“West Side Story” : le retour de l’éblouissante comédie musicale au Châtelet
Le chef-d’œuvre signé Jérome Robbins pour la chorégraphie et Léonard Bernstein pour la musique est recréé au Théâtre du Châtelet dans une nouvelle adaptation de Lonny Price et Julio Monge, avec une trentaine d’artistes sur le plateau et un orchestre de vingt musiciens. Après une tournée mondiale, le spectacle se pose enfin à Paris et ce drame de l’amour intemporel entre une Juliette et un Roméo contemporains prend une ampleur magistrale grâce à l’énergie et au talent de très jeunes interprètes. À réserver de toute urgence et pour tous les âges.
Guerre de gangs à Manhattan
Shakespeare avait situé son drame amoureux à Vérone, Roméo croisant sa Juliette, jeunes gens issus de deux familles ennemies lors d’un bal masqué. C’est également lors d’un concours de danse que le jeune Tony, américain blanc ami des « Jets », le gang des émigrants d’origine irlandaise, polonaise et italienne, déjà installés, rencontre Maria, une jeune portoricaine proche des « Sharks », leurs rivaux, dans un quartier pauvre de l’Upper West Side de Manhattan en 1950. Ces deux-là, comme les amoureux de Shakespeare, vont s’aimer passionnément dès la première seconde, et le sang versé par l’animosité de leur clans rivaux sera à la hauteur de leur drame. En 1961, Nathalie Wood et Richard Beymer triomphaient dans un film culte réalisé par Robert Wise et Jerome Robbins qui fut récompensé par dix Oscars. Aujourd’hui, la sublime Melanie Sierra-Maria et le fantastique Jadon Webster-Tony incarnent avec splendeur ces deux héros portés par l’amour, entourés d’un casting éblouissant d’énergie et de talent : Kyra Sorce déchirante dans le rôle de la grande soeur Anita, Anthony Sanchez flamboyant Bernardo, et Taylor Harley, le bouillonnant Riff, leader belliqueux et enragé.
Une mise en scène époustouflante
La première scène est saisissante : dans le très beau décor d’Anna Louizos avec ses façades d’immeubles en brique et escaliers de service en métal, au réalisme sublimé par les lumières fantasmagoriques de Fabrice Kebour, deux groupes apparaissent, se jaugent et se chassent, en une danse théâtralisée, ultra physique, virtuose et acrobatique, qui affirme la défiance des garçons, leur fierté et sent déjà l’agressivité et la volonté d’en découdre. La puissance dramatique de cette chorégraphie puise dans le jazz autant que dans la danse africaine et contemporaine pour crier la violence des cités, la délinquance et les problématiques de l’immigration, du racisme et de la société de consommation, autant de questions qui restent aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Garçons et filles, qui tous jouent, dansent et chantent, sont remarquables d’engagement et de sincérité magnifique. L’énergie explosive de cette jeunesse encore brûlante est ici sublimée par la partition de Léonard Bernstein qui mêle tempos lents et rapides, percussions et cuivres au fil d’un métissage d’harmonies douces ou heurtées par des rythmes syncopés, des tonalités originales qui puisent dans différentes cultures.
Une réussite totale
Effervescence des numéros réglés avec une précision redoutable, énergie des corps et des cœurs soumis au rythme d’une histoire d’amour haletante, combats dansés comme des exploits de haute voltige dans la plus pure tradition de la danse acrobatique, chansons d’amour sublimes que l’on ne cesse d’aimer, scénographie mouvante et lumières féériques qui nous plongent dans un univers cinématographique, tels sont les atouts de ce musical de haute tenue, qui tient le spectateur en haleine à chaque seconde durant plus de deux heures. Il faut dire que l’orchestre est mené par le chef Grant Sturiale qui ne démérite pas : puissance et couleurs éclatantes, vibration et nuances couronnent son travail avec les musiciens. Il faut saluer cette incroyable énergie et l’éblouissante technique de ces jeunes interprètes qui nous racontent finalement un message de paix et d’amour derrière une tragique guerre de gangs pour la domination d’un quartier. Inoubliable.
Hélène Kuttner
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