“Le Square” et “Savannah Bay”, un diptyque Duras poignant
©Patricia Quentin
Le premier et le dernier texte dramatique de Marguerite Duras sont présentés une une seule soirée au Lavoir Moderne Parisien dans une mise en scène de Gérard Elbaz. Une occasion de redécouvrir ces deux pépites théâtrales grâce à deux comédiens lumineux, Martine Thinières et Stéphane Valensi.
Dans Le Square, édité sous forme romanesque en 1955 par Gallimard, Marguerite Duras fait dialoguer une jeune femme et un homme plus âgé dans un jardin public au milieu d’enfants insouciants. Le texte est une véritable merveille d’élégance stylistique et de nuances imagées qui navigue entre plusieurs strates, l’intime et le social, le métaphysique et le politique, mené comme une banale conversation sur un banc ensoleillé. Elle, incarnée par Martine Thinières saisissante de spontanéité en chemisier blanc et jupe bleue marine, est domestique dans une grande famille et rêve de se marier et d’acquérir un réfrigérateur. Son quotidien est répétitif, contraignant, mais elle se réserve naïvement le bonheur d’aller au bal de La Croix-Nivert tous les samedi soir en dansant avec des inconnus, sans pour l’heure avoir rencontré son futur époux. Timide et polie, concrète et responsable, elle semble ne pas assez se faire confiance pour oser partir en vacances ou s’accorder une autre liberté. Suspendue à cette issue conjugale qui la libérera de son esclavage, elle semble se consummer à petit feu mais profite de l’éclat du soleil de cette conversation avec un inconnu.
Lui, au contraire, est un voyageur de commerce qui ne s’attache nulle part mais rêve d’une ville au Sud de la France où un parc zoologique le séduisait au soleil couchant avec des lions majestueux. Stéphane Valensi campe ce personnage rêveur et mystérieux avec une profondeur désarmante, d’autant que le metteur en scène a installé ses deux acteurs de chaque coté de la scène sans qu’ils ne puissent échanger de regard. L’homme se révèle, il n’a ni femme ni enfant, mais pousse sa voisine à changer de métier, à partager son rêve d’un autre horizon, d’une autre ville, d’un autre climat. Avec sa valise, il tente de faire s’envoler la jeune femme, de l’extraire de la grande maison qu’elle doit entretenir quotidiennement. Elle lui propose de danser avec elle un samedi soir.
Deux solitudes
Les deux acteurs sont dans leur bulle de lumière, comme dans un rêve. Le dialogue avance à petits pas, révélant la solitude humaine à la manière d’un Samuel Beckett, la condition sociale comme le ferait Jean Genet dans Les Bonnes, mais aussi la grâce poétique d’un imaginaire libéré de tout et magnifié par Marguerite Duras. Cette grâce du texte, qui plonge dans le conscient et l’inconscient de chaque spectateur, est ici formidablement offerte dans le respect de chaque mot par les acteurs.
Dans le second spectacle, Savannah Bay, deux femmes se questionnent sur le suicide d’une adolescente enceinte dans cette petite ville du Siam. Une jeune femme interroge la mère de la jeune disparue, une comédienne âgée qui peine à se remémorer l’histoire d’amour entre sa fille et un jeune homme inconnu. La mort, l’amour, l’oubli, la quête des lieux et des affects, autant de thèmes chers à l’auteur viennent nourrir ce dialogue que les deux comédiens, droits comme des fantômes mais vibrant de désir, offrent au public. “Il n’y a sans doute rien de plus difficile que de décrire un amour. Pourquoi c’est difficile ? Parce que l’amour, c’est la monnaie courante de toutes les œuvres, culturelles, musicales, picturales, romanesques, philosophales et tout. Il n’y a rien de moins cernable, c’est la banalité inépuisable, inépuisée. Je crois que, jusqu’à son dernier soupir, l’humanité se nourrira de ça, du conte amoureux. Et c’est là, dans sa plus grande banalité qu’elle est au mieux de l’égalité, au plus près de l’égalité dans son passage à la mort et dans son silence.” écrivait l’auteur en 1983 répondant au journaliste Gilles Costaz.
Une banalité de sentiments magnifiée ici par la passion des mots, livrée avec splendeur par les comédiens.
Hélène Kuttner
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