À l’intérieur du Théâtre Nouvelle Génération à Lyon : rencontre avec Vanina Chaize
Le mois dernier, nous avons pu interviewé Vanina Chaize, responsable des publics au Théâtre Nouvelle Génération à Lyon. Une occasion d’échanger sur son parcours et sur le métier de responsable des publics, mais également sur un futur projet en collaboration avec l’Université Lyon 3. On vous laisse en découvrir plus à la fin de cet article !
Comment as-tu été amenée à travailler dans le secteur du théâtre ?
Cela fait plus de 25 ans que je travaille à Lyon. J’ai eu la chance d’être embauchée après un stage au Théâtre National Populaire (TNP) de Villeurbanne. J’effectuais alors une licence en arts de la scène à l’Université Lyon 2.
J’ai fait mon stage au service des relations publiques. Je pensais alors que le travail administratif était le stéréotype de travailler derrière un bureau. J’ai découvert ce métier avec quelqu’un qui m’a dit que c’était un métier de terrain, et surtout qu’il devenait ce que l’on voulait qu’il soit. Ton poste est défini par ce que tu es toi, par ce que tu veux y mettre dedans. Je sais que je suis très investie dans mon travail et je me suis dit que c’est en cela que ce métier allait être différent, car il y allait avoir un peu de moi dedans.
J’ai fait 4 ans au TNP avant d’intégrer le théâtre Les Ateliers. Il s’agissait alors d’une structure indépendante du Théâtre Nouvelle Génération (TNG), ces deux dernières n’ayant fusionné qu’en 2014 avec l’arrivée de Joris Mathieu. J’ai travaillé près de 10 ans aux Ateliers, qui était à l’époque un théâtre orienté sur les écritures contemporaines. J’ai donc participé à cette fusion et à la définition d’un nouveau projet artistique par Joris Mathieu. J’ai vécu une vraie rupture dans le contenu artistique. En effet, Joris Mathieu a défendu des œuvres plus visuelles, technologiques, avec d’autres esthétiques de plateau. Il fallait donc également renouveler les publics car les gens avec lesquels je travaillais et qui avaient une affection pour les textes, ne les retrouvaient pas dans ce nouveau TNG. Il fallait également que je m’ouvre à ces nouveaux artistes, dont je ne maîtrisais pas le genre.
Quelles sont tes missions actuelles au TNG ?
Les missions se déclinent selon les structures dans lesquelles on travaille et selon le projet artistique que l’on défend.
Le Théâtre Nouvelle Génération est un centre dramatique national, c’est-à-dire un théâtre qui bénéficie de subventions publiques en conventionnement avec l’État et la Ville. La Région venant de supprimer sa subvention il y a quelques mois à la suite d’une prise de parole du directeur du TNG, c’est donc un théâtre d’État. Missionné par le ministère de la Culture avec un cahier des charges.
Les missions sont :
- La création d’œuvres artistiques par le directeur et par des artistes associés
- Le travail de diffusion des œuvres
- Le travail d’éducation artistique et culturel (EAC) : au Service des publics, c’est sur cet axe que l’on va travailler. L’objectif est de développer les publics, de faire rencontrer les œuvres artistiques à ces publics et de préparer leur venue
Les publics concernés sont très larges, il s’agit de tout le public. Un lien fort est tissé et entretenu avec l’enseignement, de la petite enfance (parfois même la maternelle ou la crèche) à l’enseignement supérieur. Le service des publics du TNG est découpé en deux branches. Un collègue s’occupe des publics de la petite enfance au collège tandis que je prends le relai sur tout l’enseignement secondaire (lycées généraux mais également professionnels et technologiques). Mais également sur l’enseignement supérieur, les publics adultes et seniors. Nous travaillons aussi ensemble à développer des projets avec les réseaux associatifs, ainsi que les publics dit “éloignés” ( projets en prison, milieu hospitalier, secteur d’insertion sociale…)
“La mission est de rendre accessible notre programmation, de rendre accessible les œuvres”.
Comment se développent ces missions ?
Joris part du principe que le théâtre est ouvert à tous et que les œuvres sont accessibles à tous. C’est alors au service des publics de développer des outils de médiation adaptés aux différents publics rencontrés. Il faut constamment bien connaître les œuvres, s’emparer des démarches artistiques, et de l’autre côté, avoir une vue de tous les publics potentiels pour définir à qui on va s’adresser. Et surtout comment on va s’adresser à eux, comment on va créer cette rencontre entre l’œuvre et les publics. On est un peu des pivots : on crée le lien (d’où la notion de médiation) entre l’activité artistique du théâtre et l’activité extérieure liée à la ville.
