Mélanie Charvy : “Le but c’est d’amener un échange plus citoyen de discussions”
C’est en 2013 que la compagnie Les Entichés voit le jour. Créée à l’initiative de Mélanie Charvy, cette compagnie défend une vision du théâtre bien à elle ! Les codirectrices Mélanie et Millie ainsi que les comédiens et comédiennes qui les accompagnent se sont donné pour mission de rendre visible des sujets de sociétés dans lesquels le spectateur est à la fois sujet et public.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de votre théâtre et de votre processus de création ?
J’ai démarré dans le droit social dans le cadre de mes études et lors d’un stage je me suis rendue compte que je ne voulais pas du tout travailler dans ce milieu. En réalité, j’avais envie de faire du théâtre. De la création aux répétitions en passant par le contact avec ma famille de théâtre, tous ces aspects me plaisent dans ce que je fais. Surtout le processus de création qui est un travail d’enquête.
Il y a vraiment un travail de terrain et de documentation en amont de l’écriture de mes pièces. Pour faire cette “écriture du réel”, je me sers beaucoup de la sociologie qui est pour moi une observation de la société et du monde, de comment il se construit. Cela dit, mon intention n’est pas de faire de l’explication aux spectateurs mais de mettre en question un sujet sur scène par le médium de la fiction.
Quels objectifs poursuivez-vous à travers cette démarche ?
Bien au-delà de proposer un beau moment de théâtre avec une belle mise en scène et de bons comédiens, ce qui m’intéresse davantage c’est de pouvoir échanger au-delà de l’aspect strictement théâtral ou artistique. Le but c’est d’amener un échange plus citoyen de discussions, de réflexions, de dépassement des préjugés. C’est notamment pour ça qu’à chaque fin de spectacle on propose un moment d’échange avec le public.
Échos Ruraux par exemple est un spectacle extrêmement politique. Il s’achève quand même sur “Votons Front National”. C’est une pièce qui n’essaie pas d’expliquer mais amène à se questionner sur le vote RN en milieu rural : pourquoi les habitants de milieux ruraux tendent vers un vote d’extrême droite alors qu’ils ne sont pas nécessairement confrontés à l’immigration ou aux clichés du RN. Ce qui est intéressant c’est d’essayer de comprendre les liens entre ruralité et le RN.
Dans cette même idée d’échange, je pense que le débat est nécessaire. On a joué Échos
Ruraux devant des publics qui votent RN. Ça a ouvert un débat et on s’est rendu compte que c’était précisément ce qui manquait : le débat. Les citoyen.ne.s sont en manque de politique. On est dans une pauvreté du débat aujourd’hui et du fait d’avoir parcouru la France entière avec cette pièce, on s’est également rendu compte à quel point une majorité de Français.es ont le sentiment de ne pas être représenté.e.s.
Pour en revenir à votre question, mon but n’est pas de convaincre mais simplement
d’amener la réflexion, la prise en compte d’autres points de vue, de montrer qu’il est
possible de réfléchir autrement.
Et dans cette démarche d’amener le débat via le théâtre politique, rencontrez-vous certaines difficultés ?
Le théâtre politique peut faire peur à certains lieux et pour moi la problématique majeure c’est le manque de financement. Il n’y a pas assez d’argent qui est mis dans la culture aujourd’hui, les budgets sont extrêmement faibles. Et ce manque de financement est encore plus présent dans le cas du théâtre politique. Même s’il n’y a pas de parti pris, qu’on ne dicte pas aux gens ce qu’ils doivent penser, on a été confrontés à des directeurs de théâtre qui pensent “ce n’est pas pour mon public”. On s’est heurtés ces dernières années à des déprogrammations d’Échos Ruraux. Ce qui peut s’expliquer par la prise de contrôle des politiques sur les structures culturelles. Les élus locaux ou régionaux reprennent la main sur la programmation de leur théâtres municipaux ou gérés par l’agglomération.
Après, à côté de ça, il y a des scènes qui font tout l’inverse, qui vont s’engager mais qui n’auront jamais les moyens de faire plus d’une représentation. À part les centres dramatiques nationaux, les lieux qui ont la possibilité d’acheter plus d’une ou deux dates sont très rares.
Si l’on reprend le propos de certains directeurs de théâtre : “Ce n’est pas mon
public”, quel est le vôtre ?
La question du “pour qui” faisons-nous du théâtre est omniprésente.
Si vous allez dans un théâtre public, observez autour de vous, et regardez la moyenne d’âge et la couleur de peau des spectateur.ice.s. C’est très schématique mais ça vous dit beaucoup sur qui va au théâtre. Nos spectacles sont justement destinés à ceux qui n’y vont pas. On ne décide pas de qui se rend à nos représentations mais on trouve de petits subterfuges pour faire en sorte que le public soit un petit peu plus mixte socialement. Par exemple avec les thématiques choisies comme l’éducation prioritaire, qui va davantage intéresser les scolaires. Dans nos modes de diffusion, on essaie de faire entendre aux lieux, aux directeurs et aux chargé.e.s des relations avec le public que nous sommes partants pour aller chercher le public, de les amener au théâtre.
Propos recueillis par Juliette Boudet, Clémentine Desmoineaux, Salomé Hincelin, Orane Nony, Victoria Sebastian et Thelma O’Gryzek
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