“La Famille” ou l’explosion des certitudes
Au Théâtre Edouard VII, Patrick Timsit et François-Xavier Demaison sont les deux frangins que tout oppose dans une famille réunie par Michel Jonasz et Claire Nadeau. On l’aura compris, la nouvelle pièce de Samuel Benchetrit réunit des acteurs stars pour traiter d’une famille dont l’harmonie, comme souvent, dérape totalement. Férocité garantie et plaisir d’acteurs.
Documentaire animalier
Rien à dire, ils paraissent sacrément gentils ces parents protecteurs et doux comme des agneaux. La mère, jouée par Claire Nadeau, d’une justesse et d’une sincérité touchante, se démène pour que tout soit parfait, en cadrant comme une mère poule son propre mari quand il ose dévorer une chips à l’apéritif. Le père, c’est Michel Jonasz, rond comme un ballon, d’une douceur enfantine, qui se borne à regarder à la télévision un documentaire animalier pour tromper sa nervosité. Leurs deux fils doivent venir dîner ce soir à l’occasion d’une annonce très spéciale, mais ils se sont progressivement éloignés l’un de l’autre et leurs parents tentent d’arrondir les angles et les blessures qui vont sans doute renaître bientôt. L’appartement donne sur un jardin, le poulet fume dans la cuisine, et la vie s’échappe jusqu’à l’arrivée tempétueuse de Jérôme et de sa blonde et sculpturale épouse. On entendrait presque le moteur vrombissant de son Audi rutilante : mais Jérôme est venu sans les enfants, la mine grave. Il a un service de la plus haute importance à demander à son frangin Max, qui se fait comme toujours attendre.
Des fauves sur un plateau
François-Xavier Demaison campe un homme d’affaires orgueilleux et peu sympathique, encombré d’une rage prête à exploser, une colère mauvaise et une agressivité non contenue. Il campe ce personnage encore jeune mais énigmatique avec une densité humaine impressionnante, lourde d’un secret terrible. Au contraire, Patrick Timsit joue Max, le frangin brouillon et au flegme insupportable, pas coiffé, juste habillé d’un jean et d’un tee-shirt pas très net. Son sourire en bandoulière, Max provoque, taquine amicalement la femme de Jérôme, qu’incarne Kate Moran, qu’il trouve particulièrement attirante. Ces deux-là n’ont plus grand chose à se dire, et sont comme chien et chat. Samuel Benchetrit, qui avait signé Maman avec Vanessa Paradis et Lapin avec Muriel Robin et Pierre Arditi, deux beaux succès dans ce même théâtre, a composé une comédie qui plonge progressivement dans la noirceur.
Le début de la pièce semble longuet, mais les merveilleux comédiens nous font oublier des dialogues trop plats au démarrage. Puis progressivement l’intrigue se tend, la tension monte et le pitch du spectacle, que l’on se gardera de dévoiler, nous prend à la gorge. Les fauves semblent se renifler sur le grand plateau du théâtre, et soudain il est question de vie et de mort. L’humour très sombre de Benchetrit sied très bien à Patrick Timsit et François-Xavier Demaison, qui nous embarquent dans leur fratrie dysfonctionnelle et leur absence de morale. Derrière la dureté des non dits, le mépris et la rivalité, le besoin intense d’amour et de protection jaillit.
Hélène Kuttner
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