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Dom Juan, Molière et Lully entre soleil et lune à la Comédie-Française

Hélène Kuttner 5 février 2022
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© Vincent Pontet

Pour célébrer les 400 ans de la naissance de l’auteur, Eric Ruf, administrateur de la troupe de la Comédie-Française, a demandé au metteur en scène Emmanuel Daumas un Dom Juan sur tréteaux et au jeune pensionnaire Yoann Gasiorowski un impromptu musical autour de la relation de Molière et de Lully. Sans décor ni micros, les deux spectacles affichent leur part d’ombre pour le Dom Juan et de lumière pour D’où rayonne la nuit, preuve que le génie de l’auteur résiste à tous les traitements.

Dom Juan 

© Christophe Raynaud de Lage coll. CF

L’espace découpe le public en deux masses qui se font face, autour d’une table renversée dont les quatre pieds renversés figurent des piquets, comme un ring de boxe. Pas de décor ni de micros, mais les coiffeuses et vêtements des comédiens longent l’espace de la scène. Laurent Lafitte campe Dom Juan, Stéphane Varupenne est Sganarelle, Jennifer Decker, Alexandre Pavloff et Adrien Simion les autres personnages alternativement, paysans, Commandeur, Gusman, Charlotte, Mathurine et Elvire. Exit les toiles peintes, les statues d’église et la forêt mystérieuse où fuient Dom Juan et Sganarelle, poursuivis par le frère d’Elvire pour avoir tué leur père. Le Dom Juan de Laurent Lafitte, tout de noir vêtu, ne s’attarde jamais, et c’est tout juste s’il prend quelque plaisir à séduire une jeune paysanne. Son valet, truculent et raisonneur, semble cette fois l’ombre de son maître, un serial séducteur revenu de tout et prêt à se jeter dans les flammes de l’enfer. Pourquoi alors faire jouer Gusman par Alexandre Pavloff déguisé en nonne hystérique en train de fumer du tabac ? Jennifer Decker est une Elvire fragile et touchante en jean effilé et débardeur blanc, mais quand elle revient en Charlotte flanquée d’une Mathurine travestie et grimée, s’accrochant aux basques de Dom Juan comme pour en soutirer de l’argent, la scène vire plus à la rivalité de deux prostituées qu’à la fascination de deux paysannes pour un gentilhomme qui leur a promis le mariage, et qui peut les propulser, comme par magie, dans un monde supérieur. Seul le Pierrot d’Adrien Simion, authentique et juste, rappelle ici le déchirement d’un paysan trompé et maltraité par un noble. Du coup, en figeant la trajectoire d’un personnage univoque qui ne se retourne sur rien, et en rendant grotesques tous les autres personnages, dont son père, le spectacle d’Emmanuel Daumas simplifie le propos de la pièce et nous prive de toute interrogation, de toute empathie. Restent le talent des comédiens, et la force unique du texte.

D’où rayonne la nuit

© Vincent Pontet

Cet oxymore extrait des Contemplations de Victor Hugo illustre bien, selon l’acteur et metteur en scène Yoann Gasiorowski, les turbulences contrastées des dix dernières années de la relation entre Molière et son compositeur ami, Jean-Baptiste Lully. Des Fâcheux au Mariage forcé, de Georges Dandin au Bourgeois Gentilhomme pour finir par Psyché en 1670, les deux Jean-Baptiste, Poquelin et Lully réunis par leur monarque protecteur Louis XIV, ne se quittent plus et ne cessent de mettre leur travail encore commun. Jusqu’à la brouille qui fit de Lully le seul détenteur du monopole qui lui permettait de jouer seul avec orchestre et dans tous les théâtres. La judicieuse idée du jeune auteur et metteur en scène a été de réunir sous la forme d’un cabaret joyeux six comédiens et quatre musiciens baroques, jouant en alternance de la basse de violon, du théorbe et de la guitare, pour raconter entre impromptu fantaisiste et récit pédagogique la relation entre les deux artistes. Un décor fait de bric et de broc, une armoire emplis de masques et de perruques frisées, un banc, une table, et une bande de comédiens d’âge divers, chevronnés comme Elsa Lepoivre, Serge Bagdassarian ou fraîchement arrivés comme Birane Ba, burlesque Roi Soleil, Elissa Alloula, formidable Lully, ou Claïna Clavaron qui joue la jeune Armande Béjart. Sous la direction musicale du spécialiste Vincent Leterme, ils sont tous joyeusement engagés dans cette promenade culturelle qui fait des sauts de swing dans notre époque, avec des digressions faussement improvisées du metteur en scène qui nous parle comme avec des amis. « Ne songeons qu’à nous réjouir, le grande affaire est le plaisir » écrit Molière sur un air de Lully. Ce spectacle en est le reflet heureux.

Hélène Kuttner

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