Claude Monet
Peu nombreux sont ceux qui ne connaissent pas au moins une œuvre de Claude Monet, tant le peintre impressionniste fait partie intégrante de la culture artistique, au même titre qu’un Van Gogh ou qu’un Picasso. Cependant, comment parvenir à cerner complètement ce peintre aux multiples visages qui a fait acte de création pendant près de soixante ans, mais dont l’œuvre est trop souvent résumée à certaines séries de toiles, certes magnifiques, mais ô combien réductrices ?
Réflexion de l’artiste et spontanéité de la nature
Né en 1840 à Paris, Claude Monet déménage à l’âge de cinq ans en Normandie, une région qui l’inspira tout au long de sa vie par ses grands espaces et la lumière qui baignait ses côtes. Lui qui eut la Seine et la campagne pour atelier, n’eut de cesse de représenter la nature dans ses toiles. « Le faste […] jaillit de la nature dont je reste tributaire. […] Je ne convoite pas d’autre destin que d’avoir, selon le précepte de Goethe, œuvré et vécu en harmonie avec ses lois ». Cette déclaration d’amour colore la recherche picturale et chromatique de la peinture de Monet, savant alliage de la réflexion de l’artiste et de la spontanéité de la nature dont les tons changeants sont omniprésents sur la toile.
Peintre de la Normandie, de ses falaises et de sa campagne, Claude Monet peint en 1872 Impression, soleil levant, tableau dont la luminosité n’est pas sans rappeler celle des toiles de Turner. Cette œuvre, qui a au premier abord tout de l’esquisse, du flou vague et indiscernable, trouve son sens dans le soleil et les barques qui se détachent au milieu des ombres, guidant le regard de l’esthète et lui indiquant qu’il admire un port, celui du Havre en l’occurrence. Tableau à l’atmosphère indescriptible, Impression soleil levant reste cependant surtout célèbre pour avoir inspiré à Louis Leroy, critique du Charivari, cette phrase qui donna son nom au mouvement impressionniste : « Que représente cette toile ? Impression ! Impression, j’en étais sûr ! Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans. »
Recherche et réinvention
L’année 1877 présente un tournant dans l’œuvre de Claude Monet, ce dernier présentant pour la première fois, lors de la troisième exposition impressionniste, une série de toiles ayant le même sujet. S’il en réalisa d’autres dans les années qui suivirent, représentant des meules ou le parlement londonien notamment, c’est la Gare Saint-Lazare, peinte sous différents angles et à différents moments de la journée, qui inaugure ce procédé. Après avoir dépeint le plein-air et la campagne, Monet aborde ainsi pour la première fois un sujet urbain, choix justifié par l’omniprésence du progrès technique dans les œuvres picturales et littéraires de l’époque ; Émile Zola s’emparant d’ailleurs de ce même sujet dans La Bête Humaine, publié en 1890. Cette nouveauté thématique témoigne de la recherche constante entreprise par Claude Monet qui n’eut de cesse de dépasser les carcans qu’il se figurait ou qui lui furent imposés, reconfigurant et réinventant dès lors l’impressionnisme.
En effet, si son art est celui de la peinture pure, et non de la simple représentation, le choix des sujets est bien au centre de ses préoccupations, tous étant susceptibles d’émouvoir. Celui qui avait abandonné les figures humaines en 1870, puis renoué avec elles par La Femme à l’ombrelle en 1875, les retrouve de nouveau en 1886 en représentant l’aînée de ses belles-filles dans les tableaux Femme à l’ombrelle tournée vers la droite et Femme à l’ombrelle tournée vers la gauche. Ces toiles démontrent le perfectionnisme de Monet, artiste « travaill[ant] comme jamais, et à des tentatives nouvelles, des figures en plein air comme [il] les comprend, faites comme des paysages. C’est un rêve ancien qui [l]e tracasse toujours et qu’[il]veux réaliser une fois pour toutes ; mais que c’est difficile ! »
Une poignante poésie
Ainsi, tout en reprenant parfois des motifs déjà représentés, le peintre impressionniste cherche sans cesse à se renouveler. La série des cathédrales de Rouen, peinte entre 1892 et 1894, en est l’un des plus beaux exemples. Hommage à sa région d’adoption, ces toiles sont avant tout une vibrante déclaration à la lumière, Monet privilégiant les jeux de cette dernière à l’exactitude de sa vision. En effet, s’il s’attache à « étudier à différentes heures du jour le même motif et de noter les effets de lumière qui modifiaient d’une façon si sensible, d’heure en heure, l’apparence et les colorations de l’édifice », Claude Monet gomme certaines ombres pour rendre sa représentation encore plus flamboyante, une altération de la réalité que ne lui pardonnera pas Émile Zola, pourtant jusqu’alors farouche défenseur des impressionnistes.
Pourtant, parmi toutes les œuvres précitées et qui sont parmi les plus célèbres du peintre, aucune n’a aujourd’hui la même renommée que les Nymphéas, représentations du jardin personnel de l’artiste planté à Giverny. Ces toiles, à la poésie poignante et sur laquelle imaginaire et réalité se mêlent pour ne faire plus qu’un, définissent aux yeux de beaucoup la peinture de Monet à partir des années 1890, et la peinture vers laquelle il a tendu tout au long de sa vie. Offertes par le peintre à la France le lendemain de la signature de l’armistice du 11 novembre 1918 et installées au musée de l’Orangerie en 1927, quelques mois après sa mort, les Nymphéas constituent l’aboutissement de son œuvre qui n’a de cesse d’enchanter les curieux d’aujourd’hui s’attardant devant l’une de ses toiles.
« Nous admettre à des émotions inconnues jusque-là, […] n’est-ce pas pénétrer plus avant dans le monde lui-même, dans le monde impénétrable ? Voilà ce qu’a découvert Monet en regardant le ciel dans l’eau de son jardin. Et voilà ce qu’à notre tour, il prétend nous révéler. », a écrit Georges Clémenceau en 1928.
Solène Zores
A lire sur Artistik Rezo :
– Rétrospective Monet au Grand Palais
[Visuels : Le port du Havre, effet de nuit. 1873. Collection particulière © Droits réservés // La gare Saint-Lazare à l’extérieur (le signal). 1877. Niedersächsisches Landesmuseum, Hanovre. © Niedersächsisches Landesmuseum, Hanover]
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