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“Votre Maman” : une pièce choc de Jean-Claude Grumberg

Hélène Kuttner 30 octobre 2022
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© Jean-Luc Drion

Au Studio Hébertot, la metteure en scène Wally V. Bajeux monte avec délicatesse une fable poétique et tragique retraçant la relation d’un fils et d’une mère placée dans une maison médicalisée, avec comme arbitre de jeu un directeur d’institution totalement dépassé. Un texte de l’auteur Jean-Claude Grumberg sur les errances et fantaisies de la mémoire, entre anecdotes grivoises et mémoire paradoxale de la Shoah. Bouleversant.

Coups de parapluie

Comme souvent, la visite à une maman âgée, sans doute touchée par la maladie d’Alzheimer, est un exercice compliqué. Le fils, un quadragénaire bienveillant et enjoué qui vient quotidiennement visiter sa mère placée en EPHAD, doit en plus affronter la présence coercitive d’un directeur ridicule de suffisance et de bêtise, qui lui assène que sa “maman” frappe sa voisine avec un manche de parapluie parce que cette dernière est venue lui “emprunter” sa cabine de toilette. Ce que la mère dément forcément, défendant son pré carré et son espace vital avec la plus grande vigueur. Cette scène, écrite avec le fiel poivré et la fantaisie désopilante de Jean-Claude Grumberg, raconte en quelques répliques la tragédie de notre époque, avec des parents qui survivent difficilement, des soignants débordés, des espaces de vie de plus en plus insuffisants et un temps dédié aux personnes âgées qui se réduit comme peau de chagrin dans un monde aphasique et compressé par le digital.

Acteurs magnifiques

© Jean-Luc Drion

La mise en scène de Wally V. Bajeux invite les comédiens dans un espace subtilement séparé en deux par un rideau de voile opaque, figurant ainsi l’endroit et l’envers du décor, la mémoire superficielle et la mémoire profonde. Jardin et chambre sont donc interchangeables, comme conscience et inconscience, et ce qui est dit ou tu se révèle avec l’image des comédiens et leurs ombres chinoises qui se dessinent derrière le rideau. Colette Louvois incarne cette “maman” ancestrale, porteuse de la mémoire de la déportation et des camps de Pologne, avec une vitalité, un humour et une ironie dramatique tout à fait remarquables. Assise dans son fauteuil, qu’elle a « piqué » à un autre pensionnaire, c’est elle qui mène le bal, orchestre les conversations avec son tempérament de gamine revenue de tout, ridiculisant la pompe du directeur ou se lovant dans les bras de son fils comme un gros chat. 

Larguer les amarres du présent

Coupable de mémoriser trop de souvenirs, porteuse d’une mémoire transgénérationnelle qui dérange une société trop préoccupée par son présent, cette “maman” disruptive va soudain décider de larguer les amarres, du temps et de l’espace. Marc F. Duret qui joue le fils, avec une tendresse et une maladresse de clown triste, Jean-Paul Comart qui campe le directeur sur de lui et toujours impuissant, n’ont qu’à bien se tenir. La « Maman » météorite les traversera tous deux, comme elle nous bouleversera par son tempérament comique et poétique. Ses paroles sont celles de l’enfance et ce sont les plus justes. Elles évoquent le jeu, l’amour et la survie. Elles sonnent, sous la plume de l’auteur, comme des vérités essentielles à réécouter aujourd’hui.

Hélène Kuttner

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