Il faut faire en sorte que toutes les œuvres soient accessibles et le faire entendre des gens. Il y a des jeunes qui vont penser que le théâtre n’est pas pour eux, que c’est pour “les riches”, “les intellos”. Quand ils viennent, ils se rendent compte qu’ils ont leur place au théâtre.
En résumé, on veut provoquer et créer des rencontres. Accompagner ces rencontres entre la culture, le spectacle vivant, le monde artistique et tout l’extérieur. Mais aussi inciter, quand on rencontre les gens, leur curiosité. On doit oser, y aller et effacer les “la culture ce n’est pas pour moi”. Il faut accompagner les publics dans leurs “premières fois”.
Le travail de relation avec les publics n’est donc pas un travail de bureau, on est constamment sur le terrain. Si on reste une semaine derrière un ordinateur (même s’il y en a parfois besoin), ce n’est pas normal. La semaine de la rentrée, j’aborde sur les six jours, 6 ou 7 spectacles différents. Les métiers, tout comme le spectacle, sont vivants. De même, si on a un seul spectacle sur trois semaines, les publics ne seront jamais les mêmes. Donc je vais toujours devoir me réadapter. On doit toujours se renouveler nous-mêmes dans notre façon de travailler pour ne pas créer d’usure.
Comment on se renouvelle ? Comment on se rend compte qu’on a loupé quelque chose ?
On rencontre parfois des échecs. La semaine dernière j’ai fait une visite pour tous les étudiants. Il n’y avait que 6 inscrits et 4 personnes sont venues. J’ai quand même organisé l’événement en me disant que plutôt que de faire une visite d’1h30, elle durerait 1h. Finalement, je suis restée 2 heures. Je n’y suis pas allé à moitié car il n’y avait que 4 personnes. Ces dernières étaient intéressées, avaient des questions et j’avais envie de transmettre des choses.
Il arrive également que l’on se plante sur un spectacle. Qu’il n’y ait personne ou que la médiation avec l’artiste ne se passe pas comme l’équipe l’aurait espéré. Ce sont des moments plutôt rares par rapport aux moments de satisfaction, mais cela arrive. Ça nous permet justement de rebondir et de penser à comment faire les choses différemment. Pour cela, il faut avoir des échanges constants avec les artistes qui sont dans l’activité (du spectacle ou de la médiation). Il ne s’agit pas seulement d’informations pratiques ou de planning. Parfois, lors d’un atelier, on va même faire l’atelier avec eux.
Il s’agit donc également d’un métier où il faut être très polyvalent. Il y a plusieurs spectacles, plusieurs publics. On peut être amené à faire de multiples choses dans la même journée. Un atelier, du numérique avec un établissement et enfin de la création de coiffure avec un autre établissement pour une création prévue en 2024/2025. On fait de tout et on ne s’ennuie jamais !
C’est très excitant mais également très prenant intellectuellement. Il faut être capable de switcher facilement entre les activités, tout en ayant une vraie conscience et connaissance des gens en face de nous. Puis, il y a forcément du travail transversal avec les autres services. Notamment ceux de la communication, de la production, de la billetterie et de la technique. La formule de relation avec les publics parle d’elle-même, elle parle de relation avec les gens.
Par ailleurs, notre travail ne se résume pas seulement à notre théâtre, il faut aller voir ce qui se passe ailleurs, dans la région, dans les petites compagnies. Il faut aller assister aux sorties de résidence et prendre les choses de partout afin de nourrir son paysage professionnel.
Au cinéma, quand on n’a pas aimé le film que l’on est allé voir, cela ne nous empêche pas d’y retourner. Alors qu’au théâtre, il suffit d’un spectacle pour que la personne n’y remette plus jamais les pieds. Comment on gère cela ?
L’absence de bande annonce est un point à noter. Le fait de venir dans les classes pallie cette absence de bande annonce, qui même lorsqu’elle existe, ne retranscrit pas la réalité du spectacle. Nous on est là pour donner des clés, des éléments, pour remplacer la bande annonce.
Je pense que cette notion de spectacle vivant touche les gens. Au cinéma, il y a cette distance de la salle, de l’écran. Je ne perturbe pas les gens au plateau et les acteurs ne viennent pas me déranger. On a une distance trop forte, on peut manger sans déranger les personnes à côté de soi etc. Mais au théâtre, il y a quelque chose de trop vivant. Si une pièce ne plait pas, on se sent atteint physiquement et personnellement. On se sent coincé parce qu’il y a des gens en face de nous. On ne peut pas sortir de la salle facilement.
