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“Linda veut du poulet !” : entretien avec les coréalisateurs Chiara Malta et Sébastien Laudenbach

Présenté par l’ACID au Festival de Cannes, “Linda veut du poulet !” vient d’être récemment récompensé du Cristal du long métrage, le prix le plus prestigieux du Festival international du film d’animation d’Annecy.

Le film raconte l’histoire de Linda, injustement punie par sa mère, Paulette, qui ferait tout pour se faire pardonner. Elle lui demande alors de lui cuisiner le plat qui lui rappelle son père : du poulet aux poivrons. Mais problème, tout est fermé à cause de la grève. Le duo va alors se lancer dans une véritable quête du poulet.

C’est lors de sa présentation à la sélection de l’ACID au Festival de Cannes que nous avons pu nous entretenir avec Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, les deux coréalisateurs de ce film d’animation.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture de ce film ? Quel était le rôle de chacun dans le processus créatif ?

Chiara : C’est assez commun d’écrire à plusieurs pour les scénarios. Il y a une grande école italienne où ils étaient 6/7, chacun écrit une scène, puis se retrouve ensemble, lit, rectifie… L’écriture est un lieu qui se prête beaucoup à la multiplicité. Pour le scénario du film ça s’est fait comme ça, c’était un désir commun, durant les jours de résidence qui restaient, en partant de certaines idées : l’enfance, l’accident, le deuil… Mais surtout l’injustice, parce que c’est ce qui arrive beaucoup aux enfants.

Sébastien : C’est une cuisine, à chaque scénariste, à chaque projet sa configuration d’écriture. On a l’un et l’autre écrit sur d’autres projets avec des personnes différentes. Il y a quelque chose d’assez organique qui s’installe, assez naturellement, entre qui écrit certaines parties, qui en écrit d’autres. Il y a des sensibilités qui s’expriment en fonction de certaines scènes. C’est surtout un dialogue.

Dans votre film, chaque personnage est représenté par une couleur unique. Comment avez-vous choisi ces couleurs ? Est-ce lié au caractère des personnages, à ce qu’ils représentent ?

Sébastien : Tout est parti de la couleur de Linda qui pour nous était jaune, car au départ elle devait porter un ciré jaune. Elle dit d’ailleurs au début du film que c’est sa couleur préférée. À partir de la couleur de Linda, les autres ont découlé naturellement et de manière assez instinctive. Sa mère est orange, sa tante est rose et cela donne une unité familiale, en restant dans la même famille de couleurs. Assez naturellement, les policiers sont bleus… Ce sont des couleurs qui sont arrivées très simplement, il y en a d’autres qui ont été un petit peu plus compliquées à trouver pour certaines copines de Linda. Elles donnent une couleur au personnage. La grand-mère étant violette, cela lui donne un côté suranné, un peu vieillot, qui lui correspond bien. La petite Annette, une copine de Linda, qui est aussi violette mais d’une teinte différente renforce son aspect coquet.

Chiara : Le jaune c’était aussi l’idée du soleil dans une journée de pluie. On voulait un film très pimpant. Les cheveux blancs virent parfois sur le violet, d’où le choix de cette couleur pour la grand-mère. Il y a parfois une caractéristique ou un élément qui nous a guidés dans le choix des couleurs.

Il y a beaucoup de parallélismes et de mises en abyme dans le film. On peut citer la scène de l’école où la maîtresse donne une leçon sur la Révolution française et annonce qu’il n’y aura pas cours le lendemain à cause de la grève et des manifestations – qu’on apercevra pendant le film. Le cours d’Histoire semble alors on ne peut plus d’actualité.

Ce premier parallèle résonne également avec la grande et périlleuse quête du poulet, d’autant plus lors de certaines scènes rappelant fortement les soulèvements populaires. Était-ce pour donner un sens d’interprétation aux spectateurs ?

Chiara : Non, c’est à vous de donner un sens. Pour nous c’était surtout un jeu de correspondances. Évidemment, puisqu’on parle de grèves, ce n’était pas insensé de parler de Révolution française à l’école. On s’est amusé à traverser les temps et l’Histoire. On a une histoire qui se répète tout le temps donc on a joué avec ça. Disons que ce côté pétillant du film provient de toutes ces correspondances.

Sébastien : Il y a des jeux d’analogie entre les revendications des enfants et celles des adultes. Entre “Du pognon ! Du pognon!” de la manifestation et “On a faim ! On a faim !” des enfants, il y a quelque chose qui les unit. Ce qui nous intéressait dans le fait de travailler dans le décor d’une cité, c’est le côté microcosme. C’est un endroit où les enfants peuvent évoluer librement, donc on peut y croire. Ils descendent tous dans la rue comme le font leurs parents pour la grève. Le film parle aussi d’insoumission, représentée de façon joyeuse et bon enfant.

