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“Tragédie” : la jeunesse au cœur du monde

©-Arnaud-Bertereau

Dans une dystopie à l’allure étrangement réelle, seize jeunes gens issus des meilleures écoles échouent dans un no man’s land après le crash de leur avion. Que faire alors des bonnes paroles nourries d’amitié et de fraternité, des promesses d’humanisme et d’éthique sociale qu’ils se promettaient de répandre ? Le directeur du Théâtre du Nord, David Bobée, et le metteur en scène Eric Lacascade mettent en scène cette explosion des questionnements et d’affects avec de jeunes acteurs qui achèvent leur cycle au Studio 7, l’école du Théâtre. Une épopée flamboyante et déchirante, à laquelle quatre jeunes auteurs, élèves de l’école, participent également pour l’écriture. 

Tragédie contemporaine

©-Arnaud-Bertereau

A quoi sert le théâtre ? Peut-il changer le monde ? Faut-il continuer de croire en des idéaux, d’aimer et de faire des enfants ? A quoi sert de travailler toujours davantage sans profiter de la vie ? Et comment peut on vivre sur une planète que des parents boomers, inconséquents et puérils, ont laissé péricliter ? Dans un désert de pierre et de terre, seize jeunes gens, habillés dans des uniformes de lycée anglo-saxon, avec écussons et chaussettes propres, se tiennent devant une carlingue d’avion coupée en deux. Pétris de bon sens et de bonnes intentions, éduqués avec les meilleurs outils pédagogiques et philosophiques, chacun se retrouve échoué, morcelé, loin de la famille et des amis, sans téléphone pour communiquer. Et la scénographie monumentale imaginée par David Bobée et Léa Jézéquel, devient soudain l’image métaphorique de notre présent, percuté de plein fouet par les fausses promesses de progrès et des démocraties qui se meuvent en dictatures. Alors tour à tour chacun prend la parole, sur le réchauffement climatique, la montée des eaux, le stress et la compétition des étudiants qui doivent sans cesse rivaliser, le narcissisme des réseaux sociaux qui ne fait qu’accroître la solitude.

Seize acteurs

©-Arnaud-Bertereau

Ces jeunes acteurs doivent tous, et c’est le défi de ce spectacle de sortie d’école, exister et projeter leur propre monde face au public. Nous livrer leur imaginaire avec leur ton, avec leur voix, avec leurs angoisses et leur enthousiasme. Et ils sont tous formidables de sincérité et d’énergie vibrante, ces jeunes acteurs qui proviennent d’horizons variés et qui nous embarquent très loin dans leurs questionnements, qui nous interpellent violemment, au fil de cette tragédie contemporaine qui comporte souvent de larges pans d’humour et d’ironie. Ilonah Fagotin, Iris Laurent, Clément Piednoel Duval et Jean-Serge Sallh, accompagnés par Éva Doumbia, ont tissé la partition textuelle inspirée de toutes les paroles, de toutes les improvisations. Sacré travail de mise en forme qui ressemble à un puzzle d’affects, de revendications et d’émotions brûlants. Bien sûr, cela donne une narration protéiforme, aux tonalités différentes, qui passe par des ruptures et des harmonies, des répétitions, comme en musique. Mais quelle énergie, justement, dans ce chaos organisé, dans cette épopée labyrinthique où l’on croise autant Icare que Prométhée, Shakespeare et Sénèque ! C’est un maelström, un torrent de mots et de larmes, de cris et de rires, qui dit aussi la confusion, le marasme dans lesquels une grande partie de la jeunesse est plongée aujourd’hui dans un monde plus qu’incertain.

Pirouette finale

©-Arnaud-Bertereau

On ne dévoilera pas la fin du spectacle qui offre une très salutaire pirouette en nous rappelant que tout cela n’est finalement que du théâtre. Cette fausse fin qui ne veut pas finir, vient apporter à cette tragédie la couleur comique, le versant farcesque, ubuesque, qui rendent cette épopée tragique supportable. Encore une fois, la qualité de la mise en scène chorégraphique signée David Bobée et Eric Lacascade, l’esthétique léchée de la scénographie, construite par l’atelier du théâtre, des lumières de Stéphane Babi Aubert, de la vidéo de Wojtek Doroszuk et de la musique subtilement décalée, viennent servir ce spectacle d’une générosité sans faille, d’un enthousiasme sans détour. A une époque de stress et d’angoisse pour l’avenir, dans un monde ou tout peut basculer très vite, le théâtre ne peut bien sûr pas changer le monde, mais il l’évoque, il le fait comprendre d’une manière totalement présente et actuelle grâce à cette bande de jeunes gens déterminés et magnifiques.

Hélène Kuttner




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