Romain Daroles relève le défi de “Phèdre !” au Théâtre de la Bastille
Ce fut la révélation du Festival d’Avignon 2019 : une jeune acteur à l’accent ensoleillé nous invitait à revisiter avec un humour potache et érudit la plus célèbre des tragédies de Racine, Phèdre. En jean et en baskets, armé d’un sourire désarmant et d’un tempérament comique affirmé, il se lançait dans une conférence mi-savante mi-cocasse, citant Barthes et la mythologie, les règles de l’alexandrin coupé à l’hémistiche ou celle du « e « muet, tout en jouant tous les personnages à la manière de Bourvil, de Buster Keaton ou en chantant Claude François. Ce petit bijou signé François Gremaud est présenté au Théâtre de la Bastille à Paris. Nous l’avions rencontré lors du Festival d’Avignon.
À vous entendre dans ce spectacle en forme de conférence, on a l’impression qu’il a été écrit pour vous, comme si vous enfiliez un costume cousu sur mesure. Comment êtes-vous entré dans ce projet ?
François Gremaud était tuteur de mon projet de fin d’étude à la Manufacture de Lausanne, qui était déjà une conférence. La première version durait 4 heures, et on a beaucoup retravaillé pour rendre ce texte vivant, avec cet effet d’immédiateté. C’est très important pour moi. C’est un texte taillé sur mesure mais avec les coutures assez larges pour pouvoir inventer chaque jour. Le texte que nous donnons sous forme de livre au public est la deuxième version. Mais le processus de création est un « work in progress » qui évolue aussi selon les représentations et la réception du public. C’est un travail d’orfèvrerie.
Quand vous apparaissez sur scène, on voit d’abord un acteur comique.
C’est ce qu’on me dit ! C’est vrai que j’ai un tempérament plutôt joyeux, avec un visage et une gestuelle très mobiles. Mais on a voulu éviter la dichotomie comique/tragique. C’est une sorte de Janus : le tragique apparaît derrière le comique, là on on ne l’attendait pas. J’espère que le tragique n’en ressort que davantage.
Etes-vous au départ passionné par Phèdre ?
Oui. Il y a une totale connivence entre François Gremaud et moi sur la question de l’oeuvre. En même temps, pour un comédien, il y a toujours un mélange de fascination et de peur face à la tragédie classique en alexandrins. Se coltiner Phèdre en solo est quand même un défi quand on est jeune. Claude François, Bourvil, font partie de mes « vieilles » références qui font un peu « patronage » mais qui me correspondent. Après, pour faire écho à une troupe que j’aime bien, les Tg.Stan, je ne suis pas en train d’incarner Phèdre ou les personnages de la pièce, je suis toujours en citation de ce qui est écrit. Je suis Romain qui joue Phèdre, tout comme Oenone, Thésée ou Panope. Cette distance me permet d’être moi-même, avec mon accent.
Justement, quel a été votre chemin pour devenir comédien ? De la Gascogne à Lausanne en Suisse ?
Après une jeunesse dans le Sud-Ouest, je suis passé par Nîmes où j’ai suivi une classe préparatoire littéraire, après un bac scientifique. Puis le Conservatoire du VIe arrondissement à Paris en théâtre dans la classe de Bernadette Le Saché, en même temps que je poursuivais des études de lettre à la Sorbonne. Quand j’ai passé les concours, c’est à la Manufacture, Haute Ecole des Arts de la Scène à Lausanne, que je me suis senti le plus libre de poursuivre mon cursus professionnel. J’avais besoin de m’éloigner de Paris. À Lausanne, tout est possible. Les Suisses romands ont fait de leur faiblesse une force. Pendant longtemps, ils ont copié le théâtre français et son histoire. Depuis l’émergence de la transversalité des disciplines, l’ère René Gonzales, les artistes suisses se sont approprié leur histoire et un vivier de créateurs a émergé. Les comédiens peuvent créer des projets, comme je l’ai fait avec Vita Nova que j’ai créée la-bas. Je n’aurai pas pu le réaliser à Paris où on est soit acteur, soit metteur en scène, soit chorégraphe.
Ce projet était au départ destiné à un public scolaire ?
Oui. Nous avons d’abord joué ce spectacle devant des classes, dans des lycées, car au collège c’est trop complexe. Se retrouver devant des élèves qui s’attendent à s’ennuyer dans une conférence sur Phèdre, c’était un défi que nous avons relevé. Sans rien brader, pas une syllabe des alexandrins de Racine ! Ils sont venus me voir à la fin, pour me dire “C’est trop beau ! On ne s’attendait pas à cela, on va le prendre à l’examen !” On y a seulement mis du jeu, de la passion, de la pédagogie, pour les réconcilier avec la littérature. Quelque chose est passé. Je me suis aussi inspiré de mes professeurs, Patrick Dandrey, merveilleux enseignant de la Sorbonne, qui m’avait révélé l’alexandrin qui arrive au milieu de la pièce. C’est aussi un hommage à nos professeurs. Sans place le livre sur ma tête comme je le fais, les enseignants viennent souvent nous voir !
Propos recueillis par Hélène Kuttner
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