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“Les Noces de Figaro” à Garnier : une véritable fête de la musique et des sens

Hélène Kuttner 23 janvier 2022
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©Vincent PONTET

L’Anglaise Netia Jones, metteur en scène et conceptrice vidéo dans le domaine de l’opéra, s’attaque au chef-d’œuvre de Mozart avec une belle distribution en compagnie du chef d’orchestre Gustavo Dudamel, nouveau directeur musical de l’Opéra de Paris. Le résultat est une véritable fête de la musique et du théâtre, d’une clarté joyeuse et d’une belle vitalité.

Un compte à rebours en ouverture

© Vincent Pontet

On a tout dit, tout écrit sur cette œuvre dont le livret, signé du tout nouveau collaborateur de Mozart, Da Ponte, s’inspire directement du Mariage de Figaro de Beaumarchais qui fut censuré par le pouvoir et dut attendre 6 années de lutte avant d’être jouée en 1784. Deux ans plus tard, Mozart et Da Ponte doivent adoucir le propos révolutionnaire, qui fait de Figaro un révolté, pour plaire à Joseph II en concentrant l’action sur l’évolution de l’intrigue amoureuse, qui n’en est pas moins subversive. Car ce que l’on voit à l’oeuvre n’est autre que machineries, chassés-croisés, mensonges et tromperies que tricotent les protagonistes pour atteindre leur but, en pleine guerre des sexes. Mais la sublime musique de Mozart, distribuant des récitatifs à chaque personnage, colorant leur ligne mélodique selon leurs émotions, se charge de magnifier le tout sans en gommer les aspérités. Nélia Jones dénude donc en ouverture toute la scène en la voilant d’écrans transparents où viennent successivement s’imprimer une avalanche de chiffres défilant comme un compte à rebours qui prend l’allure d’un suspense. 

Une boite à jouer

© Vincent Pontet

Au fur et à mesure, la cage de scène s’habille de décors, de murs qui ouvrent devant nos yeux trois chambres ouvertes, dont nous aurons continuellement l’entière visibilité et à travers lesquelles les personnages vont s’échapper, communiquer, s’enfuir. La clarté du dispositif scénique, qui s’appuie sur des boites à jouer échangeables et des portes qui s’ouvrent et se referment à vue, permet au spectateur de jouer au voyeur et de pénétrer dans l’intimité psychique de chacun des personnages pour son plus grand bonheur. Ainsi la chambre de la Comtesse, feutrée et fleurie, lieu de l’ennui et du désespoir jouxte celle de sa camériste Suzanne, qui bruisse de tissus, de conversations et d’amour car son amant Figaro, le valet du Comte Almaviva, souhaite l’épouser au plus vite. Enfin le cabinet du Comte, qui souhaite garder auprès de lui Suzanne pour mieux la séduire en rétablissant un droit féodal du seigneur sur les jeunes mariées. Devant ces trois pièces qui vont s’inter-changer, le chemin à l’avant-scène ressemble à la rue qui longe le Palais. On y badine, rigole, on médit ou pleure, histoire d’ancrer l’intrigue au présent tout en conservant les stigmates du classicisme.

La lutte pour le pouvoir

© Vincent Pontet

Le maître du jeu, celui qui manigance et tire les ficelles, c’est le Comte Almaviva qui devient dans l’opéra de Mozart le pivot de l’action, autoritaire, méprisable et moqué. Le baryton suédois Peter Mattei atteint la perfection vocale et dramatique dans un rôle qu’il connait très bien. Altier, timbre puissant et profond, diction précise, il est autoritaire et pitoyable. Seul Chérubin, jeune page vibrionant, lui tient tête de manière insolente en témoignant pour la Comtesse, sa marraine, une passion adolescente. C’est la mezzo-soprano Lea Desandre, look à la Justin Biber et casquette à l’envers, qui campe ce jeune garçon à la voix féminine. Avec son corps élastique de danseuse, son allure de lutin flamboyant et ses grands yeux sombres, elle est formidable de sincérité et d’engagement scénique, et la voix est subtilement posée, claire et maîtrisée. Son alliée, Suzanne, possède un gabarit identique mais un esprit qui cherche à se libérer du joug des maîtres. Anna El-Kashem, qui remplace Ying Fang prévue initialement, parvient à convaincre et fait preuve d’un joli timbre aux aigus clairs. La comtesse de Maria Bengtsson est d’une douceur veloutée, élégante et racée, même si la voix manque parfois d’une projection suffisante. Luca Pisaroni remplace Adam Palka dans le rôle de Figaro et il s’y glisse habilement comme dans un gant de soie sauvage. C’est un artiste au charisme chaleureux et à la technique sans faille qu’on aime voir revenir à Paris. James Creswell formidable Bartolo, les Don Basilio de Michael Colvin et Don Curzio de Christophe Mortagne, la Marcellina de Dorothea Röschmann et la Barbarina de Kseniia Proshina, ainsi que Marc Labonnette (Anthonio), Andrea Cueva Molnar et Illanah Lobel-Torres rivalisent de talent et de drôlerie dans des personnages burlesques. Une production délicieusement festive et réjouissante, portée par la maestria du chef Gustavo Dudamel et des musiciens de l’Opéra de Paris.    

Hélène Kuttner 

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