Chiara : On a joué avec cette violence, avec l’idée qu’il faudrait craindre les manifestants, car ici les revendicateurs ce sont les enfants et le feu ce sont des poivrons qui ont trop cuit et qui brûlent. On s’en est un peu moqué, mais c’est une moquerie tout à fait inoffensive. C’est un esprit de révolte à tous les âges qu’on a montré.

Sébastien : Au son, on s’est amusé à mettre des pétards par exemple, des bruits pas forcément perceptibles ou identifiables, des sons de feux d’artifice. C’est l’amusement qui nous a guidés, et on voulait vous amuser aussi.

Chiara : Les enfants peuvent être effrayants. Dans une école à l’heure de la récré, s’il n’y a pas quelqu’un qui fait contrôle, ça peut faire peur. Plusieurs enfants qui se révoltent, ça fait peur, autant qu’une masse d’adultes qui se révoltent aussi. Peut-être même plus car ils sont ingérables. Le film n’illustre pas forcément une révolte, mais plus une compassion des injustices qu’ils peuvent vivre.

Sébastien : C’est comme une idée d’insoumission et elle traverse tout le film, aussi dans la façon dont on l’a fabriqué. Le type d’animation, le type de dessin, le fait d’avoir une seule couleur par personnage… c’est quelque part ne pas vouloir rentrer dans un moule, d’être libre dans notre forme d’expression. On a travaillé avec une peintre pour faire tous les décors, il y a vraiment la volonté d’être libre dans tout ça.

Il y avait un second parallélisme dans l’attitude et dans les répliques entre Linda et sa maman, témoignant de leur ressemblance. Est-ce pour montrer que finalement, nous ne sommes jamais vraiment adulte ? D’ailleurs dans la salle, c’était le cas. Nous étions tous en train de rire comme des enfants. Était-ce la visée du film ? De retrouver cette âme naïve en le regardant et de montrer que nous ne sommes que de grands enfants ?

Chiara : Disons que le public va rentrer en empathie avec cette idée-là. C’est difficile de devenir adulte, on ne le devient jamais vraiment. Donc de voir qu’on raconte une histoire avec des adultes vulnérables, de montrer leurs faiblesses, on espère que ça puisse produire de l’empathie, parce qu’on se reconnaît tous. On a tous des failles, on ne grandit jamais vraiment assez. On se projette toujours dans un âge adulte que l’on n’atteint jamais.

Sébastien : Il y a peut-être des gens qui y arrivent, mais nous n’avons pas réussi pour l’instant. On est toujours en train de se dire : “Quand on sera grand, on fera ça ! “. Je ne sais pas ce que ça veut dire “âme d’enfant”. Je pense que dans le film, ce sont plus des attitudes, les adultes sont assez défaillants, ils retombent un peu en enfance. Et Linda retombe en petite enfance, puisqu’elle se souvient de quand elle avait un an. Donc, il y a une espèce de mouvement régressif. Et c’est peut-être ça qui provoque l’empathie.

Vous avez évoqué le thème du deuil précédemment. Effectivement, à travers cette quête du poulet, les personnages passent par plusieurs états : le choc, le déni, la colère, le désespoir, la tristesse et puis l’acceptation. Est-ce que c’était un objectif d’écriture de suivre les étapes du processus du deuil ?

Chiara : Non, je ne dirais pas ça parce que c’était d’autres idées qui nous guidaient : l’accident, l’injustice… Dans le film, il y a l’idée du deuil des souvenirs, parce que quand on oublie quelque chose, c’est comme si elle n’avait pas existé. On ne se souvient pas de toute notre vie. Plus le temps passe, plus les souvenirs se rétrécissent et ce dès la petite enfance. Je me souviens qu’on réfléchissait au tout début à quelque chose qui est assez extraordinaire, presque un film de science-fiction, en partant du fait que les enfants n’ont pas du tout de souvenirs de leurs premières années de vie. Ils demandent aux parents de leur raconter des choses de quand ils étaient tout petits, comme si c’était la vie de quelqu’un d’autre. L’adulte se souvient de ce moment-là, parce que lui était grand. C’est comme si nous avions deux vies à cause de cette perte fatale de mémoire de nos premières années, et il faut faire le deuil de ça. Au début, Linda ne se souvient pas de son père décédé. Il manque quelqu’un dans cette famille. On sent un manque affectif profond, malgré l’absence du souvenir.

Sébastien : C’est ce qui exprime la chanson du générique de fin de Juliette Armanet. Et anecdote : la petite fille qui fait la voix de Pablo, le tout petit garçon, et qui fait aussi la voix de Linda petite, ne se souvient pas d’avoir enregistré cette voix, parce qu’elle était vraiment très petite au moment de l’enregistrement.

Quels sont, selon vous, les avantages du film d’animation en comparaison au cinéma ?

