Malick Sidibé : photographe des années folles de Bamako
Dans les années 1960 et 1970, Malick Sidibé capture des moments de fête et de gaieté chez les jeunes de Bamako. Instants d’euphorie, danses endiablées ou moments de sensualité, c’est tout le monde de la nuit et de la libération de la jeunesse qui défile sous son objectif.
Né en 1936 à Soloba, au Mali, Malick Sidibé est remarqué très jeune pour ses talents de dessinateur, qualité qui lui permettra de suivre les cours de l’école des artisans soudanais, devenu par la suite l’Institut national des arts de Bamako. À l’âge de 19 ans, il intègre le studio “Photo service” de Gérard Guillat-Guignard (dit “Gégé la Pellicule”) avec qui il apprend la photographie. Quelques années plus tard, Malick Sidibé entreprend d’ouvrir son propre studio à Bamako dans le quartier populaire de Bagadadji où il exercera jusqu’à sa mort en 2016. À son apogée, le studio Malick devient un lieu incontournable des jeunes de Bamako.
D’une part photographe reporter, documentant la jeunesse dans ses lieux de fête, et d’autre part photographe studio saisissant des portraits dans des mises en scènes insolites, Sidibé témoigne dans son œuvre de la vie culturelle et sociale de la capitale, en pleine effervescence depuis l’Indépendance. La nuit, le photographe parcourt la capitale pour couvrir des évènements festifs : surprises-parties, clubs de danse et mariages. Parfois ces festivités ont lieu au bord du fleuve Niger et durent jusqu’à l’aube.
Le jour, Malick Sidibé travaille dans son studio et réalise des portraits incongrus, il oriente les corps de ses modèles, choisissant leurs positions, les vêtements et accessoires qu’ils portent. Les images de Sidibé permettent de brosser le portrait d’une jeunesse branchée en évoquant la liberté et la joie de vivre.
Si l’œuvre de Sidibé transmet de vrais élans de joie et de lâcher prise, elle est aussi le témoin fort d’une société en plein mouvement. En effet, en 1960 le Mali devient un pays indépendant, une période pleine d’espoir qui est célébrée, bien que le pays soit gouverné par un parti unique conservateur. Fortement influencés par la culture occidentale, notamment par le cinéma, les disques vinyles et les magazines, Salut les copains ou Elle, les jeunes urbains réinventent les styles vestimentaires, les esthétiques, les danses et la musique venus “du Nord”. Les mouvements twist, hippie, rock et pop sont revisités par la jeunesse bamakoise, certains groupes empruntent le nom de leurs idoles : Les Spoutniks, Les Chats sauvages ou encore The Beatles. Robes courtes, pantalons pattes d’eph’, chemises serrées et coupes de cheveux imitant celles de James Brown ou Betty Davis deviennent les indispensables des looks branchés et affirment la réappropriation des codes culturels occidentaux.
Une libération de la jeunesse tolérée mais tout de même peu appréciée des autorités et du parti unique de l’Union soudanaise sous la présidence de Modibo Keïta. Les pratiques culturelles des jeunes Bamakois photographiées par Malick Sidibé peuvent être interprétées comme une attitude quasi politique, non pas la sous la forme d’une confrontation directe au gouvernement, mais se dessinant plutôt dans un contournement des ambitions politiques de l’époque et les codes sociaux qui en découlent. Capturant des moments de poésie, saisissant les rythmes et les pas de twist, les images de Sidibé résonnent d’autant plus en symboles de liberté affirmée.
Malick Sidibé, pourtant tardivement reconnu en Europe, est ainsi un acteur majeur de la photographie africaine. Il réussit à capter l’essence du mouvement et l’état d’âme de toute une génération. Plus qu’un témoignage historique, son œuvre se fait miroir d’une jeunesse pleine d’espoir et de moments de joie pure.
Avec Omar Victor Diop, Seydou Keita et Samuel Fosso, Malick Sidibé est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands maîtres de la photographie africaine contemporaine.
Marine Dorandeu
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