“Le Nid de cendres” : une création épique et joyeuse
Après celles d’Olivier Py, dont il s’inspire, Simon Falguières, 33 ans, réunit dix-sept comédiens pour une épopée de treize heures que le public conquis déguste en sept étapes sous formes de chants, pour raconter la réunion de notre monde coupé en deux. Un voyage étoilé, dont le brio des comédiens et des images fait oublier les quelques faiblesses d’un texte en forme d’ode au théâtre et au réenchantement du monde.
Une histoire en forme de marmite à confiture
Dans la marmite de Simon Falguière, il y a des fruits, des pommes normandes dont les cuisinières et les cuisiniers vont reconstituer les moitiés flottantes dans l’eau mousseuse, comme les deux hémisphères de notre monde au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Le spectacle débute justement par une scène d’attentat dans un hôpital dévasté ou un jeune couple attend pour faire naître leur premier enfant. C’est Gabriel, prénom d’ange, qui va naître dans le mauvais hémisphère sous la houlette vénéneuse de Monsieur Badile/Le Diable, interprété par le fulgurant Mathias Zakhar. Dans l’autre hémisphère, nous sommes au royaume du conte fantastique, avec un vieux Roi ridicule qui ressemble à Lear, campé par le magnifique comédien John Arnold. Sa femme, éternellement souffrante et dépressive, accouche avec beaucoup d’efforts d’une fille, Anne, dont l’héroïque destinée sera de rejoindre le beau Gabriel pour remettre notre univers d’aplomb. Mathilde Charbonneaux donne à ce personnage de reine une phénoménale puissance burlesque et la mise en scène déroule des moments de grâce théâtrale dans des lumières sidérantes et une scénographie hyper-mobile d’Emmanuel Clolus.
Une épopée d’acteurs
C’est dans la classe libre du Cours Florent que le projet du spectacle est né il y a sept ans. Une bande de comédiens inspirés forme une petite troupe autour de leur chef Simon Falguières pour inventer cette histoire à tiroirs qui convoque Molière bien sûr, puisque le Roi se nomme Argan (Le Malade imaginaire) mais aussi Shakespeare pour La Tempête et Hamlet, Sophocle avec Œdipe et Antigone ou Homère pour L’Odyssée. Ce sont ces phares qui guident cette création qui figure un peuple d’incendiaires dans un monde malade et recouvert de cendres, des révoltes populaires en lutte contre les cols blancs du pouvoir, mais aussi des parenthèses énigmatiques et bleutées dans des donjons hantés où se nouent de belles histoires d’amour. Les Bonnets Rouges bretons font face à la mélodie symboliste de Mæterlinck, le monde d’en bas, terrassé par la violence et les inégalités, au monde d’en haut, celui du romantisme héroïque. Occupant l’espace de manière ingénieuse, avec des artistes qui sont pour certains musiciens, les jeunes comédiens insufflent au spectacle une énergie vitale impressionnante et alternent scènes de réalisme et burlesque avéré, avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision.
Digressions contemporaines
L’auteur distord les deux réalités pour « mettre à l’horizontale » notre monde, jouant sur tous les niveaux de jeu et de poétique, en variant les espaces et le temps. La révolte des femmes, la lutte entre le Bien, joué à la manière d’un comptable par l’auteur lui-même et le Mal, l’apparition d’un Maître du temps qui est aussi pianiste (caustique Charly Fournier), la diseuse de bonne aventure qui se prend pour François Hollande en ridiculisant sa litanie oratoire du « Moi Président », l’utopie de la Maison de théâtre ambulante dont les comédiens généreux adoptent l’enfant abandonné, Gabriel. Le désir amoureux, la passion, l’envie, la rivalité entre un père et son fils, la soif de justice et d’équité, le souffle mystique de la Bible et la présence de l’au-delà, tous les sentiments humains traversent ces épisodes qui sont rythmés, selon la densité du texte, plus ou moins efficacement. A d’excellentes scènes succèdent des moments plus faibles, mais c’est un peu le principe de ces longues sagas fantasques. Les formidables jeunes acteurs parviennent à nous prendre par le main et le coeur, comme Camille Constantin Da Silva à la présence voluptueuse de conteuse, Victoire Goupil solide et bavarde nourrice au nom d’Œrine (mélange d’Œnone et de Dorine), Pia Lagrange qui joue la brûlante et forte Anne ou Anne Duverneuil, ardente et belle Sophie. Tous irradient d’une énergie généreuse et portent cette création de la plus belle des manières, celle d’un art qui vibre aujourd’hui d’une créative jeunesse.
Hélène Kuttner
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