Arthur H – interview
Une personne dont l’authenticité et l’émotion sont à souligner dans une société souffrant aujourd’hui de sophistication et de pression. Notre échange a duré une heure durant laquelle il a siroté son thé à la menthe, nous parlant de Baba Love, de L’Or Noir, et nous emmenant en voyage dans son univers baigné par la magie de l’amour, la poésie de la vie, par l’ivresse des mots, de la musique et de la liberté…
Pour les personnes qui te découvriraient aujourd’hui, comment décrirais-tu ton univers artistique ?
(Il réfléchit assez longuement….) Mon univers artistique, c’est la farandole, c’est emmener les gens dans une ronde. Tu prends la main de ton voisin, tu es ivre, ça tourne ! C’est complètement débile et en même temps extrêmement agréable. C’est provoquer cette forme d’ivresse, sortir du quotidien. Et que ce soit très calme, très doux, ou un peu déchaîné, peu importe, du moment qu’il y a l’ivresse ! C’est ça que j’aime et c’est ça que je cherche… tout le temps.
Dans la salle, il se dégage une atmosphère particulière lors de tes concerts. De ton point de vue, est-ce palpable sur scène ?
Evidemment dans un concert je sens plein de choses. Il y a une forme de tension amicale, spirituelle, sensuelle avec les gens, c’est ce que je sens en premier. Je me sens moi-même aussi. Je me sens très en relation avec tout ce qui m’entoure. Je sens beaucoup l’espace. Et je sens quand un moment est vraiment magique. C’est-à-dire quand je suis complètement dedans, complètement en harmonie avec le public. Il y a une forme de déclic. Tu rentres dans un état qui est extrêmement agréable. Parfois la magie est là tout de suite, et ça demande beaucoup de décontraction en fait, une espèce de détente profonde, de lâcher prise d’un état où tu te sens complètement vide. Tu te sens prêt à tout, à être ému, à déconner, à dire n’importe quoi, à t’amuser. Voilà, c’est un état momentané de liberté !
D’où est partie l’idée de cette ambiance intimiste avec les lumières en clair obscur pour la tournée Baba Love ?
Je suis obsédé par la chaleur, j’ai envie de faire de la musique chaude, que ce soit un moment chaud. C’est peut-être parce que je suis très froid moi-même (il éclate de rire). En tous cas, j’aime cette matière un peu rugueuse qui peut être parfois extrêmement intime, cette sensation de toucher la peau. Ça marche pour le son, ça marche pour la lumière aussi. L’idée de base de cette tournée, c’était de créer un endroit qui soit un peu comme un théâtre abandonné dont on prendrait possession illégalement. L’image dont on a discuté avec l’éclairagiste et avec Cyril qui a fait le décor, c’est de rentrer par effraction dans un endroit abandonné. On le découvrirait, on apporterait les instruments, il y aurait une espèce de petite cérémonie improvisée. Donc ça explique qu’il y ait beaucoup de bois, que tout soit un peu tordu, un peu de travers. Il y a des bidons en plastique, des bouts de palissade, des vieilles lampes. Et après, on a beaucoup parlé de cette idée de chaleur, de faire quelque chose de rouge, de proche, qui essaye toujours d’abolir la distance entre l’artiste et le public.
Dans quel contexte cet album a été écrit ? Quel est son point d’ancrage ?
Je me suis senti assez contraint dans ma vie pour toutes sortes de raisons donc j’ai développé une espèce de volonté de me libérer, de repousser mes limites. A ce moment-là dans ma vie personnelle je vivais à la fois une rupture importante et une rencontre importante aussi. Donc une espèce de moment où tu flottes, où tu n’as plus trop de certitudes, où tu es dans une sorte de passage, un état très stimulant et en même temps assez déstabilisant. Et j’avais très envie de me laisser porter par cet état, de ne pas me poser de questions. De parler de la jouissance de l’inconnu, quand tu es en marche vers quelque chose et que tu ne sais pas où tu vas, mais tu sais que tu y vas. C’est une route assez joyeuse même si elle est déstabilisante.
