“Jogging” : une course salutaire vers la lumière de Hanane Hajj Ali
Comédienne, autrice et activiste culturelle, Hanane Hajj Ali est une artiste majeure de la scène libanaise qui se produit sur toutes les scènes du monde pour briser les tabous et libérer la parole des femmes par la démocratisation de la culture au Liban. La performance qu’elle propose au Festival d’Avignon, dirigée artistiquement par Eric Deniaud, est un formidable geste libératoire qu’elle assure physiquement avec une maîtrise parfaite. Un moment d’exception.
Hanane Hajj Ali vit et travaille à Beyrouth. Elle a vu son pays déchiré par des guerres incessantes, terrassé aujourd’hui par une crise économique qui prive les foyers de ressources et d’électricité, et le port de Beyrouth détruit à moitié en 2020 par une explosion sidérante qui était prévisible. Que faire en tant qu’artiste en ces temps de détresse quand on a la culture et la liberté d’expression chevillée au corps et au cœur ? C’est par le biais de son jogging matinal que la comédienne, voyant sa ville dévastée, décide d’écrire son spectacle. Et c’est exactement ce qu’elle nous raconte, la tête voilée et le corps gainé dans un vêtement de sport noir, en s’échauffant et pratiquant des étirements de yoga, sur le plateau, dans une simplicité et une intimité surprenante. Comment elle s’extrait de son appartement et de la pression familiale, et quelle manière le personnage de Médée soudain lui apparaît, travaillé par la violence de la domination masculine. La lumière de la salle éclaire le public à qui elle s’adresse, en demandant à un spectateur de monter sur scène.
Et c’est Yvonne qui lui apparaît en rêve, cette femme qui décida de tuer ses trois enfants avant de mettre fin à ses jours, scène filmée et mise en scène dans une vidéo qu’elle envoya à son mari volage qui batifolait dans les émirats du Golfe. Puis, c’est Zahra, jeune femme également abandonnée par un mari religieux, qui élève ses trois garçons dans la perspective fanatique de mourir en martyrs. Le troisième garçon refuse ce sort et raconte les horribles exactions qu’il doit subir par une dernière lettre, poignante, envoyée à sa mère où il dit renier son pays.
Avec une intensité de jeu impressionnante, mais sans aucun pathos, armée de beaucoup d’humour et de malice, l’artiste mêle sa propre vie à celle des millions de femmes de son pays dont elle fait émerger, de manière enfantine, les plus grandes figures mythiques. Vie et mort, comédie et tragédie, sexualité et religion cohabitent sur le plateau grâce à la vitalité et l’intelligence d’une grande artiste dont le texte, en arabe sur-titré ou en français, est éminemment poétique. Merci Hanane !
Hélène Kuttner
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