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“Muncaster” de Robert Westall : Entretien avec Florian Torres, des éditions du Typhon

9 janvier 2024
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Illustration de la couverture de Muncaster réalisée par Tristan BONNEMAIN

“Muncaster”, roman haletant de Robert Westall, paru pour la première fois en 1991. Ce roman propose l’évolution intime et troublante d’un héros qui nous entraîne d’un univers ancré dans le réel à un monde fantastique et angoissant. Nous avons rencontré Florian Torres, l’un des cofondateurs des éditions du Typhon à l’origine de la réédition de ce roman en novembre 2023.

Muncaster relate l’histoire de Joe Clark, cordiste de père en fils, engagé pour la réfection du clocher sud-ouest de la cathédrale de Muncaster. Dans le cadre de son travail, il va être confronté à des événements de plus en plus étranges qui vont faire vaciller ses certitudes, et le contraindre à changer sa vision du monde pour sauver sa famille.

Après avoir travaillé en France et à l’étranger dans des centres d’éducation artistique et différents lieux de mémoire, Florian Torres fonde avec son frère, Yves Torres, les éditions du Typhon en 2018. Au centre de leur projet éditorial : la volonté de mettre à l’honneur des auteurs du passé qui parlent au présent.

Pourquoi ce livre, cette histoire ?

Dans notre première collection, Après la tempête, on a réalisé tout un travail autour de la littérature anglaise, sur le mouvement des jeunes hommes en colère. Il s’agit de textes sociaux avec des écritures très musicales qui ont inspirées de nombreux musiciens comme David Bowie, Arctic Monkeys… Ce mouvement des années 1950, traite notamment de la désindustrialisation dans le nord de l’Angleterre ou de la lutte de l’individu contre la société.

Notre seconde collection, les Hallucinés, regroupe des textes fantastiques et gothiques. Nous avons voulu faire un pont entre ces deux univers. Trouver un livre qui s’inscrive dans un milieu ouvrier anglais qui parle d’un quotidien rude et qui petit à petit aille du côté du fantastique, on a beaucoup cherché et on a trouvé. Quand on a lu Muncaster ça nous a semblé une évidence. La trame narrative est très intéressante puisqu’on commence dans un milieu concret, réel, le personnage principal est cordiste et réparateur, il monte des échafaudages, puis on bascule. On joue sur le malentendu, on pense être dans un certain type de littérature et en fait le livre nous emmène ailleurs, l’univers initial est inquiété, malmené et dérangé par le trajet de l’aventure. On commence dans le réel pour mieux le dérégler.

Le lien avec la biographie de l’auteur nous paraissait également extrêmement intéressant. Au départ Robert Westall est un auteur pour enfant, il a beaucoup écrit pour la jeunesse à partir des histoires qu’il racontait à son fils. Puis, son fils est décédé. C’est à partir de ce moment que ses textes sont devenus de plus en plus sombres, toujours inquiets avec la famille menacée. Cet arrière fond biographique nous l’avions en tête et il donnait une grande richesse au livre.

Il y a aussi le jeu sur le vertige et les hauteurs ?

Joe, le héros, représente l’homme des hauteurs qui réalise des choses impressionnantes, qui n’a pas le vertige. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur cette phrase de sa part “je n’ai jamais eu le vertige”. Il commence avec ses croyances, ses certitudes mais le but dans un tel arc narratif est qu’il y ait une évolution, ce qui est le cas, puisqu’à la fin il ne maitrise pas tout. Le trajet du héros est donc très important, il va dans les hauteurs physiques mais pas métaphysiques. Il plonge dans un autre type d’aventure que la réalité physique qu’il connait.

Il y a donc le vertige, sensation concrète, et le vertige de se dire qu’il croyait tout savoir, mais qu’il existe une autre réalité que celle qu’il connait. Une réalité plus inquiétante.

Comment avez-vous découvert cet auteur, peu connu en France, et de manière générale comment se déroule votre travail de recherche ?

Notre projet éditorial, et cette volonté d’éclairer le présent avec les perspectives du passé, date de 2010. On a beaucoup lu, cherché dans les archives, dans les bibliothèques pour se former, avoir le plus de connaissances possibles.

Notre travail consiste également en un dialogue constant avec les éditeurs étrangers que l’on rencontre, notamment lors de la foire du livre de Francfort. Lors de nos échanges des noms émergent. Il y a trois – quatre ans un éditeur allemand m’a parlé du roman graphique de Miyazaki : Trip to Tynemouth dans lequel il rend hommage à Robert Westall. C’est à cette occasion que l’on a découvert cet auteur. Dans notre travail, il y a une partie qui relève de la recherche et une autre de la chance et du hasard, ce livre c’était du côté chance et hasard.

En quoi a consisté votre travail, en tant qu’éditeur d’un auteur décédé ?

Une fois qu’on a trouvé le texte, il faut négocier les droits lorsqu’ils ne sont pas dans le domaine public, comme c’est le cas pour Robert Westall.

C’est une agence qui gère ses droits, et donc avec qui il faut négocier l’avance, les pourcentages, pour disposer des droits sur l’œuvre pendant un temps. Puis il faut trouver le traducteur, quand il s’agit de fantastique anglais on travaille toujours avec Benjamin Kuntzer car il a l’habitude de traduire la littérature de genre, et pour nous c’est le meilleur. S’agissant de l’illustration nous avons fait appel à Tristan Bonnemin avec qui on a déjà collaboré sur plusieurs ouvrages et dont on adore le travail.

Et s’agissant du degré d’interprétation de son œuvre ?

De manière générale, le lecteur ou la lectrice, peut voir beaucoup plus sur les œuvres que les auteurs eux-mêmes. Pour schématiser, il y a la part de ça, de pulsion, d’inconscient, qui joue et les auteurs peuvent se retrouver face à des choses qu’ils ne voulaient pas forcément voir ou dire. Il ne s’agit donc pas nécessairement d’une écriture purement rationnelle.

Cette logique de la sensation, fait que la façon dont un récit est retranscrit peut au final dire autre chose que ce qui voulait être signifié par celui ou celle qui écrit. Là où il s’agit d’être juste sur l’argumentation c’est lorsqu’il y a des motifs de récurrences dans l’écriture. Lorsque l’on voit des choses qui reviennent sans cesse, on suppose que cette chose travaille l’auteur, de manière consciente ou inconsciente.

En tant que lecteur, on peut voir de nombreuses choses dans le réseau de signification proposé par le texte que l’on peut relier de façon pertinente à la biographie, comme on l’a fait pour Robert Westall.

Dans plusieurs de ses textes fantastiques il s’agit de la menace sur la famille, dans les textes optimistes la menace est déjouée, à l’inverse dans les textes pessimistes la menace prend le dessus…

Muncaster paru aux éditions du Typhon le 7 novembre 2023. Plus d’infos sur les éditions ici. 

Propos recueillis par Julie Gaillard. 

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