“Un divan, des divas” : un regard original sur des icônes de la culture moderne
L’image des grandes figures de l’époque moderne est souvent associée, dans l’imaginaire collectif, à celle de l’extravagance, voire de la folie. C’est peut-être même ce qui les rend si admirables auprès du grand public. Mais cette excentricité présumée qui nous fascine n’est-elle qu’un voile pour légitimer aux yeux du monde le traitement exceptionnel qui leur est accordé, ou bien est-elle la trace d’un soubassement psychologique profondément troublé ? C’est à cette question que s’attaque le psychiatre Guy Maruani dans sa pièce de théâtre Un divan des divas, mise en scène par Marc Fayet et jouée au théâtre Petit Montparnasse depuis le 27 septembre dernier.
Le rideau s’ouvre sur un cabinet facilement identifiable comme celui d’un psychanalyste – un divan sur lequel est assoupi le thérapeute, joué par Marc Fayet, à sa droite un fauteuil, un bureau austère et à sa gauche, une chaise et une table basse. Derrière, accroché au mur, le classique portrait de Sigmund Freud. La voix off d’une secrétaire annonce l’arrivée du premier patient, dont on comprend assez rapidement, à travers de nombreux indices, qu’il s’agit de l’écrivain Franz Kafka. C’est en effet à travers un réalisme historique minutieux et documenté que l’auteur a choisi de mettre en scène ses personnages, si bien qu’il n’y a quasiment pas de phrase prononcée qui ne soit pas tirée des propos des célébrités dont ils s’inspirent. Ainsi Kafka, dès son entrée en scène, apparait comme un personnage troublé, incapable de rester en place, manifestement atteint d’une maladie grave lui causant une toux presque permanente (il était en effet atteint de tuberculose). Il est également extrêmement indécis, profondément angoissé et avec un manque patent de confiance en lui. L’écrivain évoque sa relation conflictuelle et sensible à son père, son rapport complexe à l’écriture, la brûlure de ses manuscrits, les problèmes qui entravent ses relations amoureuses, les troubles et les inquiétudes qui le hantent. Le verdict du psychanalyste tombe : notre auteur est un névrosé obsessionnel, d’où son indécision, ses obsessions et ses angoisses permanentes.
Un diagnostic élaboré et développé sera également proposé pour tous les personnages suivants : Jeanne d’Arc, Zorro, John Fitzgerald Kennedy, Marilyn Monroe ou encore Lady Di. Au réalisme historique se mêle donc un fantastique psychologique, mais aussi un comique de caractère qui emmène le spectateur d’un éclat de rire à l’autre. En effet, tous les traits psychologiques, et particulièrement les névroses, sont exagérés jusqu’au ridicule – l’agressivité de Jeanne d’Arc, l’excentricité de Kennedy, la coquetterie de Marilyn, etc.
Parmi les récits et les analyses qui nous sont exposés, on peut noter une différence de traitement en ce qui concerne les personnages masculins et féminins. Pour les premiers, les séances gravitent systématiquement autour de la relation problématique avec le père, vers laquelle le psychanalyste oriente à chaque fois sa lecture. Pour les personnages féminins, les séances sont davantage consacrées à la sexualité, qu’elle soit refoulée (Jeanne d’Arc) ou exacerbée (dans le cas de Marilyn et Diana).
Néanmoins le psychanalyste, seul personnage dont l’identité n’est pas révélée, comme pour flouter la barrière entre son rôle fictif et sa véritable personne, transgresse parfois les limites de son personnage pour adopter une perspective omnisciente sur ses patients. C’est le cas, de manière assez décevante, pour Jeanne d’Arc dont le récit de vie est davantage relaté par le psychanalyste que par la principale intéressée. En ce qui concerne Lady Diana, qui conclut la pièce, il revient sur l’histoire énigmatique de son décès, pour en proposer une hypothèse originale à partir de l’angle psychanalytique.
Le jeu des acteurs, qui pour Adrien Melin et Roxanne Bennett alternent entre trois personnages chacun, est mené avec brio. On passe d’un personnage à un autre, tous dotés de personnalités fortes et marquées, avec beaucoup de subtilité et de naturel. En somme, le spectacle, sans intrigue particulière et d’une grande sobriété, arrive néanmoins à nous séduire et maintenir notre intérêt jusqu’au bout. L’originalité et l’intelligence dont il fait preuve ne tombe pas, comme bien d’autres pièces, dans le piège de l’élitisme et reste accessible au grand public. Le choix et l’ordre des personnages nous laissent cependant perplexe. Est-il seulement légitime de parler de divas pour ce qui est de Jeanne d’Arc ou encore de Zorro ? Y a-t-il une logique, une quelconque cohérence, dans ces choix ou est-il simplement question de faire appel à notre imaginaire collectif ?
Un divan, des divas à retrouver au Petit Montparnasse jusqu’au 31 décembre 2022.
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