Chiara : Il y a une façon de retranscrire la sensation en animation. C’est une capacité qu’a aussi le cinéma, mais l’animation le fait d’une autre façon. Dans ce film, elle prend en charge la vitesse. Il aurait fallu faire un film entièrement en travelling si nous étions en tournage. L’animation, c’est une technique que j’ajoute à mon bagage. Il y a des choses que je peux faire en animation, d’autres se racontent mieux avec d’autres outils. Je ne pense pas qu’on puisse définir un genre. Parfois, le dessin est utile. La ligne est assez puissante parce que, quand on voit un dessin, on ne se dit pas “C’est vrai.” ou “C’est faux.”. On ne se demande pas si c’est une reconstitution, si ça s’est vraiment passé. On n’interroge pas comme ça le dessin. Alors que si on voit une vidéo, on peut se dire “Il l’a reconstituée.”. Si on fait un documentaire vidéo par exemple, il peut y avoir de la triche, ou bien la vidéo peut être un témoin. Le dessin, c’est un dessin. Dans ce film-là, elle est assez juste parce qu’il y a des moments où les sensations sont plus éloquentes dans le dessin. Il y avait un champ des possibles qui était donné par le dessin qui était plus compliqué à mettre en place avec la prise de vue réelle.

Sébastien : Moi qui dessine, je trouve qu’effectivement, le dessin a la force de sa faiblesse, surtout dans l’animation. Comme il y a une absence totale d’être humain, que tout est représentation par des lignes et des couleurs, ça nous permet, comme disait Chiara, de pouvoir raconter des choses qui pourraient être racontées en prises de vues réelles, mais forcément d’une autre manière. On est obligé de passer par d’autres chemins. C’est ça qui nous semble intéressant. Quand on faisait le montage son, on se rendait compte qu’il y avait plein de rythmes qui ne sont pas des rythmes humains, dans certaines marches ou dans certains mouvements qui vont beaucoup plus vite, par exemple. Ça ne pourrait pas être comme ça dans la vraie vie. Par ailleurs, je trouve qu’aujourd’hui la question du dessin se pose de manière très éloquente. La puissance du dessin, le fait de se donner à voir comme quelque chose qui est forcément une représentation avec tout ce qui se passe là depuis quelques mois concernant l’intelligence artificielle, avec toutes les nouvelles images qui arrivent, on ne peut plus croire à rien. Je trouve que le dessin est sincère. Il existe. Il est ni vrai ni faux. La question ne se pose pas. Je trouve ça riche.

Chiara : Après, l’animation manque d’une chose, c’est le regard humain. Il y a des moments où les enfants sont tellement loin que ce sont juste des tâches et puis, il y a aussi des gros plans de Linda. À défaut de ne pas avoir le regard, on a détaillé le dessin. Le dessin détaillé fonctionne comme un regard dans ce film. Si on avait tout détaillé, il n’y aurait pas eu cette différence là. Mais alors, au loin, c’est le mouvement qui prime. Ça peut donc être une tache de couleur qui se balade, parce que cela transcrit le mouvement. Mais quand on s’approche, le gros plan a une valeur. Ça raconte une émotion. Quand on filme un visage, c’est parce qu’on veut raconter de près une émotion. Là, on ne l’a pas dans le regard, donc on a détaillé le dessin. Si vous voyez Linda de près, elle est très, très détaillée. Elle n’a rien à voir avec sa silhouette de loin ou de très loin, qui est seulement une tache.

Comment s’est déroulé l’enregistrement des voix et des bruitages pour votre film ?

Chiara : Il n’y a pas eu de doubleur. C’est pour ça aussi que la place des acteurs dans ce film est plus importante. Ce ne sont pas des voix, ce sont vraiment des comédiens. On a enregistré tous les dialogues du film et presque tous les sons. Ils n’ont pas dû doubler un personnage dessiné. Nous avons dessiné les personnages en se basant sur leurs voix. On a fait un tournage qui était assez long, où il y avait des déplacements, avec une idée déjà du découpage. C’était comme un vrai film. Et pour le dessin, il y a des personnages qui, suite aux jeux des comédiens, ont changé. Je les avais imaginés d’une certaine manière, mais au vu de la voix, on a un peu modifié. On ne voulait pas se priver de la rencontre entre le scénario et le tournage, qui modifie forcément des choses. C’est une sorte de réécriture parce qu’on ne peut pas tout faire, le comédien ne joue pas très bien ce qu’on avait prévu, on lui propose autre chose… L’expérience la plus intéressante d’un film, c’est le fait qu’il y ait une distance entre ce qui avait été pensé et écrit et ce qui se tourne. On voulait ça aussi pour ce film, pour lui donner cette vie, cette trace, cette mémoire.

Sébastien Laudenbach et Chiara Malta au Festival de Cannes 2023

Ne manquez pas l’occasion de plonger dans l’univers drôle et pétillant de Linda veut du poulet !, un film d’animation incontournable à découvrir en salle dès le 18 octobre 2023 !

Interview réalisée par Marjolaine Dutreuil et Amandine Jacquet

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