“La Reine des neiges, l’histoire oubliée” à la Comédie-Française
Souhaitant se démarquer du film à succès produit par Disney, Johanna Boyé et Elisabeth Ventura ont adapté pour la scène le conte de Hans Christian Andersen et retrouver «l’histoire oubliée ». La scénographie sophistiquée et le talent effervescent des comédiens, dont la jeune Léa Lopez dans le rôle de Gerda, nous impressionnent sans toutefois emporter pleinement notre émotion.
Un conte initiatique
Composée par Andersen en 1844, La Reine des Neiges est, à coté de La Petite Sirène, Le Vilain Petit Canard ou La Princesse sur le pois, un conte destiné à tous et pas seulement à un jeune public. Au cœur de cette histoire trône le Diable, qui, de très bonne humeur, décide de fabriquer un drôle de miroir, celui qui reflète une réalité déformée par le mal, en quelque sorte un miroir inversé par rapport au réel. Une gentille scène de famille, un paysage riant, un jardin en fleurs avec un couple d’amoureux seront aussitôt transformés en cauchemar, en rivalité, en catastrophe. C’est que le Diable est malin, pervers et méchant. Pourquoi laisserait-il Dieu et ses anges gouverner le cœur des hommes et des enfants, pétris de catéchisme et d’éducation chrétienne ? Le miroir maléfique passe de mains en mains, et finit par tomber en se brisant sur la Terre Et c’est ainsi que Kay, un jeune et modeste garçon qui s’amuse innocemment avec son amie Gerda au milieu de la rue qui sépare leurs deux maisons, reçoit un éclat de miroir dans l’œil, qui transformera soudainement son attitude envers Gerda et fera de lui un être taciturne, froid et distant, se lassant de tout sauf des suites mathématiques.
Des trolls écolo-diaboliques
Johanna Boyé et Elisabeth Ventura ont placé la magie diabolique dans des personnages de Trolls écolo-sorciers, petits êtres verts qui se mettent à défendre méchamment la Terre contre les envahisseurs humains. Ce sont eux, et non le Diable, qui s’amusent à éloigner le jeune garçon qui ira trouver refuge dans le château de la Reine de Neiges, figuré par un plateau blanc suspendu comme un nuage neigeux au dessus de la scène. Dans le blanc glacé de l’intelligence scientifique, la Reine enfermera son protégé loin de la fantaisie, de la chaleur des passions et des erreurs humaines, tandis que Gerda, devenue solitaire et désespérée, affrontera épreuves, créatures maléfiques et animaux curieux, avant de retrouver à la fin son ami. Une Magicienne, une vieille Brigande, un Prince Lunettes, mais aussi une Corneille et un Renne, ne lui épargneront rien de la vie en l’initiant à la dureté du réel, chemin initiatique de tous les héros avant de devenir adultes.
La vie est un songe
Inspiré de Calderón, mais aussi du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, le spectacle multiplie les références et les œillades, comme les chansons parodiant les comédies musicales de Jacques Demy et Michel Legrand. Et c’est peut-être le bémol d’une adaptation qui à force de vouloir trop signifier, multiplier les symboles, en perd aussi l’émotion toute simple du merveilleux. Léa Lopez, qui campe Gerda, Suliane Brahim en Reine de Neiges et Troll (en alternance avec Elisa Erka), Danièle Lebrun en Grand-mère, Jérôme Pouly en Corneille délicieuse, Julie Cavanna et Adrien Simon qui multiplient habilement les personnages, sont tous formidables. Leur composition est savoureuse et drôle. Mais on perd aussi le fil d’une histoire, certes complexe à la base, mais qu’on aurait souhaité plus accessible.
Hélène Kuttner
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