Du coup, c’est plus une écriture de maux que de mots ?
Non j’avais vraiment envie de célébration. Baba Lova parle beaucoup de ça, tu ne sais pas ce que tu as, tu ne sais pas où tu vas mais tu sais que tu es content de ça, que tu as envie d’en profiter très fort sans trop penser au lendemain.
Quelle est ta chanson préférée sur Baba Love ?
Je ne sais pas, parce que quand on écrit des chansons on fabrique plein de petits Frankenstein qu’on jette dans la nature. Alors ils ont leur propre existence. On aime tous les Frankenstein, il y en a certains qu’on oublie, certains qu’on met en valeur, ça change avec le temps. Mais ce sont évidemment des créatures qui ne nous appartiennent plus du tout. Peut-être que dans 5 ans ou 10 ans, j’aurais un Frankenstein préféré, je ne sais pas.
Il y a une chanson dont le sublime texte n’est cependant pas de toi sur cet album, c’est Prendre Corps. Pourquoi avoir choisi ce poème-là en particulier et quand tu le chantes, que ressens-tu ?
C’est un ami à Belle-Île en Mer qui m’a montré ce poème et quand je l’ai lu, j’ai eu une forme de choc. Je me suis dit « non seulement c’est un poème extraordinaire mais putain ça c’est une chanson incroyable ». Du coup j’avais l’impression d’être un explorateur qui découvre un peu par hasard un trésor caché. C’est vraiment l’impression que ça m’a fait. Je me sentais aussi beaucoup d’affinités avec ce poème dans cet éloge de l’ivresse constante. Une chose qui commence et qui n’arrive plus à s’arrêter. Je trouvais aussi que c’était une remarquable description de la passion sensuelle. Avec cette idée de perdre tous les repères, de bafouiller, de se perdre dans le corps de l’autre, dans l’identité de l’autre, dans les mots. Une espèce de roue libre qui t’emporte et que tu n’as pas trop de moyens de freiner en fait. On sent vraiment que l’auteur, Ghérasim Luca, est dépassé par tout ça. Ça m’a vraiment touché. J’ai trouvé ça très musical aussi. Je trouvais le texte tellement fluide, il me parlait tellement que je n’ai pas eu de difficultés à la composition.
Cette chanson est une déclaration d’amour mais qui peut parler de plein de choses. C’est ça que je trouve vraiment très plaisant, très agréable avec ce morceau. Parfois j’ai l’impression de m’adresser à la vie, parfois à une femme, parfois à rien, c’est très changeant. Comme c’est un mouvement qui est assez libre, il peut atteindre plein de cibles différentes.
Et pourquoi avoir choisi de chanter l’amour sur Chem Cheminée (morceau tiré du film Mary Poppins) ? C’est un moment très fort en live.
Dans un concert, je trouve que c’est bien d’avoir des moments très intimes où il y a vraiment le minimum. J’avais déjà fait une tournée tout seul au piano et j’avais eu beaucoup de plaisir, appris beaucoup de choses. Là c’est un moment où il n’y a plus de spectacle, il n’y a plus rien. Il y a juste une espèce de comptine, une chanson toute simple. C’est beau, c’est universel, c’est Mary Poppins. Cette chanson me touche car elle est à la fois très légère et potentiellement assez triste. Il y a peut-être ce côté blues que j’amène dans la chanson de ce ramoneur. Il vit sur les toits, il vit dans la suie, dans l’obscurité. Et en même temps il est attiré par une femme très lumineuse qui apparaît dans sa nuit. Il y a des images très poétiques. J’ai retravaillé un peu le texte, je l’ai habillé à ma manière. C’est donc un blues, c’est aussi une valse. C’est également une mélodie très juive d’Europe de l’Est, très klezmer. Je l’ai chantée il n’y a pas longtemps avec un groupe klezmer, les Mentsh, ils pensent que ça vient du folklore yiddish. Voilà, il y a l’Europe, l’Amérique, c’est à la fois tout simple et hyper riche.
