qui – on le croirait – ont vécu ici un jour. Malgré les apparences, tout ce décorum n’est pas angoissant, parce qu’il est ludique, très second degré. On quitte l’ambiance désuète et vintage pour une autre chambre plus acidulée, celle de Lorette. Ce n’est presque pas une parodie de chambre d’enfant, c’est celle dont on aurait rêvé pour jouer, petit. Des robots, des poupées, tableaux noirs et bureau d’écolier, un tapis en « moumoute », et j’en passe, est reconstitué ici un paradis enfantin, coloré et amusant. Les deux chambres jouxtent le cœur du lieu, une grande salle, mi-atelier, mi-galerie, où toutes les œuvres de Laurent Godard sont mises en exergue.
La visite est terminée, par ici la sortie.
Vous venez de voir un endroit unique en son genre, étrange et pour le moins décalé, qui ne laissera aucune âme sensible indifférente. L’ancien hangar est investi par une scénographie poétique et inspirée, où rien n’est laissé au hasard, de la piscine de billes de polystyrène à la carte d’identité que seul le maître des lieux peut vous délivrer et faire de vous un citoyen de Flateurville ou pas. La Salle de Jeux de Flateurville est pareille à un décor de cinéma, dont chacun peu se faire l’acteur.
Laurent Godard pratique la méthode du dripping qui consiste à peinture par coulure sans vraiment poser le pinceau sur la toile, une technique dont usait Jackson Pollock. Dans ses tableaux, le dignitaire de Flateurville laisse apparaître les visages des citoyens du village, ceux de Marcel, trafiquant persécuté par le shérif du village, P’tit Louis, jeune ado et son amour impossible l’artiste Susan, Mouss, le gitan, etc. Le scénario est bien ficelé et l’histoire encore longue. Le lieu clandestin de création réserve encore bien des surprises.
Ici et nulle part, Flateurville est un ailleurs qui touche à l’enfance, au rêve, à l’absurde, au romanesque… pourvu d’un côté un tantinet désaxé, qui n’est pas sans rappeler le monde des Triplettes de Belleville, film d’animation de Sylvain Chomet. Le farfelu Laurent Godard, Peter Pan des temps modernes, a donné vie à une fresque imaginaire dont la découverte est réjouissante.
Hélène Martinez
Salle de Jeux de Flateurville
Accès par le 20 rue d’Enghein ou le 63 rue du Faubourg St Denis
75010 Paris
M° Bonne Nouvelle ou Strasbourg Saint Denis
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