“Richard II” revient à Nanterre avec le magnétique Micha Lescot
Le metteur en scène Christophe Rauck s’attaque à l’une des pièces les plus poignantes de Shakespeare sur le thème du pouvoir et de ses dérives. L’histoire véridique du roi Richard II, dont la jeunesse et l’inexpérience agissent comme un poison en l’éloignant du peuple et des enjeux de responsabilité. Un rôle en or pour le talentueux Micha Lescot qui irradie dans cette mise en scène orchestrée comme un sulfureux film noir.
La détresse d’un roi
Richard II raconte les deux dernières années de la vie d’un roi dont le règne a commencé à l’âge de 10 ans lorsque son père Edouard III meurt en 1377. Il abdiquera à 32 ans, au terme d’un règne aussi troublé que fascinant. La situation financière du royaume est critique, l’Angleterre a perdu la plupart des provinces conquises en France et les revenus de la noblesse, du pays entier, sont amoindris. C’est l’oncle de Richard, Jean de Gand, qui gouverne donc à sa place, mais il ne tarde pas à se débarrasser de la tutelle trop présente de son oncle pour gouverner lui-même, et exiler son cousin Henri de Bolingbroke, le Duc de Lancastre. La pièce commence à ce moment-là, lorsque le roi Richard décide de se séparer de la tutelle de son oncle et d’exiler sèchement son cousin germain. Cette célérité à trancher dans le vif, qui va aussi le conduire à lever des taxes et des impôts pour éponger les dettes du pays, va conduire le jeune roi à se couper des nobles et du peuple, s’enivrant de pouvoir et d’autorité, face à un ennemi déclaré, Bolingbroke, qui reviendra avec une armée solide pour destituer son cousin.
Résonances contemporaines
De cette oeuvre vertigineuse sur le pouvoir et la folie qui en découle, Christophe Rauck fait résonner un écho très contemporain en liant cette ivresse de la gouvernance politique à la situation de nos démocraties actuelles, avec des élites déconnectées des populations pour lesquelles elles sont censées gouverner. Micha Lescot, prince de neige, élégamment vêtu d’un costume de dandy et de souliers immaculés, acrobate aérien, semble tout droit émerger d’un film de Tim Burton. À l’opposé, les personnages qui l’entourent sont en noir ou gris, dans un éclairage filtré par le tulle qui vient donner à l’ensemble une allure cinématographique et irréelle. Face au comédien à la silhouette élastique et longiligne, le Bolinbroke d’Eric Challier est majestueux et massif, masque de fer et de terre qui reçoit comme une gifle outrageante l’ordre d’exil de son cousin. Le contraste entre les deux hommes de même stature ici, le premier fantasque et séducteur, le second insaisissable et grave, est saisissant. Mais Richard est roi et c’est donc son titre qui justifie le pouvoir de vie et de mort sur tous, avec l’accord de Dieu. Malgré les doctes conseils du vieil oncle Jean, auquel Thierry Bosc prête son imposante présence, voix caverneuse et stature d’immortel, le jeune roi n’en fait qu’à sa tête et envoie tous les obstacles dans les nuages, semblant n’habiter que dans les cieux.
Film noir
La scénographie d’Alain Lagarde et les lumières d’Olivier Oudiou dessinent des espaces de procès kafkaïen, avec des gradins mobiles qui figurent la cour du roi ou des assemblées parlementaires. Les lumières balayent ainsi de manière contrastée l’espace de jeu en donnant au spectacle une allure de film noir, dont on aurait dès le départ toutes les clés menant vers la tragédie. Si la première partie, avant la destitution de Richard, semble un peu figée, l’émotion gagne en puissance dans la deuxième partie, notamment lors du procès qui voit Richard II, jouant son dernier chant du cygne, abandonner à son rival le pouvoir de gouverner. Micha Lescot y est impérial, alternant entre fausse et vraie douleur, tentant de sauver la face en basculant, comme Hamlet, dans une folie feinte ou réelle. Et c’est à ce moment-là que la pièce nous touche le plus. Peuplée de personnages qui tentent tous de trahir en reconstituant des alliances, joués par des comédiens aguerris qui campent plusieurs rôles et il faut mentionner la belle prestation de Murielle Colvez dans le rôle d’une mère démoniaque qui manie aussi bien l’hypocrisie que le désir de revanche, la pièce décrit formidablement, dans la traduction de Jean-Michel Déprats, la solitude dévastatrice d’un pouvoir non partagé et le danger d’un titre qui anesthésie une fonction. Richard s’accroche à son titre comme à un jouet avec une inconscience, un cynisme, qui le conduiront à la mort. Eclairante réflexion sur la manière dont ceux qui nous gouvernent font usage de leur pouvoir.
Hélène Kuttner
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