La tournée Baba Love se termine le 22 décembre à Paris, au Trianon. Y aura-t-il des surprises pour célébrer la fin de cette histoire ?
Je n’ai pas trop les moyens de faire un grand spectacle ou un spectacle vraiment différent, j’aurais adoré faire ça. Comme j’avais fait pour mes 40 ans à L’Olympia, on avait fait 3 heures et demi de show très délirant. Là ce sera une espèce de best of de tout ce qu’on a fait pendant la tournée. Et puis j’ai invité des amis que j’apprécie beaucoup. Il y a Babx qui est un jeune chanteur extrêmement doué qui va sortir bientôt son 3ème disque. Il y a Izia, ma petite sœur avec qui on fera « La Beauté de l’amour », elle était là au début du disque et je trouve ça super qu’elle soit là à la fin. Nicolas Repac avec qui je vais faire un bout de « L’Or Noir », le spectacle qu’on va commencer en janvier. Il y a aussi Zaza Fournier qui est une voix que j’adore, j’aime beaucoup sa chanson Vodka Fraise, et Camélia Jordana dont j’apprécie beaucoup la voix aussi. Il y a tous ces gens de qualité. Et je regrette beaucoup que Saul Williams ne soit pas disponible ce jour-là, j’aurais vraiment aimé qu’il balance son flot sur scène, ça aurait été fabuleux. Ça sera une grande fête !
Une aventure s’achève, une autre commence. Qu’est-ce qui a nourri le projet de « L’Or Noir » ? Pourquoi dire et mettre en musique de la poésie contemporaine noire ?
À la base avec Nicolas Repac, on avait envie de n’avoir aucune contrainte artistique et c’est un pari aujourd’hui car ça devient extrêmement complexe de vendre de la musique et d’en vivre. Et justement dans ce contexte complètement apocalyptique, on s’est dit autant faire ce qu’on aime. On a donc eu le désir de raconter des histoires qui soient belles, qui soient très poétiques, qui soient vraiment le plus atmosphérique possible, le plus envoûtant possible… dans l’idée de faire un vrai voyage imaginaire, d’essayer de larguer les amarres, de partir à la dérive, d’emmener les gens dans un endroit en dehors de tout.
La poésie antillaise est arrivée très naturellement parce que Nicolas et moi, on se sent beaucoup d’affinités avec ce monde là. C’est vraiment une marmite magique où l’Amérique, l’Afrique et l’Europe se mélangent. Avec un univers qui peut autant parler d’envoûtement, de sexe, de spiritualité, de volcans, quelque chose de très chaud encore une fois. Une liberté avec la langue française complètement invraisemblable. Ces poètes arrivent à amener une espèce de pulsion rythmique, terrienne, sensuelle. Une sensibilité vraiment à vif. Leur espace est beaucoup plus large qu’en France, avec l’horizon de l’Afrique, de l’Amérique ; ce sont de petites îles perdues et en même temps qui ont une grande histoire, une grande culture. Je rajoute ma propre sensibilité mais j’essaye de m’effacer le plus possible pour laisser parler cette langue qui est littéralement merveilleuse.
Quel est ton texte favori sur « L’Or Noir », si tu en as un ?
Tous les textes me touchent mais celui qui me parle le plus c’est Aimé Césaire parce qu’il a une langue complètement incroyable. Pour moi il est vraiment à la hauteur d’Arthur Rimbaud mais avec plus de sens et de sensualité. C’est vraiment le dernier monstre poétique contemporain. Et je trouve ça vraiment génial qu’il soit antillais.
Pour cet album, vous avez reçu, toi et Nicolas Repac, le Grand Prix « Francophonie » 2012 de l’Académie Charles Cros. Que représente pour toi cette récompense ?
