“Demain la revanche”, la nouvelle comédie noire de Sébastien Thiéry
Gaspard Proust enfile le jean d’un quadragénaire en manque d’amour pour réclamer à ses parents, en pleine nuit, Jean-Luc Moreau et Brigitte Catillon, un remboursement affectif. La nouvelle comédie grinçante signée Sébastien Thiéry est à découvrir dans une mise en scène de Ladislas Chollat avec des comédiens formidables.
Amnésie quand tu nous tiens
Quand on vit tranquillement près de la place des Ternes à Paris XVII°, dans un appartement cossu mais savamment décoré façon pop-art, avec des canapés aux courbes blanches et voluptueuses, entendre sonner à 4 heures du matin et voir débarquer un fils trempé et explosé de colère, avec un sac à dos rempli de pierres, on est en droit de s’inquiéter un peu. C’est ce qui arrive à ce couple de séniors en forme, Brigitte Catillon, la mère, éblouissante, et Jean-Luc Moreau le père, parfait dans la rancune sèche et le ressentiment amer. Que vient faire leur fils, Gaspard Proust, en pleine nuit avec ce sac alors qu’il habite en banlieue avec sa compagne ? Pourquoi est-il trempé alors qu’il ne pleut pas ? Et d’où vient cette colère dévastatrice qu’il adresse à son paternel, pharmacien, surpris de le voir à cette heure dans cet état ? Est-on dans le réel ou dans la folie ?
L’étrangeté d’une écriture au scalpel
Comme toujours dans l’écriture de Sébastien Thiéry, une banale situation vire rapidement au fantastique, et le cauchemar efface vite un présent que l’on pensait paisible. Car ce fils de quarante ans, qui n’habite plus depuis longtemps chez ses parents, réclame sa chambre, son bureau, ses doudous. Il ne se souvient de rien, et se prend pour un garçon qui retourne à l’école, avec ses souvenirs de gamin. L’amnésie du fils percute le couple de parents qui s’en vont trouver conseil chez le parrain cardiologue. Rien n’y fait, le malaise s’installe, avec la culpabilité qui nait chez ces parents qui ne paraissent rien se reprocher. Et pourtant, leur grand gamin ressorti des eaux de l’enfance vient leur demander des comptes, monnayer une dette, lui qui rêve encore de traverser l’Océan sur un grand voilier.
Acteurs en or et mise en scène au cordeau
L’auteur creuse où cela fait mal, faisant ressurgir les hypocrisies conjugales et les faux-semblants de parents qui veulent à tout prix la réussite de leurs enfants, qui en paieront ensuite le prix. La volonté de réussir, l’esprit de conquête et de sécurité matérielle, l’identification aux modèles sociaux, Sébastien Thiéry les met en boite avec un humour et une ironie vachardes. Gaspard Proust, revanchard et fielleux, contient tout de cette rage amère, celle qui habite ceux qui ont perdu leurs rêves. Jean-Luc Moreau campe ce pharmacien déjà mûr avec une bonhomie faussement naïve, une candeur qui met son épouse, Brigitte Catillon, sur les chardons ardents. C’est d’ailleurs elle le chef d’orchestre de cette situation ubuesque, d’une maîtrise dramatique impressionnante. Ladislas Chollat met en scène ce trio avec finesse et une précision chirurgicale qui nous fait naviguer entre le rire et l’angoisse, de quoi faire durer le suspense. C’est épatant.
Hélène Kuttner
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