Roa : l’histoire naturelle à ciel ouvert
Roa : l’histoire naturelle à ciel ouvert |
Star de la jeune garde du street art, le Belge Roa a accepté de répondre à nos questions. Retour sur son univers.
Un héron égaré dans une friche de Varsovie. Un crocodile à la renverse dans une rue d’Atlanta. Un renard bondissant sur un lapin dans une artère viennoise. Les gigantesques créatures de Roa ont imposé sa griffe spectaculaire dans les rues du monde entier. Après avoir fait ses premières armes dans le graffiti, ce trentenaire est passé depuis quelques années à ces créatures singulières. D’années d’enfance passées dans un vieux monastère, cerné d’espaces désaffectés, il a gardé le goût des lieux abandonnés, où il a fréquemment logé son bestiaire. Mais il aime aussi installer sa faune en apesanteur au coeur des villes, comme autant de rencontres incongrues. « Je trouve que cela a du sens de placer un animal sur un mur construit par des homme », plaide-t-il. Il travaille à la bombe et à la brosse, dans un noir et blanc qui joue des ombres et de la profondeur et dont la précision évoque un crayonné délicat. En multipliant squelettes, chairs découpées et organes à vif, il creuse au-delà des surfaces et flirte avec la beauté macabre des planches anatomiques anciennes. « Les organes sont le centre vital de notre corps. Des peintres comme Rembrandt ont fait cela bien avant moi », rappelle-t-il. L’un de ses moteurs ? Les voyages, qu’il enchaîne avec boulimie. En quelques années, il a arpenté aussi bien la Gambie que le Cambodge, Mexico que Johannesburg, entre autres. « Peindre et voyager sont les deux choses que j’aime le plus au monde, explique-t-il. Les lieux sont pour moi une source d’inspiration ; j’aime travailler dans différentes situations, sous différents climats et au contact de différentes cultures. Je hais la routine, donc l’important pour moi est de changer sans cesse. » Au fil du temps et des créations, il collectionne les espèces, apparentant son oeuvre à un vaste ouvrage d’histoire naturelle à ciel ouvert. « Je veux interroger la relation entre l’homme et l’animal, questionner les raisons pour lesquelles nous choisissons de manger tel animal ou d’apprivoiser tel autre. Pour moi, c’est politique. » Espèces familières, rares, menacées ou disparues (il a dessiné un dodo pour une récente exposition) composent un inventaire ludique. Pangolin en Gambie, lamantins en Floride, ornithorynques et émeus en Australie : il enrichit son répertoire de la faune locale. Cette passion de la collection nourrit aussi son travail d’atelier. A l’automne 2012, il créait une installation pour un musée de Bristol, la Royal West of England Academy, dans le cadre d’une exposition collective consacrée à des « histoires naturelles non naturelles ». L’occasion de jouer sur l’imaginaire scientifique et colonial du dix-neuvième siècle et de reconstituer l’univers des « cabinets de curiosité » d’autrefois, ces lieux où des collectionneurs conservaient des traces de l’étrangeté du monde. « Mon travail en galerie est très différent de ce que je fais en extérieur dans la mesure où je fais vraiment en sorte de m’approprier le lieu. » Il poursuive cette recherche de la surprise et de l’émotion mêlées en s’inspirant des expériences accumulées au cours de ses voyages et il dit de son travail : « Je bâtis un art du recyclage, et je tiens à ce qu’il y ait une interaction entre les visiteurs et mes oeuvres. ». Sophie Pujas [Visuels : Londres, 2010 // Tuczon, Texas, 2012 // Chicago. Courtesy galerie Bodson-Emelinckx] |
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