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“Poquelin II” ou Molière dépoussiéré par les tg STAN

Hélène Kuttner 10 décembre 2022
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© Kurt Van der Elst

Pour leur retour au Théâtre de la Bastille avec le Festival d’Automne, le groupe flamand des tg Stan revient vers un de leurs auteurs de prédilection, Molière, avec lequel ils avaient signé un premier spectacle. Cette fois, “L’Avare” et “Le Bourgeois gentilhomme” sont dépecés comme une farce sur des tréteaux au beau milieu du public : libertin et réjouissant, un régal.

Du théâtre de tréteaux 

© Kurt Van der Elst

Dépoussiérer Molière, en cette période d’anniversaire de la mort de l’auteur, en revenir à la simplicité du théâtre de foire qu’arpentait la troupe de Jean-Baptiste Poquelin à ses débuts, où on improvisait vaillamment à l’italienne dans les villages que l’on traversait, où les acteurs créaient sur place les personnages qu’ils interprétaient, cela va très bien à ces artistes iconoclastes que sont les tg Stan, et qui ne l’ont pas forcément eu au programme scolaire en Flandre, petit pays qui fait partie de la Belgique. C’est justement leur manière d’aborder ce répertoire très classique pour nous, débarrassé de toute une pratique, de codes théâtraux et littéraires, avec en plus cet accent fort qui les fait hacher, dépecer les mots de Molière tout en leur donnant une saveur nouvelle, exotique, qui fait aujourd’hui le succès de leur entreprise. Dans des costumes de cirque, caleçons et tuniques dépenaillés, avec des manches pendantes et des baskets baroques, six comédiens, dont Jolente De Keersmaeker et Damian De Schrijver, fondateurs du collectif, se fondent dans les personnages emblématiques de L’Avare en déboulant avec une décontraction totale sur les planches qui sont à hauteur de regard des spectateurs qui les entourent.

Avec la complicité du public

© Kurt Van der Elst

Les STAN ne considèrent pas qu’un spectacle est achevé après les répétitions. Au contraire, le spectacle se travaille comme de l’argile au contact du public, par ce frottement qui autorise des ajustements et cet aspect expérimental. D’ailleurs, après chaque passage sur le plateau, ils descendent s’asseoir parmi les spectateurs d’où ils regardent avec nous leurs camarades jouer. Willy Thomas joue Harpagon, avec une sincérité et une innocence de grand enfant névrosé, perché sur des chaussures à talons de flamenco, en costume de séducteur décati, tandis que Jolente De Keersmaeker est Marianne, sa fille promise par lui à un vieux barbon. En nuisette et caleçon sexy, la comédienne décale totalement l’image de la jeune première qui devient une quadragénaire actuelle avide de liberté et de désir. Le fait que les comédiens n’aient pas du tout l’âge du rôle, comme Bert Haelvoet qui joue le fils malheureux d’Harpagon, obligé d’emprunter de l’argent pour s’habiller, n’a aucune importance car plus que le réel, c’est le décalage, la fantaisie, la marge de liberté que cette interprétation spontanée, physique, excessivement drôle, apportent au spectacle.

Mécanique implacable du rire

© Kurt Van der Elst

Et de là toutes les scènes principales de L’Avare s’enchaînent, rendant les dialogues plus absurdes, et en même temps terriblement humains car férocement critiques de nous-mêmes. Et la langue de Molière résiste, à l’accent flamand, au jeu débridé, farcesque, rabelaisien et outrancier de cette interprétation très personnelle à chaque acteur. On rit beaucoup d’ailleurs, autant que les enfants rient de leur ridicule de père qui ne frémit que pour sa cassette et crie sur tout le monde ! Dans la seconde partie, on passe au Bourgeois gentilhomme, interprété par Damian De Schrijver en grande forme, corps immense vêtu de blanc, la tête comme une lune garnie d’une longue barbe à la Tolstoï, prêt à tout pour s’élever à grand bruit au rang des nobles et à s’approcher de la cour. Il est impayable dans les apprentissages qu’il veut faire, des armes d’abord en maniant l’épée, des mots ensuite qu’il découvre par la phonétique. Ce qui n’a pas l’air de plaire à sa femme, jouée par l’explosive Els Dottermans, qui offre sa furieuse énergie à ce personnage d’adulte maternel. Ces scènes se prêtent magnifiquement à la farce, à la parodie et au grotesque et la simplicité de ce traitement séduit tous les publics. Passée cette introduction, la suite des scènes semble plus confuse et un peu longuette, mais sans doute le spectacle va naturellement gagner son rythme de croisière avec les représentations. Un spectacle joyeusement insolent et délibérément drôle et léger, ce qui fait du bien actuellement.

Hélène Kuttner 

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