C’est pour cela que la discussion à fin du spectacle est nécessaire. Avec les groupes et le tout public, on propose des bords de scène et on s’efforce de faire des après-spectacles. Même en classe pour les groupes scolaires, et même quand cela s’est bien passé. On leur demande d’argumenter sur pourquoi ils ont aimé ou non la pièce, afin de créer la discussion. Souvent, on va avoir des avis divergents et entre eux, ils vont pouvoir se faire changer d’avis.
De même, lorsque je travaille avec des enseignants pour faire venir une classe, j’aime bien faire revenir la classe pour pouvoir montrer deux propositions artistiques différentes afin qu’ils aient un parcours de spectateur. Cela permet de créer un regard de spectateur qui leur permettra de revenir sur le spectacle vu précédemment, de se dire qu’il n’était peut-être pas si mal que cela etc. On cherche à créer un équilibre et à développer un regard critique là-dessus.
Comment met-on en place de telles actions comme des ateliers, des rencontres etc. ?
On part des spectacles, des propositions artistiques. Par exemple, on peut mener des ateliers jeux et lecture avec des compagnies. Là je vais mener un atelier lecture avec la compagnie des Sept Sœurs. À la rentrée je vais organiser un atelier d’écriture, slam et création son avec Vladimir Steyaert autour de Scarlett et Novak avec des lycées professionnels. Mais également de la lecture au prompteur avec un lycée d’enseignement général, de la création de coiffe avec le lycée de coiffure etc. On construit la rencontre et la pratique artistique à partir de la singularité du spectacle, ce qui fait partie de l’axe de mission de l’EAC. On cherche à utiliser les outils de l’artiste, à approcher la proposition artistique par la pratique.
Il y a également tout le travail en collaboration avec les classes de lycée option théâtre qui nécessitent 6 heures de pratique théâtrale par semaine. Je m’occupe alors de sélectionner les spectacles, les intervenants etc.
Nous allons parler dans un instant d’une collaboration avec l’Université Lyon 3, s’agit-il de la première collaboration entre le TNG et cette Université ?
J’ai toujours travaillé depuis les Ateliers, donc presque 20 ans, avec Lyon 3. Plus précisément avec l’unité GACO Arts, pour laquelle j’ai même été vacataire.
En 2020, une des enseignantes m’a demandé ce que le TNG pourrait proposer au service culturel pour Lyon 3. À ce moment-là, on avait depuis un petit moment un dispositif qui s’appelle le LIR (Livre In Room), c’est-à-dire une bibliothèque numérique sous la forme de cabine conçue pour un seul spectateur. Il y a, à l’intérieur, toute une sélection de romans : du jeune public, de la science-fiction etc. Pour chaque roman, un extrait a été sélectionné pour être mis en voix par un comédien et entendu par le spectateur. J’ai proposé cette cabine à la Bibliothèque de la Manufacture de Lyon 3. Ceci qui a été la première grosse résidence du TNG à Lyon 3.
Peux-tu me parler de la collaboration actuelle avec l’Université Lyon 3 pour le festival de théâtre universitaire international Meraki ? Comment s’est-elle mise en place ?
L’année dernière, on s’est rencontré à nouveau avec France Laredo et Juliette Rindone (respectivement la coordinatrice des actions culturelles et l’adjointe à la responsable administrative des Affaires Culturelles de l’Université) . J’ai alors évoqué l’idée d’un atelier théâtre qui serait porté par la compagnie Haut et Court, tourné vers les technologies de plateau et les questions d’humanité et d’évolution de la science. L’équipe du Point Culture a alors validé d’intégrer cette proposition aux autres ateliers théâtre à partir du 20 janvier 2024. Il y aura une rencontre un samedi par mois avec deux comédiens et un réalisateur. L’idée est d’avoir une restitution programmée dans le cadre de Meraki. En effet, les dates coïncident avec le Festival Générations en Scène du TNG, c’est-à-dire lors de la semaine du 27 mai au 1er juin. Ce Festival correspond à une semaine de restitution de nos pratiques amateurs. Les étudiants de l’atelier seront donc accompagnés par des professionnels (acteurs, régisseurs son et lumière). Ils auront également l’occasion de jouer sur une scène professionnelle (au TNG).
Il y a un réel soutien et une grande implication de la part de l’équipe du Point Culture dans nos propositions artistiques. Il y a d’ailleurs d’autres projets qui sont déjà prévus pour septembre 2024 en partenariat avec Lyon 3. Ce partenariat n’en est donc qu’à ses débuts !
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