Elle me touche parce que pour être honnête, quand tu fais un album de poésie c’est extrêmement difficile à vendre, ça intéresse très peu de gens. Evidemment ça ne passe pas à la radio, sauf sur FIP. Ça excite très peu la curiosité, c’est triste à dire. Quand tu fais quelque chose de contemporain, de novateur, on pourrait croire que les gens sont curieux, mais en fait non. En plus, avec l’océan sans fond d’internet qui nous vampirise notre temps et notre énergie, c’est peut-être encore plus difficile. On passe d’une sensation à une autre sans jamais s’arrêter, donc ça ne mène pas à la concentration, ni à la conscience de la qualité. Mais peu importe, on fait ce qu’on a envie de faire, on s’amuse. J’ai beaucoup de joie à faire ça. Alors si c’est remarqué et qu’il y a un prix, c’est vraiment un beau cadeau.
Si tu étais un mot ?
Un mot ? ce serait le mot couleur qui me permettrait ainsi de ne pas être prisonnier de ce mot et de passer du rose au bleu, et si j’ai envie d’un peu de marron, je prendrais le marron aussi.
Alors si tu étais une couleur ?
L’arc-en-ciel ! (c’est aussi le titre d’une de ses chansons sur Baba Love)
Si tu étais un bruit, un son ?
(Il réfléchit…) Je serais une toute petite brise d’été, discrète, très agréable. Une petite brise tiède qui remue les feuilles du pommier en fleur. Je serais très champêtre !
Si tu étais une odeur ?
Je serais soit l’odeur de la peau d’un bébé parce que c’est la sensation de fraîcheur ultime. Soit la peau d’une femme que j’aime, ce serait aussi pas mal.
Si tu n’étais pas Arthur H, qui pourrais-tu être ?
Je pense que je pourrais être plein de gens parce qu’on est très multiples. Je pourrais être un jardinier, je pourrais être un cinéaste, j’aimerais bien être un écrivain, un peintre, a priori un artiste. Mais si je n’étais pas un artiste, j’aimerais tout être en fait, un sportif, un navigateur, un commissaire délégué aux enquêtes secrètes… (il sourit)
Quel ton état d’esprit en ce moment ?
Mon esprit est extrêmement changeant. Je passe du bien-être et de l’optimisme à une forme d’inquiétude. Il y a une tension qui est vraiment palpable dans l’air, une espèce d’enfermement des possibilités. Dès qu’on se laisse aller, dès qu’on est fatigué, on est pris dans ce mouvement collectif. Mais je dois avouer que la plupart du temps, je me sens libre de ça et je me sens assez joyeux. Je me sens bien. Je me sens très bien avant de rentrer sur scène. J’aimerais me sentir dans la vie de tous les jours aussi bien que comme je me sens avant de rentrer sur scène.
Tu rentres sur scène et dans ton art en même temps. Il y a une espèce de lâcher prise, tu ne penses à rien d’autre.
C’est ça, tu es dans un espace libre, tu es complètement vide. Un espace où tu sais que tu vas t’amuser. Je suis relax, je ne me pose pas de questions, je ne doute de rien.
Je te laisse le mot de la fin….. C’est un mot ou un message que tu as envie de passer, libre à toi de faire ce que tu veux de cet espace-là.
En ce qui me concerne et comme je suis un citoyen comme un autre, je suis sûr que ça concerne aussi plein d’autres gens. Je trouve qu’une vraie difficulté aujourd’hui c’est d’arriver vraiment à se détendre. Tout est tellement fait pour qu’on soit compressés, qu’on soit tendus, pour qu’on ait cette impression de saturation. J’ai l’impression qu’on est dans une espèce de système qui pompe notre énergie et qui vit à travers l’énergie négative. Du coup, le grand défi pour moi c’est d’arriver vraiment à se relaxer en profondeur et à se laisser porter par le flux de la vie, à trouver sa propre joie et être bien stable dedans. C’est extrêmement difficile car on est attaqués de toutes parts tout le temps finalement. Quand on arrive à trouver son propre amusement, sa propre légèreté, ça vaut toutes les richesses.
Alexandra Ferrero
[Photographie : © Diane Sagnier]
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